Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 243.

14 sep 1846 Lavagnac MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

J’ai beau fouiller dans mes pensées ordinaires, je vous trouve toujours au plus profond – Il vous faut écarter la cause d’une souffrance qui fut utile comme purification mais que Dieu ne veut plus – Je sens que vous êtes pour moi le signe de l’amitié de N.-S. – Revenez à l’humilité des mystères de notre bon Maître – Autorité et respect, racines d’une indéfinissable amitié – Le règlement de saint Vincent de Paul – Ma lâcheté et ma vanité – Le plan, le terrain et l’argent pour bâtir – M. Monnier – Je voudrais des novices – Ma soeur aînée.

Informations générales
  • PM_XIV_243
  • 0+485 d|CDLXXXV d
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 243.
  • Orig.ms. ACR, AD 453; D'A., T.D. 19, pp. 124-128.
Informations détaillées
  • 1 ACHAT DE TERRAINS
    1 AMITIE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 AUTORITE DIVINE
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 DEFIANCE DE SOI-MEME
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 DOUCEUR
    1 ETUDE DES MYSTERES DE JESUS CHRIST
    1 FIERTE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 LACHETE
    1 MAITRISE DE SOI
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 ORAISON
    1 PAIX DE L'AME
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REFORME DU COEUR
    1 RESPECT
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 SOUFFRANCE
    1 SURVEILLANTS
    1 UNION DES COEURS
    1 VANITE
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 MAC GAURAN, MISS
    2 MESNARD, MADAME DE
    2 MONNIER, JULES
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 NIMES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Lavagnac, Exaltation de la Croix [le 14 septembre 1846].
  • 14 sep 1846
  • Lavagnac
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

Je me remets un peu a mon règlement, et, m’étant levé de meilleure heure, je viens causer un peu avec vous, ma chère enfant, et vous dire une dernière fois, avant de retourner à Nîmes, le résultat de mes réflexions sur tout ce que j’ai pu penser par rapport à vous dans mes longues heures de silence et de repos. Et d’abord, il m’est bien évident qu’après la pensée de Dieu celle qui est en quelque sorte la couche habituelle sur laquelle mon âme se repose, si je puis ainsi parler, c’est la vôtre; de telle façon que ou je pense à ce qui vous concerne, ou je pense aux deux. J’ai beau fouiller dans mes pensées ordinaires, je vous trouve toujours au plus profond.

Quelle est la nature de ces pensées ou de ces sentiments? la douceur et la force: c’est le suaviter et fortiter. Par la grâce de Dieu, je trouve un grand bonheur dans votre amitié, parce que malgré toutes les duretés que vous avez pu me dire, je suis sûr de vous et je suis sûr de moi. Voilà pour le suaviter. Le fortiter n’y est pas moins. J’ai la conviction de mon autorité sur vous, et ceci, je vous le dis avec plus de précision que jamais, parce que cette autorité n’est si grande que parce qu’elle ne vient ni de moi, ni même de vous, mais de Dieu; de telle façon qu’il ne s’agit plus de savoir si vous vous révolterez ou non, parce que je n’admets pas l’hypothèse que vous puissiez vous révolter contre Dieu. Jamais je n’ai plus senti combien je n’étais pour rien dans la puissance dont je devais user à votre égard, et c’est pour cela sans doute, que je ne l’ai jamais sentie autant dans toute sa plénitude. C’est en ce sens que je voudrais quelquefois vous commander de devenir calme, comme Notre-Seigneur le commanda aux flots de la mer. Pour vous, vous devriez mettre vos efforts à obéir, et je suis convaincu que l’obéissance finirait par vous calmer, en effet.

Je voulais vous dire encore cela et revenir aussi sur ce que je vous ai déjà dit, je crois, que si toutes les douleurs par où vous avez passé,vous ont été utiles comme purification, (la souffrance bien prise purifie toujours, et il dépend toujours de nous de la bien prendre), je crois que Dieu ne la voulant plus, vous devez être excessivement attentive à en écarter la cause, et je vous ordonne au nom de l’obéissance de faire tout ce qui dépendra de vous pour l’écarter en effet. Ne voilà-t-il pas une assez extraordinaire occasion d’exercer l’obéissance? Ou je ne comprends rien à ce que doit être la vôtre, ou c’est bien à des ordres semblables que vous devez la manifester. Car je me figure qu’elle doit toujours partir du coeur. Et, pour finir sur cette question, ce qui me rend parfaitement tranquille depuis quelque temps, malgré les petites égratignures de vos lettres, c’est que je sens au fond de mon âme que vous êtes pour moi le signe de l’amitié de N[otre]-S[eigneur].

