Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 300.

17 feb 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Le carême – Vos ennuis et les miens – Notre liberté est engagée dans notre oeuvre – M. Gaume – Vies de saints – Une institutrice qui puisse enseigner la musique – Le Breton – L’abbé Chéruel – Mes plans.

Informations générales
  • PM_XIV_300
  • 0+511 a|DXI a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 300.
  • Orig.ms. ACR, AD 492; D'A., T.D. 19, pp. 168-171.
Informations détaillées
  • 1 ANTIPATHIES
    1 ASSOMPTION
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 CAREME
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 DEPENSES
    1 ECOLES
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 FORMATION MUSICALE
    1 FRERES CONVERS ASSOMPTIONNISTES
    1 INSTITUTRICES
    1 LECTURE DE LA VIE DES SAINTS
    1 LIBERTE
    1 LOCAUX SCOLAIRES
    1 MAITRISE DE SOI
    1 PATIENCE
    1 RENVOI D'UN ELEVE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 VENTES DE TERRAINS
    2 AFFRE, DENIS
    2 ALLIBERT, JACQUES
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CATHERINE DE RICCI, SAINTE
    2 CHERUEL, PIERRE-PAUL
    2 GAUME, JEAN-ALEXIS
    2 MARGUERITE DE CORTONE, SAINTE
    2 RUAS
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    2 VALFONS, MADAME DE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le mercredi des Cendres, 17 février 1847.
  • 17 feb 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je vous ai écrit hier quelques mots à la hâte, ma chère enfant. Dussé-je vous ruiner en port de lettres, je vais essayer de vous écrire encore aujourd’hui. Seulement, je vous préviens que, si je n’ai pas rempli ma lettre, j’attendrai un peu plus pour avoir du temps à moi.

Laissez-moi vous souhaiter d’abord de passer ce carême saintement, afin que la grâce de Notre-Seigneur descende de vous sur vos Soeurs, et que les tristes fautes dont vous me parlez dans votre avant-dernière lettre puissent recevoir une expiation dans le lieu même où elles ont été commises. Rien de désolant comme les douloureuses découvertes de ce genre, et je comprends très fort le découragement qui s’est emparé de vous; mais songez pourtant que Notre- Seigneur ne se décourage pas, quoiqu’il voit les plaies de son Eglise.

Pour moi j’ai aussi quelques épreuves de ce genre: j’ai chassé cinq ou six enfants et probablement je vais en mettre à la porte quelques autres. Puis, j’ai à rendre paisibles, si faire se peut, les demoiselles Carbonnel, que je remercie Dieu de m’avoir envoyées comme maîtresses des novices. Si je n’avais à faire qu’à une seule, j’en viendrais à bout; mais deux, c’est trop fort, parce que les paroles qui font du bien à l’une font du mal à l’autre. Il faut aller à tâtons, et au risque de se heurter là où l’on croit pouvoir poser le pied en toute sécurité. Je suis réellement sur les épines. Cependant pour les convenances, je veux que cela dure jusqu’à la fin de l’année, si faire se peut; ce dont je doute par moments. J’espère que cette lutte aura eu pour résultat de m’habituer au support des mauvais caractères; ce qui ne sera pas peu de chose, si tant est que je puisse en venir à bout.

Voilà comment je réponds par le détail de mes ennuis au détail que vous me faites des vôtres. Il importe avant tout que vous vous mettiez, ce me semble, au-dessus de tout ce qu’ils vous font éprouver, et je n’ai pas de meilleure réflexion à vous suggérer que celle qui me soutient. Notre-Seigneur nous a confié une oeuvre; notre liberté y est en quelque sorte engagée; nous serions des lâches, si nous lui refusions de faire quelque chose pour lui, sous prétexte que nous y souffrons.

