Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 306.

2 mar 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Un professeur renvoyé à remplacer – Dieu est le seul et unique but, le reste n’est que moyen; dès lors, si nous usons de nos relations sans en jouir, nous pouvons les continuer – Il faut se faire petit et très petit, afin de se rapprocher de Jésus-Christ devenu enfant pour nous – De même les souffrances doivent nous attacher à Jésus-Christ crucifié – Manière dont il l’a pratiqué cette nuit même – Ne pas se livrer au désenchantement; il ne faut pas annihiler ses facultés, mais les tenir exercées en Dieu ou pour Dieu – L’amitié n’est coupable que lorsqu’elle détourne de Dieu ou du devoir.

Informations générales
  • PM_XIV_306
  • 0+515|DXV
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 306.
  • Orig.ms. ACR, AD 497; V. *Lettres* III, pp. 216-218 et D'A., T.D. 19, pp. 172-174.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AMITIE
    1 ANEANTISSEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 CALOMNIE
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DIEU CENTRE DE LA VIE SPIRITUELLE
    1 FIDELITE A LA GRACE
    1 HUMILITE
    1 MAITRES
    1 PAIX DE L'AME
    1 PARESSE
    1 REFORME DU COEUR
    1 SCANDALE
    1 SCRUPULE
    1 SENTIMENTS
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 TEMOIN
    1 TRISTESSE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 DECKER, FRANCOIS-JOSEPH
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GIRARD
    2 IMLE, HENRI-JOSEPH
    2 MONNIER, JULES
    2 PRADEL, ABBE
    2 RIGOT, MADAME
    2 SAUVAGE, EUGENE-LOUIS
    3 MONTPELLIER
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 2 mars 1847.
  • 2 mar 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76 rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je voulais vous écrire avant-hier, ma chère enfant. J’en ai été empêché par un triste motif. Je voulais vous parler d’une affaire, mais auparavant aussi, je voulais pouvoir vous en dire le résultat. J’étais forcé de mettre M. Decker à la porte pour sa conduite indigne envers Mme Rigot. Après l’avoir poursuivie pour l’épouser, il la calomnie d’une manière atroce. Le seul tort de cette femme, c’était d’avoir, pour ménager ce malheureux-là, fait une déclaration dont elle eut dû me prévenir. Il part ce soir. Il ira probablement vous trouver, ou bien les Polonais. Je ne sais, supposé qu’il aille chez eux, s’il ne faudrait pas les prévenir que ce qu’il pourra dire est faux. Il pouvait partir sans rien dire, il ne l’a pas voulu. Tant pis pour lui! La chose lui retombera sur le nez. Je n’en suis pas moins préoccupé de l’effet que cela produira pour la maison. Quoique, après tout, on saura que je suis aussi impitoyable pour les maîtres que pour les élèves.

Mais il faut que j’aie recours à vous. Me voilà sans professeur de sixième. Il est bien possible que j’en aie un très bon, cependant je n’en suis pas sûr, et dans tous les cas, j’ai bien peur que M. Pradel ne branle au manche. Je ne voudrais pas être pris au dépourvu. L’ami de M. Imlé est-il placé? Y aurait-il quelque possibilité de compter sur lui pour l’an prochain? Voyez, je vous en prie. Je vous assure que vous me rendrez là un grand service. Je ne vous demande encore rien de positif, mais si pourtant, vous trouvez quelqu’un de bien, je crois que je me déciderai à le prendre. J’ai quelques chambres libres, et je pense que je puis sans difficulté préparer quelques sujets pour l’année prochaine. M. Durand est allé à Montpellier aux informations. Je l’attends d’un moment à l’autre, et, selon ce qu’il m’apportera de positif, je vous écrirai dès demain.

Mardi soir (2 mars)

Depuis ce matin encore, ce pauvre Decker a fait un tel acte d’infamie et il a été tellement confondu devant quatre professeurs que j’ai pris pour témoins, qu’il n’a plus qu’à prendre la diligence et à s’en aller. Figurez-vous qu’il répandait dans la ville que Mme Rigot lui écrivait des lettres et lui donnait des rendez-vous. Je l’ai fait venir dans mon cabinet et je lui ai déclaré que Mme Rigot niant lui avoir écrit, je le traiterais de calomniateur, s’il ne donnait pas des preuves. Il s’est levé et m’a demandé des témoins. Je lui ai donné M. Cardenne, M. Monnier et M. Sauvage. Il avait, disait-il, des lettres; il est allé chez lui et a montré à ces messieurs écrit sur un chiffon et à moitié caché dans un livre cette ligne: « *Je prie M. Decker de ne pas… ». Or on a voulu voir ce qui suivait; il s’y est obstinément refusé. Or, un de nos professeurs avait vu sur sa table ce même billet dont voici toute la teneur: « Je prie M. Decker de ne pas punir mon fils, s’il n’a pas fait son devoir. J’ai voulu qu’il restât à l’infirmerie parce qu’il était malade. » Comment trouvez-vous cela?

