Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 323.

8 may 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Soucis divers – L’obéissance nécessaire au directeur – Vous n’avez pas à vous inquiéter si vous me faites de la peine – Ma seule préoccupation : votre plus grand bien – Le sentiment de désharmonie que vous éprouvez – L’esprit d’indépendance – Il m’est impossible de m’absenter en ce moment – Avant de fonder à Paris, il faut consolider la maison de Nîmes.

Informations générales
  • PM_XIV_323
  • 0+522 a|DXXII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 323.
  • Orig.ms. ACR, AD 511; D'A., T.D. 19, pp. 194-196.
Informations détaillées
  • 1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONTRARIETES
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 GENEROSITE DE L'APOTRE
    1 OBEISSANCE DE JESUS-CHRIST
    1 OUBLI DE SOI
    1 PARESSE
    1 POSTULANTS ASSOMPTIONNISTES
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 RENDEMENT DE COMPTE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 PARIS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 8 mai 1847.
  • 8 may 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot,*
    *Paris.*
La lettre

Voilà deux jours que je veux répondre à votre lettre du 3 mai, ma chère enfant, et je ne puis en trouver le temps. Je voudrais être dans mon lit, et les affaires qui me pleuvent sur le dos ne me le permettent pas. Il est vrai que je me lève un peu plus tard et je vous avoue que je ne sais plus si c’est paresse ou quoi, mais il est sûr qu’hier soir, à 9 heures, je n’avais pas dit Laudes de la veille. J’ai dû refuser un sujet extrêmement remarquable, un jeune prêtre de trente trois ans, plein de moyens, mais qui pour des motifs très respectables ne voulait s’engager avec moi que pour dix ans au plus. J’ai eu des parents à consoler de la perte d’un frère, et puis le courant de cette pauvre maison qui a besoin tous les jours de soins plus particuliers.

Mais c’est de vous que je veux vous parler dans cette lettre. Et avant tout, qu’une fois pour toutes vous établissiez, si vous le voulez bien, deux points avec moi. Le premier, que vous exposez vous-même dans votre lettre, c’est que tant que je suis votre directeur, c’est à moi de fixer, à vous d’obéir ou de faire tous vos efforts pour obéir. Le second est que vous n’avez jamais à vous inquiéter si vous me faites de la peine. Mon devoir est de vous en faire quelquefois en vous poussant à ce qui vous répugne ou même vous révolte; votre droit est de ne pas vous inquiéter si vous m’en faites par des rendements de compte pénibles. Je dois vous faire observer, ce que je croyais que vous saviez, qu’il y a une fois pour toutes une disposition tellement absolue en moi à passer par-dessus tout pour aller à votre plus grand bien que, très positivement, je ne me crois pas capable de reculer devant une seule conséquence, dès que je verrais la possibilité de vous faire grandir d’un seul degré dans la vertu. Cette disposition, qui est ce qu’il y a de plus intime dans le lien qui unit mon âme à la vôtre, m’empêche de m’émouvoir beaucoup de ce qui m’afflige pourtant. Le sentiment de désharmonie que vous éprouvez, à ce que vous me dites, j’y vois une tentation très douloureuse pour vous et aussi, croyez-le bien, pour moi; mais il m’est impossible d’y voir autre chose, que la désharmonie vienne d’un défaut d’intelligence de votre part ou de la mienne, peu importe. Dieu le permet pour une raison qu’il connaît, peut-être uniquement pour resserrer, en les purifiant, ces rapports; mais il m’est impossible de croire qu’après nous avoir fait rencontrer, comme il l’a fait, il ait mis en moi une disposition si profonde de dévouement, de servitude affectueuse envers votre âme, il ait fait déjà produire quelques bons effets à ces sentiments, pour laisser ensuite se délier ces rapports ou ne leur faire produire que des fruits amers.

Vous me parlez des révoltes qu’éprouve votre esprit d’indépendance, mais est-ce par votre esprit d’indépendance que vous devez vous laisser diriger? Faut-il lui céder la place? Ou, dans l’ordre de la sainteté, faut-il le combattre? Ne faut-il pas abattre sous le joug de J.-C. toute intelligence qui s’élève contre lui? Ne faut-il pas pénétrer dans le royaume, dont le chef a été obéissant jusqu’a la mort? Et dans ce royaume quelle est donc, je vous prie, la place de l’indépendance? Mais, me direz-vous, je veux l’abaisser, la briser, seulement je ne puis pas. Ma chère enfant, c’est parce que vous ne pouvez pas que je dois vous aider à pouvoir, avec la grâce de Dieu, en vous forçant à essayer. J’approuve donc beaucoup l’effort que vous avez fait, pour vous rendre possible l’entrée dans les sentiments que je vous propose. Remarquez, ma chère enfant, que vous vous plaignez quelquefois de n’être pas conduite, et que, aussitôt qu’on veut s’y mettre un peu, vous êtes effrayée.

Puisque vous m’annoncez une lettre de Soeur Th[érèse]-Em[manuel], j’aime mieux arrêter ici ma lettre, au moment où je reçois de vous celle où en est enfermée une pour Mlle Carbonnel. Elle est au Refuge, attendant une occasion pour Paris. Ses soeurs semblent se calmer, je ne suis pas retourné les voir.

Plus je vois le train de la maison, plus je sens l’impossibilité de m’en absenter; trop de mauvais plis s’y prendraient en ce moment. Il faut différer au mois de novembre ou de décembre. Quant à fonder un établissement à Paris, avant d’avoir consolidé celui de Nîmes me semblerait très imprudent. Les sommes que j’ai avancées me sont un cauchemar et, tant qu’elles ne seront pas payées, il faudra bien que je donne à l’établissement tout le crédit possible.

Adieu, ma fille. Priez pour votre maussade père, qui se sent peu d’entrain en ce moment et qui a pourtant besoin d’en donner aux autres.

Notes et post-scriptum