Les ennuis que cause M. Gaume par ses mauvaises dispositions ont besoin d’être réduits à leur juste valeur, en calculant ce qu’ils peuvent produire de fâcheux résultats. Or, il me paraît que M. Gaume ne peut pas grand chose que vous contrarier un peu. Mais cela même est très bon pour vous forcer à certaines petites exactitudes, auxquelles ni vous ni moi ne tenons peut-être pas assez dans la vie religieuse, mais qui cependant sont d’un très grand avantage. Du reste, M. Gaume pourrait être bien facilement paralysé, ce me semble, si vous alliez quelquefois vous adresser à l’archevêque et lui laisser voir que vous avez quelque influence sur mon arrivée à Paris. Y a-t-il de la vanité à dire que l’archevêque désire que j’aille l’aider pour ses maisons d’éducation?

Le 17 février.

Je suis tellement dérangé qu’il faut que vous me pardonniez, si je laisse sans réponse quelque chose de vos dernières lettres. J’ai lu la vie de sainte Catherine de Ricci, traduite de l’italien par M. Allibert, ainsi que celle de sainte Marguerite de Cortone du même. Ce n’est pas bien fameux, mais ce sont les seules que je connaisse. Mme de Valfons vous remercie de toutes vos peines pour lui procurer une institutrice. Seulement, elle vous rappelle qu’il faut qu’elle puisse enseigner la musique. Mme de Valfons ne demande rien de brillant pour le jeu, mais la capacité de donner une bonne méthode. Puis elle est un peu effrayée de ce que vous dites que ce n’est pas une fille d’esprit; non qu’elle tienne à l’esprit, mais y en a-t-il assez pour bien instruire? Enfin, elle désirerait beaucoup qu’elle pût quitter Paris la semaine après Pâques, parce qu’elle veut aller à la campagne.

Décidément je ne puis faire du Breton qu’un Frère convers, parce que son éducation est toute à refaire. Il ne sait pas un mot d’orthographe, écrit avec une peine extrême; tout cela n’est pas encourageant. Si M. Tissot veut le prendre pour aide, je le lui donnerai, mais nos huitièmes en savent plus que lui. Il a une versatilité incroyable dans ses idées, il manque complètement de tact et de jugement; avec cela il est pieux et doux et montre un excellent caractère. Ruas l’emporte sur lui de beaucoup. Probablement je le mettrai à la lingerie, s’il a assez de tête pour cela.

M. l’abbé Chéruel vient de perdre son père; il a quitté Rome, pour se rendre dans sa famille. Si vous aviez l’occasion de le voir, vous seriez bien aimable de me le gagner; j’ai absolument besoin de quelqu’un qui me remplace ici, supposé que j’aille à Paris pour toujours.

Je suis très préoccupé de mes plans. Je veux décider mon père à vendre et je crois avoir trouvé une combinaison qui pourra m’être utile. Je cherche à obtenir 360.000 francs, avec quoi très certainement je pourrais bâtir d’une manière convenable. J’ai changé le plan, au moins pour quelques parties. Du moment que je renonce à avoir un noviciat à Nîmes, je n’ai pas besoin de deux cloîtres et je réduis la construction à un seul. En donnant au cloître du collège 50 mètres en dedans, je me trouve avoir beaucoup d’espace. Mon idée serait de bâtir de suite les gros murs, ce qui coûte fort peu, et puis de polir peu à peu et de préparer les logements, à mesure que le nombre des habitants augmente. Par exemple, tout ce qui serait sculpture serait laissé pour des temps où l’argent abonderait. En laissant exactement tout ce qui est superflu, on supprimerait bien des dépenses. On m’a parlé de voûtes en briques très solides. Est-ce que l’on ne pourrait pas les employer pour les classes si elles ne coûtent guère plus cher que les poutres? Ce serait bien mieux, pour les cloîtres surtout. Si, comme je le pense, je me mets bientôt en train de bâtir, il est très probable que j’irai dans le courant de mai faire une excursion à Paris.

Adieu, ma chère enfant. Il faut absolument vous quitter, quoique je n’en aie guère envie, mais il est nécessaire de ne pas trop faire attendre les gens. Demandez pour moi une grande possession de moi-même. Adieu, mille fois. Tout à vous en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum