Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 295.

13 feb 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Motifs qui l’ont empêché d’écrire plus tôt – Affection qui se dévoue à la sainteté d’une âme – Leur malentendu vient de ce qu’il a trop peu insisté sur le mérite de la tentation – Les éléments humains qui doivent périr en elle – Le silence aux pieds de Notre-Seigneur et la pratique de la soumission aident beaucoup à détruire les défauts – Saint Jean a blessé Notre-Seigneur, comme saint Pierre – En quel sens sa direction est assez difficile – Il faut mettre ses désirs en ordre au pied du crucifix – Son aridité actuelle.

Informations générales
  • PM_XIV_295
  • 0+510|DX
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 295.
  • Orig.ms. ACR, AD 490; V. *Lettres* III, pp. 201-206 et D'A., T.D. 19, pp. 167-168.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 AMITIE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 APOTRES
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DESOBEISSANCE
    1 DEVOTION AU CRUCIFIX
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ENERGIE
    1 ENTERREMENT
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FIERTE
    1 HUMILITE
    1 HUMILITE DE JESUS-CHRIST
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 ORGUEIL
    1 PAIX DE L'AME
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PEUR
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 SACRIFICE DE LA MESSE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 SYMPATHIE
    1 TEMPERAMENT
    1 TRAHISON
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VICTOIRE SUR SOI-MEME
    1 VIE DE PRIERE
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 JEAN, SAINT
    2 MARIE DE BETHANIE
    2 MARTHE, SAINTE
    2 PIERRE, SAINT
    2 RAPHAEL, SAINT
    2 RODIER, MADAME JEAN-ANTOINE
    2 TOBIE, BIBLE
    3 AIGUES-MORTES
    3 MONTPELLIER
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 13 février 1847.
  • 13 feb 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

J’aime beaucoup, ma chère enfant, de vous écrire quand j’ai dit la messe pour vous, et c’est ce qui m’a déterminé à attendre deux jours pour vous répondre. Il faut vous dire que le jour ou votre lettre m’arriva, j’étais absent. J’étais allé faire une course à Aigues-Mortes, ville qui n’a pas son égale dans son genre. A peine de retour, il me fallut repartir pour Montpellier, pour assister à l’enterrement d’une de mes tantes, la dernière soeur de mon père(1) qui est morte après une série de douleurs incroyables, supportées avec ce calme, cette résignation, cette paix qui donne la foi à ceux qui n’en ont pas. Enfin, me voici, ayant pris le temps de la réflexion, comme vous le désirez, et prêt, je le crois du moins, à répondre à vos questions ou à vos objections.

Il faut d’abord vous dire que la disposition où je suis, en vous écrivant, n’est autre que celle d’un désir très ardent de vous faire du bien. Il peut dépendre de vous de me retirer votre sympathie, mais non pas de me forcer à vous reprendre cette affection si absolue, qui me dévoue à votre sainteté, qui peut se tromper quelquefois sur les moyens, mais qui ne saurait diminuer de son intensité. Je parlais, ce matin, à mes novices de l’amour désintéressé avec lequel il faut aimer Notre-Seigneur dans ces jours de crimes. Dans une autre proportion, il en est de même de moi à vous. Laissez s’épuiser votre sympathie, la mienne restera; elle sera seulement plus souffrante. Mais voyez donc, cette supposition me semble inadmissible, et il me semble que, sans que je vous en dise davantage, vous êtes de mon avis.

Reste ce qui vous trouble dans mes paroles sur votre état d’affaissement. Je me serai mal expliqué. Je considère comme avantageux d’être tenté. Ce n’est pas moi qui dis cela, mais l’ange Raphaël à Tobie(2). Je considère la tentation comme un moyen de lutte et de victoire. Vue ainsi, elle est avantageuse. La tentation qui se détermine par la défaite nuit, sans doute. Si donc vous succombez à l’affaissement, ce sera chose déplorable. Mais c’est ce que je ne voulais pas admettre. J’espère, au contraire, que vous y résisterez et que, dans le triomphe que vous remporterez sur vous-même, se trouvera pour vous un grand avantage. Cette doctrine me paraît si simple que je ne croyais pas nécessaire de l’expliquer. En cela j’ai tort, parce que, préoccupé de cette pensée que tout tourne au bien de ceux qui aiment Dieu(3), et convaincu, comme je le suis, que vous aimez beaucoup Notre-Seigneur, votre affaissement, que je ne voyais que comme une épreuve, me semblait devoir tourner à votre plus grand bien. Du reste, je comprends aussi que la manière un peu trop rapide, dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, vous ait fait de la peine. En rappelant mes souvenirs, il me semble que je vous ai trop peu parlé là-dessus. Il ne faut pas trop m’en vouloir, car, après tout, je pense bien souvent à cet état de votre âme devant Notre-Seigneur, et, ce que je ne vous dis pas, je le lui dis pour vous.

Vous me demandez quel est l’élément humain qui doit périr en vous. J’en vois plusieurs, s’il faut analyser: 1° Une certaine inquiétude, que vous ne pouvez déposer qu’en allant faire aux pieds de Notre-Seigneur un acte de résignation incomparable; 2° l’orgueil dont vous me parlez vous-même dans votre lettre; 3° en particulier cette nuance d’orgueil qui constitue la fierté dont vous m’avez souvent parlé et à laquelle je ne comprends rien, si vous pouvez l’allier à la douce humilité de Jésus-Christ aimant les hommes qui l’insultent et le bafouent.

