Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 274.

16 dec 1846 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Remerciements pour ses deux dernières lettres – Sa santé laisse à désirer – Nouvelles des élèves et des maîtres – Malgré tout, il n’éprouve aucun découragement – Autres nouvelles et demandes.

Informations générales
  • PM_XIV_274
  • 0+499|CDXCIX
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 274.
  • Orig ms. ACR, AD 475; V. *Lettres* III, pp. 166-169 et D'A., T.D. 19, pp. 154-155.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 BONTE MORALE
    1 BOURGEOISIE ADVERSAIRE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 ECONOME DU COLLEGE
    1 EDUCATION EN FAMILLE
    1 EFFORT
    1 FAIBLESSES
    1 MAITRES
    1 MALADIES
    1 ORDINATIONS
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 PRIERE DE DEMANDE
    1 RECONNAISSANCE
    1 RENVOI D'UN ELEVE
    1 REPOS
    1 SANTE
    1 SURVEILLANTS
    1 SYMPTOMES
    1 TRAITEMENTS
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CUSSE, RENE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 EVERLANGE, PIERRE-EMILE-LEON
    2 FALCONNIER, MARIE-LOUIS
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 GOURAUD, HENRI
    2 GUERANGER, PROSPER
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 MONNIER, JULES
    2 PRADEL, ABBE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    2 VALFONS, MADAME DE
    3 VENDOME
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 16 décembre 1846.
  • 16 dec 1846
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Puisque vous paraissez apaisée pour quelque temps, ma chère fille, voulez-vous me permettre de vous parler un peu de moi? Tout ce que vous me dites dans votre lettre, que j’ai reçue ce matin, est si parfait que je n’y puis rien répondre, sinon par cette question: « Vous ne me connaissiez donc pas? » Vous verrez par ma dernière lettre, qui a dû vous arriver à peu près en même temps que j’ai reçu la vôtre, combien j’entre dans vos pensées. Chose étonnante ou plutôt fort naturelle, en lisant le passage du P. Lacordaire auquel vous faites allusion, j’avais eu les mêmes idées que vous. C’est précisément ce dont j’aurais dit quelque chose, après vous avoir parlé de mes dispositions de paix, si je n’avais pas été beaucoup trop dérangé en vous écrivant.

Le 18 décembre.

J’ai été dérangé depuis avant-hier, et comme probablement l’ordination de l’abbé d’Everlange me prendra toute ma matinée de demain, je vais vous remercier, moi aussi, de votre bonne lettre du 14 que je reçois à l’instant même. N’ayez point de regret de ce que vous m’aviez dit dans celle qui précédait: ce sont choses bonnes à dire et à entendre surtout, je vous assure. Vos paroles m’ont fait un bien infini; elles m’ont dilaté envers Notre-Seigneur d’une manière extraordinaire. Mais voulez-vous que nous revenions à ce dont je voulais vous parler? La santé, à ce qu’il paraît, ne vient pas chez moi aussi vite que chez vous. J’ai eu un peu de mieux pendant quelques jours; puis, mes crampes m’ont repris. Suis-je trop douillet? Me suis-je fait illusion? Enfin, je me crois obligé à me soigner et je me soigne. Ceci fait que je me lève un peu plus tard, que je vois moins les miens, et peut-être maintenant y a-t-il un peu de retard dans leur marche. Je crois, du reste, ne me soigner que pour être en état de les remonter.

Le pensionnat va bien. J’ai chassé cinq ou six élèves, depuis le commencement de l’année scolaire; cela a produit un bon effet. Leurs dispositions sont bonnes et l’abbé Pradel prétend que, sans exagérer, le pire des nôtres que nous avons chassé, il y a deux ou trois jours, valait mieux que les plus parfaits du collège de Vendôme. Ce que l’abbé Gabriel vous a dit de l’abbé Henri est très inexact. Ce bon abbé Gabriel voyait tout à travers la lunette des demoiselles Carbonnel, et même envers ces dames l’abbé Henri n’a pas les plus grands torts. L’abbé Henri se sanctifie tous les jours un peu plus, et certes il a beaucoup à faire, mais sa bonne volonté est grande. Quant à l’abbé Pradel…(1)

Dimanche [19 décembre].