4 mars

J’ai reçu hier votre lettre du 27 février. Vraiment, vous êtes une bien excellente créature. Il me semble que ma réponse à ce que vous me dites peut être nette. Dieu est le seul et unique but; tout le reste n’est que moyen: il faut en user et non pas en jouir. Or, en usant de nos relations, comme vous le faites dans votre lettre et dans la précédente, elles vous font du bien et vous dilatent, à ce que vous dites. Donc il faut continuer. Ne vous tracassez nullement de la peine que je puis éprouver, car, à vous le dire franchement, j’aime assez de pouvoir donner de ces preuves à mes amis, en ce sens qu’ils peuvent comprendre que je suis moins indifférent qu’ils ne le prétendent. Du reste, et sous ce que vous appelez votre raideur, et sous vos bonnes paroles je vois toujours votre âme, et il me semble maintenant que j’y puis plonger sans appréhension. Il m’est impossible de trouver pour vous matière à scrupule dans cette souplesse qui semble pourtant vous en donner.

J’avais, il y a quelques mois, pensé que ce qui vous irait peut-être mieux, c’eût été quelque chose où l’égalité des deux côtés se fût fait sentir davantage; mais, à cet égard, il y avait peut-être chez moi trop grand désir de vous montrer de quelle façon j’étais, de mon côté, disposé d’aller à vous. Mais la souplesse et la dépendance, de votre part, n’a jamais pu me paraître un sujet de scrupule. Vous avez bien raison, ma chère enfant, il faut vous faire petite et très petite, et tout ce qui contribuera à vous amoindrir dans le sens des deux textes que vous citez, vous rapprochera de Jésus-Christ, fait petit enfant pour nous. Votre disposition par rapport aux souffrances me paraît également excellente. Avant-hier, en parlant aux Carmélites, j’avais eu une idée à peu près semblable à propos des clous qui doivent nous attacher à la croix de Jésus-Christ. Une fois notre âme ainsi attachée, aucune de ses facultés ne devrait plus se dépendre dans la journée.

J’ai eu un ennui très fort à propos d’une des plus violentes scènes que m’a faites Mlle C[arbonnel]. Dans la nuit, je me réveillai assez préoccupé de l’exaspération où je l’avais vue et des conséquences de cette exaspération. Il me parut qu’il était bien bon de se laisser aller à ce crucifiement, dont j’avais parlé aux autres, et je ne puis vous dire quelle paix et quel calme cela me procura. Je suis sûr que si nous souffrons tant, c’est que nous le voulons bien, en refusant de souffrir. C’est pour cela que j’entre à cet égard pleinement dans votre idée.

Vous avez très grand tort de jeter un regard désenchanté sur votre coeur. Il y a au fond une très grande réalité dans tous vos sentiments, dès qu’ils sont vivifiés par Jésus-Christ. Sainte Catherine, en disant: « Je suis celle qui n’est pas ». se considérait dans sa nature isolée mais unie à Jésus-Christ. Cette nature était grand’chose, ne fût-ce que le prix du sang d’un Dieu. De même, en soi, vos sentiments peuvent n’être rien, alors qu’ils seraient les plus énergiques -et je les crois excessivement énergiques,- mais enfin tous, quels qu’ils soient, du moment qu’ils peuvent être sanctifiés, sont beaucoup. Ne vous livrez pas trop à cette tentation du désenchantement; elle flétrit beaucoup et n’apporte aucun bien. Donner provisoirement sa démission de toutes choses, même de sa vie intime, peut avoir son avantage pour quelques personnes; je ne le crois pas pour vous. Tout ceci finirait par dégénérer en cette paresse, dont vous m’avez parlé plusieurs fois. Annihiler ses facultés ne m’a paru jamais bon. Il les faut toujours tenir exercées, pour qu’elles soient prêtes à tout ce que Dieu veut en faire.

Vous seule pouvez savoir si vous avez été trop aimante. Avez-vous eu alors plus de difficulté à l’oraison, plus de résistance à l’humilité, moins de zèle pour vos Soeurs, moins d’amour pour Jésus-Christ, moins d’horreur du péché? Si oui, eh bien, il faut y porter remède. Si non, il faut laisser les inquiétudes de côté, et, comme je vous vois prête à retomber dans le doute sur les questions que je vous adresse, le meilleur est, je crois, de vous en rapporter à moi. Je prends donc toute la décision sous ma responsabilité, et je vous dis: Restez tranquille. Je ne vois pas trop comment on peut blesser la jalousie de Dieu, en usant d’un moyen qu’il nous donne, quel qu’il soit, pour acquérir les vertus qu’il nous commande.

Ai-je répondu assez clairement? Si vous avez encore quelque embarras, veuillez me l’exposer. Il faut, je crois, en finir au plus tôt avec des peines qui finiraient par ravager votre âme.

Adieu, ma fille. Tout vôtre, comme vous pouvez le voir. Je n’ai pas grande envie de M. Girard(1).

Notes et post-scriptum
1. Un professeur qu'elle lui avait proposé.