Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 240.

12 sep 1846 Lavagnac MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Un père malhabile mais bien intentionné – J’ai la conviction que Dieu veut que je sois vôtre – Il me semble que j’ai pour vous les sentiments de N.-S. lui-même et que c’est lui qui me les donne – Le moyen le meilleur de vous distraire de vos pensées : la méditation des mystères de N.-S. – Ces souffrances étaient bonnes pour nous purifier dans ce que nous devons être l’un à l’autre – Ne consultez personne sans permission – Ne me prêchez pas la patience : croyez que je n’en ai pas encore eu besoin – Que la confiance de l’amitié surnaturelle soit la gardienne de votre humilité – De superbes noyaux d’olives.

Informations générales
  • PM_XIV_240
  • 0+485 c|CDLXXXV c
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 240.
  • Orig.ms. ACR, AD 452; D'A., T.D. 19, pp. 119-124.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 BONTE
    1 CAPRICE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CRUCIFIEMENT DE L'AME
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 EMOTIONS
    1 ENERGIE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 ERREUR
    1 ESPRIT D'INDIFFERENCE
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 FIERTE
    1 HONTE
    1 HUMILITE
    1 IMPRESSION
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 LIBERTE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 OLIVES
    1 ORGUEIL
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX INTERIEURE DE L'APOTRE
    1 PARDON
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PATIENCE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REVOLTE
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 VANITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOEUX PRIVES DU PERE D'ALZON
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GAIRAUD, ABBE
    2 SEMENENKO, PIERRE
    3 NIMES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Lavagnac,le 12 septembre 1846.
  • 12 sep 1846
  • Lavagnac
La lettre

Je vais, ma chère enfant, répondre à votre lettre. Je voulais le faire avant de l’avoir lue, car tout ce que je lis dans vos pages d’hier, je l’attendais. Grâces à Dieu je connais assez les vicissitudes de votre pauvre nature pour pouvoir prévoir non pas les tempêtes -ce n’est pas le mot aujourd’hui- mais au moins les plus douloureuses commotions, aux plus légers indices. Et d’abord, c’est ma faute en partie, si vous avez ainsi souffert, et c’est, il est vrai, ma faute volontaire. Je vous ai dit que ce que vous aviez souffert m’avait humilié. Je n’avais pas mauvaise intention. Je vous croyais quelquefois fâchée de voir que, tandis que vous souffriez tant, je pusse rester impassible. Je voulus vous montrer quelque chose de mes misères. Cette exhibition avait aussi quelque chose d’humiliant, et là, je voyais une preuve de bonne amitié. Je m’y suis pris maladroitement, et, ne vous ayant pas fait du bien, je vous ai fait du mal. Aussi, pourquoi prendre un père si malhabile, alors qu’il est le mieux intentionné? Mais n’insistons pas là-dessus.

Je vous ai dit en commençant que je voulais répondre à votre lettre avant de l’avoir reçue. Il me semble que je l’ai fait en partie. Quand m’écriviez-vous? Le 7 ou le 8 sept[embre]. Or, à la même époque et les trois jours qui avaient précédé, vous savez quelles étaient mes dispositions à votre égard. Si M. Gayraud ne fût pas venu me déranger, vous eussiez pu voir ce que j’étais, ou plutôt ce que Dieu me donnait d’être pour vous. Car si j’ai, dans ce moment, une conviction de coeur, c’est que Dieu veut que je sois vôtre, peut-être plus que vous devez être mienne, mais pour le moins autant. Cette conviction me donne une paix, une force, une liberté pour me mettre à votre service qu’il m’est impossible d’exprimer. Pourquoi donc, me direz-vous, m’avez-vous fait tant souffrir? Vraiment, je n’en sais rien, puisque rien n’était plus loin de ma pensée. Mais si, je le sais: pour des raisons connues de Dieu et que vous comprendrez plus tard. Tout ce que je puis vous dire, car je veux finir ma pensée, c’est qu’il me semble en toute sincérité que j’ai pour vous les sentiments de Notre-Seigneur lui-même, et que c’est lui qui me les donne, pour vous aider plus tard quand vous serez redevenue raisonnable. C’est cette affection de père qui laisse son enfant se débattre entre ses bras, s’égratigner même, qui souffre de ses douleurs, s’attriste de ses caprices et de ses petites rébellions, et qui ne l’aime pas moins d’un amour qui est, ce semble tout son être, parce que c’est son enfant. Que voulez-vous, ma fille? Je suis ainsi fait et je crois que je le serai longtemps, oh! pour toute l’éternité, parce que Dieu le veut, parce que j’ai fait voeu de travailler à votre perfection, et que je me demande quelle nécessité [il y avait] de faire un voeu pareil, puisque, libre, je n’aurais pas eu moins de zèle, ou quel mérite j’en retirerai, puisque j’ai eu tant de bonheur à le faire.