La journée d’hier, samedi, ne m’a pas laissé une minute. J’ai été constamment dérangé, mais j’en reviens à l’abbé Pradel. Peut-être l’avais-je jugé trop favorablement. Je crains qu’il ne soit inconstant. C’est une faiblesse de caractère, que l’expérience seule pouvait me faire connaître; mais je ne sais s’il faut, malgré sa disposition naturelle à tout ce qui est généreux et dévoué, faire grand fonds sur lui pour l’avenir. Cardenne continue à aller à merveille. Tout ce que je vois de lui me remplit d’édification. M. Saugrain est la même chose. Ce sont là deux bien précieuses acquisitions sous le rapport de la ferveur, mais ce ne sont pas des hommes de conseil. L’abbé Blanchet, qui reste toujours avec sa tonsure, est bien enfant. L’abbé Tissot devient tous les jours plus pieux, mais d’une piété qui accomplit son oeuvre paisiblement, silencieusement, qui ne demanderait pas mieux que d’agir, si elle en était capable; il ne fera jamais obstacle, mais jamais il ne sera un moyen d’action. Vous parlerai-je de M. Cusse? C’est la liturgie faite petit garçon, c’est la caricature de Dom Guéranger. Et, à propos de Guéranger, seriez-vous assez bonne de lui faire parvenir deux volumes des oeuvres de M. du Lac, que M. Monnier a dû vous remettre de ma part, avec prière de les lui envoyer?

Je ne me décourage certes pas devant des éléments aussi peu satisfaisants, mais je ne suis pas sous le charme de l’enthousiasme. Mon Dieu! Je suis sûrement pour beaucoup dans toutes ces faiblesses, car une action plus soutenue de ma part eût remonté tout. Cependant, il me semble que je fais des efforts. L’état de prostration, où je suis habituellement depuis un mois, m’est un obstacle. J’espère toutefois le surmonter et c’est pourquoi je cherche à me soigner tant que je puis. Aussi puis-je vous assurer, sans entrer dans les détails, que toutes les appréhensions que vous avez à l’égard du soin que je donne à ma santé sont sans fondement; je me ménage sûrement beaucoup trop et j’en suis honteux.

Je vous remercie de l’envoi du soldat, si c’est vous que j’en dois remercier. Avant de le mettre à la dépense, peut-être essaierai-je d’en faire un surveillant. Je n’y manquerai pas, s’il sait assez d’orthographe pour cela, à moins que je ne le donne pour second à M. Saugrain, qui, d’une part, est très surchargé, et, de l’autre, peut être très utile pour les notes. Que devient l’artilleur de M. Falconnier? Je pourrais aussi employer celui-là très aisément.

Si vous avez toujours à votre disposition la gouvernante dont vous me parliez, de la part de M. Gouraud, envoyez-la moi. Mme de Valfons, chez qui elle irait, est une des femmes les plus spirituelles et les plus raisonnables que je connaisse. Fille d’une mère de 89 [ans] qui menace de la déshériter, si elle lui amène un prêtre à son lit de mort, elle est solidement chrétienne, pas dévote. Son mari, un peu cerveau brûlé, la laisse maîtresse absolue. La campagne où elle habite presque toute l’année n’est pas merveilleuse, mais la compagnie de Mme de Valfons suppléerait, j’en suis sûr, à bien des choses. C’est une femme homme par le calme et le sang-froid. Je lui demandais si elle ne redouterait pas l’influence d’une gouvernante sur le coeur de ses filles, (elles sont trois, toutes très jeunes): « Qu’importe, me répondit-elle, que mes filles m’aiment, pourvu qu’elles soient bien élevées! » C’est toujours et sans défaillance le même dévouement. On voudrait que la jeune personne qui irait dans cette maison eût des goûts simples, sût la musique, et, s’il était possible, l’anglais. On lui donnerait 1.000 francs, comme vous les demandiez. Je suis dérangé par des gens qui me demandent au parloir, et pourtant que de choses encore à vous dire!

Adieu, ma chère fille. Priez bien pour votre père, qui est, lui aussi, tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZ[ON].
Notes et post-scriptum
1. Les points de suspension sont dans le texte.