Quels moyens d’arriver à détruire tout cela? Ces moyens sont si simples que je n’ai presque pas à vous les indiquer. Si pourtant vous voulez que je vous les dise, afin que vous les acceptiez en esprit d’obéissance, le premier sera l’habitude de vous mettre aux pieds de Notre-Seigneur, comme Marie, soeur de Marthe, ne vous occupant pas à lui dire beaucoup, ni à vous analyser beaucoup, mais à l’écouter autant que vous pourrez, vous tenant dans la disposition de faire ce qu’il vous dira, mais vous trouvant indigne qu’il vous dise quelque chose et acceptant, comme ce qui vous est dû, qu’il ne vous dise rien. Le second moyen est bien la pratique de la soumission. Et c’est en y réfléchissant avec attention que je comprends aujourd’hui plus que jamais combien cette disposition de soumission, allant directement contre votre indépendance naturelle, qui, en soi, a ses vices, vous avez pu retirer de grands avantages de vous être abaissée devant un homme, pour mieux vous abaisser devant Jésus-Christ. Mais, pour recouvrer cette soumission, qui, en effet, vous est si avantageuse à ce point de vue, il vous faut, ce me semble, beaucoup prier Notre-Seigneur, et voir le maître du ciel et de la terre garrotté, souffleté, conspué, flagellé et prenant la forme d’un esclave pour porter l’ignominie de la croix.

L’objection que vous vous faites, que saint Jean n’a pas blessé Notre-Seigneur à la croix, n’en est pas une. Est-ce que saint Jean n’avait pas fui? Est-ce que saint Pierre n’aimait pas Notre-Seigneur plus que saint Jean? Simon Ioannis, diligis me plus his?(4). Il me paraît dangereux de faire trop ces rapprochements, quand c’est pour trouver que Notre-Seigneur a moins souffert que nous. Mais, ma chère enfant, je ne veux pas insister là-dessus. Admettons que saint Jean eut plus de délicatesse que saint Pierre. Notre-Seigneur, pour faire son oeuvre, choisit cependant saint Pierre. Vous voyez que, si nous voulions nous embarquer sur ces idées, nous irions loin, car les conséquences viendraient en foule. Je préfère vous dire que, pour mon compte, si j’ai envie d’imiter saint Pierre par quelque côté, ce n’est certes pas en vous reniant jamais.

Non, il n’est pas permis d’être malheureux au service de Dieu; mais je comprends que vous le serez beaucoup, tant que vous n’aurez pas détruit, par les moyens que je vous indique, la cause de souffrance qui est au-dedans de vous. Vous êtes tentée de croire que vous n’êtes pas dirigée. Vraiment, c’est possible, car peut-être ai-je trop souvent accepté vos pensées. Mais votre nature étant donnée, devais-je toujours vous imposer les miennes? Indépendante comme vous dites l’être, devais-je, au risque de tout briser, vous forcer à ployer, quand je n’approuvais pas tout chez vous? En ce sens, peut-être n’êtes-vous pas dirigée. Mais qui vous dirigera, ma pauvre fille? Il ne faut pas vous le dissimuler, votre direction, en un sens, est assez difficile; car les qualités que vous avez reçues pour accomplir l’oeuvre à laquelle vous dévouez votre vie impliquent aussi une certaine résistance à la volonté d’autrui. La sainteté me semble consister à user de l’énergie naturelle, sans se laisser dominer par elle, et à la colorer d’une teinte d’humilité chrétienne qui lui te ce qu’elle peut avoir de trop inflexible.

Quant à ce qui m’est personnel, n’ayez donc aucune crainte là-dessus. Est-ce que vous en êtes encore à croire que je me fatiguerai? Mais c’est de l’histoire bien ancienne. Non, ma fille, ce sentiment n’est pas, ne peut pas être chez moi. Mais, vous me l’avez dit, votre lettre vous a fait du bien. Ecrivez-m’en de la sorte, pour que la conclusion soit que vous êtes plus calme.

Il faut, dites-vous, que la grande affaire de vos désirs soit en ordre, pour que vous puissiez aller paisiblement à Dieu. Mettez-les en ordre au pied du crucifix. Il me semble que, après avoir bien récité le Pater, une foule de choses se mettent en ordre. Un voleur qui prierait et qui, au terme de sa prière, verrait qu’il doit restituer, prierait fort bien. C’est à une prière de ce genre que je vous invite. Je suis convaincu que tout ce que vous souffrez vous est un purgatoire. Je vous le dis comme je le pense. Je ne crois pas que ce soit de l’orgueil que le besoin de se sentir dans un devoir réalisable, mais il peut s’y en trouver. En résumé, toute votre lettre est bien bonne. Votre peine même a un côté bien touchant et qui peut aller au coeur de Jésus-Christ.

Adieu, ma fille. Je ne sais pourquoi j’attends aujourd’hui une lettre de vous. C’est peut-être parce que je la désire extrêmement. Mais il faut modérer tout cela. Vous voyez que même celles où vous me croyez faire de la peine me vont. Je crois que, si vous vouliez me donner des coups de bâton, je vous dirais encore merci. Moi, je suis extrêmement aride. Il me semble que j’aime Notre-Seigneur, mais je ne puis pas le lui dire. Je suis tout distrait. C’est triste, mais il faut bien le vouloir, pourvu qu’il n’en soit pas trop offensé et qu’il le prenne en pénitence de tout le mal que je vous fais sans le vouloir.

Notes et post-scriptum
1. Mme Rodier, sans doute, qui demeurait dans cette ville.2. *Tob*. XII, 13.
3. *Rom*. VIII, 28.
4. *Ioan*. XXI, 15.