Après ces observations, je vais répondre article par article à votre lettre. Mais le croiriez-vous? Je suis sûr que si elle m’était adressée de la part d’une personne qui fût dans un état semblable au vôtre, mais que je n’aurais pas connue, je lui donnerais une réponse autre que celle que je vais faire. Je lui ferais observer que peut-être elle a une exagération dans les idées qui la préoccupent, je l’engagerais à voir le côté par où elle va à Dieu, et celui par où elle donne peut-être trop à l’homme. Je ne puis vous le dissimuler, peut-être ne vous donnerais-je pas entièrement raison, comme aussi, je vous l’avoue, je dirais peut-être que votre directeur habituel n’a pas le sens commun et qu’il a le plus grand tort, par sa fatuité ou tout autre moyen de vanité, de vous préoccuper ainsi de lui; et si vous me donniez à entendre qu’il est vain, qu’il a une vie dissipée, je vous ferais voir comment ses défauts peuvent vous être utiles, puisqu’ils vous aident à vous détacher de lui. Que l’on vous tienne ce langage, je n’en serais pas surpris le moins du monde. Pour moi, voici ma réponse, que je vous donne avec une clarté de vue parfaite et que, dès lors, je prends sans la moindre difficulté sur ma responsabilité.

Mais j’ai besoin de faire précéder ce que j’ai à dire de deux observations. La première: que j’ai remarqué une époque de crise morale dans le caractère de certaines personnes, laquelle amène divers résultats. Mais j’en ai vu traverser ce temps dans un état de malaise et de mécontentement; elles cherchaient la cause de leur souffrance au-dehors, elle était toute intérieure. En êtes-vous là? je ne sais. Il faudrait que je fusse auprès de vous pour le dire. Je crains que vous n’y veniez. La seconde observation est que je suis convaincu que tout ce qui s’est passé, si vous l’avez bien pris, a eu lieu pour votre plus grand bien, et, si vous ne l’avez pas bien pris, peut encore s’accepter par vous de la manière la plus utile, par cette humilité dont vous sentez le besoin. Vous dites que pour vous guérir, il vous faudrait pardonner. Ce pardon vous sera plus facile maintenant que je vous l’ai demandé par ma dernière lettre. Et remarquez que je vous le demandais, tandis que vous m’écriviez votre besoin de l’accorder. Du reste, que puis-je faire de plus pour vous disposer à ce sacrifice?

Mais je reviens à ce que je voulais vous dire. Vous est-il impossible de vous distraire de ces pensées? Je crois que le moyen que je vous avais indiqué, après que vous me l’aviez signalé vous-même, est le meilleur: c’est la méditation des mystères de Notre-Seigneur. J’y reviens et j’y tiens très fortement. Vous me disiez, il y a quelque temps, qu’en ne parlant plus du mal qui nous fait tant souffrir, nous le recouvrions, nous ne le guérissions pas. Eh bien, je suis convaincu que passer la main sur une plaie, c’est la raviver, et qu’il faut quelquefois lui donner du repos pour la cicatriser, surtout quand on fait agir des moyens internes. Or, ce remède interne, c’est l’esprit de Notre-Seigneur. Est-ce ma faute, chère enfant, si vous ne voyez pas mon dévouement pour vous, alors que sérieusement je fais tout ce qui dépend de moi pour vous le témoigner? Alors que j’ai la conviction qu’il est aussi grand qu’il puisse l’être et que, de plus, j’ai la certitude qu’il est tel que Notre-Seigneur veut qu’il soit, avec cette énergie, cette paix et cette liberté que certainement je n’aurais jamais cru pouvoir acquérir. Très positivement il ne peut y avoir ici de faute que dans ma maladresse. Eh bien, vous êtes trop sérieuse pour vous arrêter là.

Je vais plus loin, car je veux et je puis dire que cette maladresse n’est pas aussi grande, que je me suis laissé aller à la croire, tant je suis convaincu qu’il y avait, je n’ose pas dire, inintelligence, mais prenez le mot dans son bon sens et ce sera cela de votre part. Vous voyez, ma chère fille, que je me permets aujourd’hui un peu de rudesse dans mes paroles. Eh bien, croyez-le, il faut n’y voir que la volonté de vous faire comprendre la conviction profonde où je suis que nous nous entendrons mieux, un jour que Dieu connaît, mais que toutes ces souffrances étaient bonnes à tous les deux pour nous purifier dans ce que nous devons être l’un à l’autre.