Songez à cela et tirez-en les conséquences.

Voyez donc, je tiens à ce que vous sachiez ces choses et je suis embarrassé pour vous les dire. Le comprenez-vous et les comprenez-vous? Du reste, ma chère enfant, si, après ce que viens de vous dire, vous n’êtes pas entièrement apaisée, sachez que je vous donnerai complètement tort et qu’il sera impossible dans tout ce que je suis pour vous, de m’en trouver le moindre. Elevons-nous donc au-dessus de ces froissements de la nature, quelque cuisants qu’ils puissent être. Une goutte de sang tombée du coeur de Jésus-Christ doit les cicatriser. Et n’est-ce pas parce que nous avons mis la fière délicatesse de notre humanité en face de cet amour humble, doux et fort, comme tout ce qui est divin, que nous avons tant souffert? Croyez-moi, chère petite soeur, revenez à l’humilité des mystères de notre bon Maître, et votre coeur, adouci et fortifié, ne s’irritera plus et portera le poids de toutes les épreuves que Jésus-Christ pourra vous envoyer pour le rendre digne de lui.

Je dis toujours que je finis et je ne finis jamais. Pour que vous sachiez tout, il faut vous répéter qu’à mesure qu’augmente chez moi le sentiment de mon autorité sur vous, le sentiment du respect que je vous dois augmente également, et ces deux sentiments forment comme les racines d’une indéfinissable amitié qui, je crois, est bonne. Je crois bien que je ne vous parlerai pas de longtemps, comme je viens de le faire. C’est au point que j’aurais bien envie de vous prier de brûler cette page, après l’avoir lue. Mais vous en ferez ce qui vous plaira.

J’ai commencé la Vie de saint Vincent de Paul, que j’avais déjà lue une fois. Votre idée me paraît bonne, mais faites-y attention, il y a dans cette Vie des choses, dont je n’approcherai pas pour la sévérité et la régularité. Ainsi, le matin, une heure d’oraison sans m’appuyer est quelque chose qui aujourd’hui me tuerait, je crois. Je cite cet exemple entre d’autres, pour vous faire comprendre que je ne me porte pas pour un imitateur absolu de ce que le règlement de saint Vincent de Paul prescrivait. Il passait souvent une partie des nuits à écrire ou à parler à ses prêtres. Ne nous faisons pas illusion, nous n’allons pas à la semelle de ces hommes.

Je reviens à Nîmes dans d’assez bonnes dispositions. J’ai, je ne sais pourquoi, un sentiment d’amertume au fond de l’âme, mais je ne puis l’expliquer que par un profond mécontentement de moi-même et de ma lâcheté. C’est la nature qui souffre dans sa vanité de se voir si peu énergique. Je tâche de ramener cette disposition à quelque chose de souple. Lorsque vous me parlez de ma vanité en avez-vous sondé la profondeur?

Vous aurez, n’est-ce pas, chère fille, la bonté de vous occuper du plan, quoiqu’il soit bien possible que le plan doive être modifié, puisque nous n’aurons probablement pas le terrain sur lequel je comptais. J’espérais l’avoir pour 50.000 francs et il faudrait en payer 300.000. Mis peut-être à quelque chose malheur sera-t-il bon, parce que je vais m’arranger pour voir un terrain, peut-être plus loin de Nîmes, mais où nous aurons beaucoup d’eau.

Je suis bien aise que vous soyez contente de M. Monnier. L’avez-vous mis en rapport avec Soeur Marie-Augustine? Je ne suis pas fort inquiet pour les maîtres d’études, je suis pourvu; mais ce que je voudrais ce seraient des novices et quelques hommes sur qui on peut compter.

Je vous remercie de ce que vous voulez bien m’assurer l’hospitalité pour ma soeur aînée, supposé qu’elle le réclamât. J’aurai soin de vous prévenir à l’avance, si elle doit se décider; et vous savez combien ses décisions, quand vient le moment, lui coûtent. Je vais me remuer pour trouver de l’argent pour bâtir. Quel ennui n’est-ce pas que celui-là?

Adieu, chère enfant. Comment dois-je vous dire pour que vous croyiez que je suis à vous autant qu’on puisse l’être en Notre-Seigneur?

E.D’ALZON.

Ma soeur se décide à vous écrire et j’en suis ravi. C’est elle qui a deviné qu’il était question de Mme de Ménard, mais elle n’en a pas parlé à Mlle Mac-Gouran.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum