Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 268.

7 dec 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Vos dispositions de paix – Redevenons l’un pour l’autre appui et soutien – Ce n’était qu’un malentendu – Des sujets distingués – Semenenko – Réflexions sur la fête du jour – Un cas tragique.

Informations générales
  • PM_XIV_268
  • 0+496 f|CDXCVI f
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 268.
  • Orig.ms. ACR, AD 472; D'A., T.D. 19, pp. 150-153.
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 AMITIE
    1 CHAPITRE DES COULPES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CULPABILITE
    1 DISTINCTION
    1 ERREUR
    1 FUTURS PRETRES
    1 GLOIRE DE DIEU
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 JOIE SPIRITUELLE
    1 MALADIES
    1 MALADIES MENTALES
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARDON
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PURETE D'INTENTION
    1 SATAN
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 KAJZIEWICZ, JEROME
    2 PHILIPPE, MONSIEUR
    2 SEMENENKO, PIERRE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 7 décembre 1846.
  • 7 dec 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot. Paris.*
La lettre

Que la Sainte Vierge vous confirme, ma chère enfant, les dispositions de paix qui se trouvent au fond de votre coeur! Je supprime deux grandes pages d’explications, que je trouve maintenant inutiles. A quoi bon, en effet, revenir sur ce qui semble n’être plus pour vous une cause d’amertume? Sachez seulement que je suis tout disposé à m’avouer coupable et à me reconnaître des torts pour peu que vous le pensiez. Je ne puis répondre que d’une seule chose, de mon intention; sur cet article, je ne pourrais jamais permettre que vous l’ayez mise en doute. Ceci est le fond de mon âme, je le reconnais et j’affirme qu’il y avait dans le plus intime du sanctuaire tout ce que je ne vous ai peut-être pas montré, mais tout ce que vous eussiez pu désirer.

Votre longue lettre m’a fait un bien que je ne puis vous dire; elle me guérira mieux que les remèdes. Je ne suis pas malheureusement aussi durement trompé que vous le croyez et que je voudrais l’être; mais Dieu permet que notre pauvre corps ressente, malgré lui, ce que l’âme souffre, afin d’avertir celle-ci des blessures qu’elle voudrait quelquefois nier. Hâtons-nous, ma fille, de redevenir l’un pour l’autre appui et soutien. Car, savez-vous une réflexion qui me frappe? Le diable nous a joué un vilain tour. Que de temps employé en explications réciproques, que nous eussions pu employer à la gloire de Dieu! Car, voyez-vous, rien ne m’ôtera de l’idée qu’il n’y avait qu’un malentendu. Mettez qu’il y eut beaucoup de ma faute. Je ne veux pas m’excuser pourvu que vous reconnaissiez enfin: 1° que je suis, à mon tour, entièrement vôtre; 2° que nous avons à réparer le temps passé dans notre correspondance, en l’employant avec une application nouvelle à la gloire de Notre-Seigneur.

Bonsoir! Il est 10 heures, et je tâcherai de vous écrire une ou quelques lignes demain matin.

Le 8 décembre.

Grâces à Dieu, j’ai pu me lever ce matin et j’ai encore un moment pour vous écrire quelques mots. Permettez-moi de revenir sur quelques missions ou questions, que j’ai négligées.

1° Je crois que la dame pour qui je vous avais demandé une gouvernante, en trouvera une de ces côtés-ci.

2° Je n’ai pas écrit à M. Philippe, parce que à force de se faire attendre, j’ai trouvé quelqu’un et que je ne suis pas assez certain que notre facteur de pianos s’accommode à notre vie pour le faire venir comme surnuméraire. Gêné comme je le suis pour le local, je ne puis chercher actuellement à attirer beaucoup d’aspirants. Et puis, j’en reviens à l’idée du P. Kajziéwicz qui m’engageait de ne prendre, autant que possible que des sujets distingués; et maintenant qu’en effet la maison marche, je ne voudrais pas l’encombrer inutilement. Vous représentez-vous l’italien de M Gabriel se tournant par côté pour tirer la langue, quand on lui donne une pénitence à la coulpe.

3° Le pauvre Semenenko baisse tous les jours. Une fois, sous prétexte que sa chambre n’est pas assez chaude, il prend une couverture et s’en va à l’infirmerie, pièce quatre fois plus grande et plus aérée, se roule tout habillé dans une couverture et passe la nuit ainsi. Une autre fois, il prend son parapluie, le brosse pendant un quart-d’heure sans rien dire et puis se promène, son parapluie ouvert, tout autour de l’infirmerie avec un profond recueillement. Que voulez-vous que cela produise sur les enfants? Il voulait dernièrement aller loger en ville, mais je ne puis le permettre. Il me semble que je dois le garder chez moi, dans l’état où il est, jusqu’à ce qu’on m’en décharge.

J’ai été très frappé ces jours-ci, de la solennité que nous célébrons aujourd’hui, elle m’a fait réfléchir aux grâces que j’ai reçues et dont j’ai, jusqu’à ce jour, tant abusé, tandis que Marie a parfaitement correspondu à toutes celles dont sa conception immaculée a été le premier anneau. Puis, la solitude que je sentais se faire autour de moi, par la conséquence possible de notre défaut d’entente, m’a fait passer par un genre d’émotions que vous pouvez deviner peut-être, mais que je puis pas bien exprimer. J’avais froid au coeur et je comprenais que Notre-Seigneur y était toujours. C’était quelque chose comme l’état d’un fils avec son père, après l’enterrement d’une soeur ou d’une mère. Mais ne revenons pas là-dessus; moi aussi, quand j’ai dit ces choses, je suis tenté de m’enfuir, pour employer une de vos expressions d’il y a deux ans.

Priez beaucoup pour une jeune femme, qui a commis des fautes graves avec un prêtre, dans un diocèse où elle est obligée de le dénoncer pour en avoir l’absolution, qui depuis deux ans n’en a pas le courage et qui pourtant sait qu’elle est atteinte d’une maladie qui ne pardonne pas. Cette pensée trouble un peu pour moi la joie de notre réconciliation. Je ne sais comment la bien remettre avec Notre-Seigneur, car il m’est fort difficile de lui venir en aide sans le faire soupçonner.

Mais mon temps s’est écoulé. Je vais dire la messe pour vous. Adieu, ma fille. Que la paix de Notre-Seigneur soit enfin dans votre âme!

Notes et post-scriptum