Vous voyez combien je trouve que vous avez bien fait de vous adresser à moi, et je vais faire un acte d’humilité en vous disant: Ne consultez personne sans permission. Vous savez combien je suis vaniteux sur cet article et disposé à envoyer promener les gens qui ne se contentent pas de ma décision. Eh bien, ne consultez plus personne; je ne le veux pas, je vous en serai reconnaissant. Croyez-moi donc: allez d’abord vers Dieu par obéissance, s’il le faut, et, en redescendant vers vous-même, vous y retrouverez la paix. Je suis tout à fait de l’avis de M. Gabriel, allez toujours, portez votre misère au trône de Dieu, mais allez à Dieu, vous y trouverez la puissance de pardonner.

Votre âme, me dites-vous, se soulève à la pensée de ne pas profiter de son expérience. Ceci est humain. Ne faut-il pas pardonner soixante-dix-sept fois sept fois? Est-ce pour les amis ou pour les ennemis que ces paroles ont été dites? Les ennemis, on leur pardonne une bonne fois, et puis il n’en est plus question; pour les amis, et les meilleurs, c’est autre chose.

Il est très faux que j’ai été fatigué de votre affection. Vous avez mal jugé mes impressions, je ne vous ai trouvée fastidieuse en quoi que ce soit. Pourquoi écouter votre fierté? L’orgueil n’est-il pas le père du mensonge? Soyez moins fière, vous serez dans le vrai. Non, je ne voudrais pas que votre affection gêne ma liberté. Ne l’ai-je pas engagée, quand j’ai cru que Dieu le permettait?

Vous ne supporterez pas, après avoir jugé. Mais si vous avez mal jugé?

Vous ne me témoignerez plus tant d’amitié. Hé! ma bonne fille, tout ce que vous me dites, qu’est-ce donc?

Vous vous appliquerez à ne prendre de moi que ce que je voudrai donner. Ne vous l’ai-je pas dit, je suis vôtre dans toute la vérité du mot. Qu’en prendrez-vous? Or, pour vous donner ainsi tout ce que je puis et je suis, parce que je crois que Dieu le veut, je ne fais pas, je vous l’avoue, de calculs de fierté. Ceci peut-être répugnerait un peu à ma nature, quoique avec vous moins qu’avec qui que ce fût. Mais si c’est bien, pourquoi pas?

Je n’ai pas le courage de poursuivre pas à pas toute votre argumentation; seulement, souvenez-vous que je veux vous voir laisser de côté toutes ces idées. Il ne s’agit pas de savoir si vous agirez en humilité ou en esprit de sacrifice, mais si vous voulez venir prendre un peu de repos dans le coeur de votre père. Voulez-vous, ou non? Quant à vous l’offrir ce coeur, il est à vous, puisque Notre-Seigneur le veut. Mais êtes-vous donc aveugle de ne l’avoir pas encore vu? Ne me prêchez donc pas la patience; croyez, et c’est bien vrai, que je n’en ai pas encore eu besoin.

Je crois que vous devez me revenir, par humilité sans doute, mais ce ne sera que le chemin. Rester en humilité avec moi, n’est-ce pas ce que Dieu vous demande? La charité vaut mieux; laissez donc de côté ce que vous a dit Semenenko; pour le moment, cela ne vous est pas bon, et bientôt vous verrez que ce n’est pas nécessaire. Je ne comprends pas ce que vous dites. Si par volonté vous entendez liberté, je n’en veux pas; ce serait esclavage. Si par volonté* vous entendez que la nature meurt à se donner ainsi, j’en veux très fort. Il me semble que c’est là où j’en suis pour vous. Vous donnerez pour gardienne à votre humilité de coeur la confiance de l’amitié surnaturelle; il ne lui en faut point d’autre; les autres s’y adjoindront, si vous voulez, mais je viens de vous indiquer la plus essentielle. Oui, il faut vaincre l’esprit de fierté et d’irritation, que je redoute tant [de] voir se développer en vous. Non, vous n’aurez pas à vous occuper de ces désirs d’estime avec moi. Pourquoi chercher ce que l’on a déjà?

Je m’arrête. Le papier me manque, et le temps aussi. Adieu, ma chère Soeur. Devenez bonne pour votre père qui est aussi, comme disait s[aint] François d’Assise, votre petit serviteur.

Je vous ai trouvé de superbes noyaux d’olives; ceux de ces pays sont plus beaux que ceux de Nîmes. Si vous aimez les olives, une autre année, je vous en enverrais d’ici; sinon, vous recevrez seulement les noyaux.

Notes et post-scriptum