Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 327.

16 may 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Il doit aller à elle avec son coeur – La postulante partira demain – Il serait tenté de réclamer une partie des lettres qu’elle lui écrivit – Ses nombreux travaux actuels -Les premiers communiants – Etat des novices des deux Ordres – Son état à lui.

Informations générales
  • PM_XIV_327
  • 0+524|DXXIV
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 327.
  • Orig.ms. ACR, AD 513; V. *Lettres* III, pp. 242-246 et D'A., T.D. 19, pp. 199-200.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ASSOCIATION DE L'ASSOMPTION
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COMPTABILITE
    1 DISCIPLINE SCOLAIRE
    1 DISTINCTION
    1 ECONOMAT
    1 FIDELITE A L'ESPRIT DE LA REGLE
    1 FRANCHISE
    1 GENEROSITE
    1 INFIRMERIE
    1 LEGERETE
    1 MALADIES
    1 MEDISANCE
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 PARDON
    1 PENSIONS
    1 PREMIERE COMMUNION
    1 REFORME DE LA VOLONTE
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REMEDES
    1 SANTE
    1 SURVEILLANCE DES ELEVES
    1 SURVEILLANTS
    1 SYMPTOMES
    1 TIERS-ORDRE MASCULIN
    1 TRISTESSE
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 CARBONNEL, ANTOINETTE
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 CUSSE, RENE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 LAURENT, CHARLES
    2 MONNIER, JULES
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    2 PRADEL, ABBE
    2 RIGOT, MADAME
    2 RUAS
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    3 LYON
    3 NIMES
    3 PARIS, EGLISE NOTRE-DAME DES VICTOIRES
    3 PEKIN
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 16 mai 1847.
  • 16 may 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Voilà huit jours que j’ai reçu la lettre de Soeur Th[érèse]-Em[manuel], et, depuis, votre souvenir m’a été plus présent que de coutume, si c’est possible. J’ai demandé à Dieu de me faire connaître ce qui pouvait vous faire le plus de bien, et la seule impression qui me reste après toutes mes réflexions et mes prières, c’est que je dois aller à vous avec mon coeur et avec tout mon coeur. Je vous avoue que cette voie me paraît la plus simple et la plus douce pour moi. C’est la seule objection que j’ai à y faire, et c’est à vous à réfuter l’objection, supposé que du reste, après tout, ce soit le meilleur parti. Pour moi, je vous le dis tout simplement et je n’en vois plus d’autre. Pour cela il faut que peu à peu vous repreniez confiance dans tout ce que je vous veux de bien et que vous acceptiez avec la générosité de votre nature, la pensée d’avoir à pardonner quelque chose, s’il le fallait. Voilà ce que je puis vous dire pour ce soir, car j’ai cherché un moment pour vous écrire; je ne puis le trouver qu’à 9 heures et demie du soir, et demain je n’aurai certainement pas le temps avant le courrier. Enfin, demain, à midi, Mlle Anaïs part: elle sera à Paris samedi soir, vers 10 heures, à la diligence de Notre-Dame des Victoires. Elle compte arriver le matin, mais elle ne sait pas qu’il lui faudra passer à Lyon un jour de plus qu’elle ne pensait, par l’effet du changement des heures de départ. Je vous avoue qu’il me tarde qu’elle soit partie. Tout est venu nous contrarier depuis trois jours. Ses soeurs sont dans Nîmes, et il faut leur laisser croire qu’elle est partie depuis longtemps. Il est vrai qu’elles n’ont pas voulu que je susse leur présence dans la ville. Ce matin, pour comble d’ennui, Monseigneur de Nîmes est allé dire la messe au Refuge. Aussi aurai-je un grand fardeau de moins sur l’épaule, quand je la saurai entre vos mains. Ai-je besoin de vous prier d’en avoir pitié en commençant? Elle vient de passer quarante jours affreux; c’est un bon commencement de noviciat. Il faudra la relever, plus tard, de sa facilité à subir péniblement une première impression. C’est un pli qui ne lui était pas naturel, mais qui a été donné à son caractère par sa soeur aînée. Cela lui passera, quand elle pourra vivre un peu de temps avec des gens qui ne fassent pas du soupçon la base de leur existence.

Je crois qu’il sera essentiel de ne pas aborder du premier coup avec elle la question d’argent. Ses soeurs répandent partout qu’elle va les tracasser pour la fortune. Mlle Anaïs vous contera comment tant qu’une vieille dame de 80 ans vivra, il serait imprudent d’exiger rien et comment Mlle Antoinette fournira sous main ce qui sera nécessaire pour la pension. Il importe qu’au commencement surtout nous nous montrions généreux. Mon intention est de fournir tout ce qui lui sera nécessaire. Vous figuriez-vous que depuis un mois sa soeur aînée n’a voulu lui faire parvenir que 100 francs. Pour qu’il soit entendu que je ne lui prête pas un sou, je lui ai fait remettre pour son voyage 200 francs par une tierce personne, à qui je suis censé les avoir prêtés. Toutefois elle est d’une étonnante [vigilance?] pour ses droits et elle aura certainement, avant quelques années, à elle environ 100.000 francs.

Ecrivez-moi donc tout ce que vous pensez sur moi; mais soyez assez bonne pour l’écrire sur un format semblable à celui-ci, parce que je garde à part celles de vos lettres qui me concernent directement. A ce propos, savez-vous que j’ai passé un temps énorme, il y a quelques jours, à collectionner celles de vos lettres qui me restent et que je me suis trouvé bien bon d’avoir consenti à vous en rendre un certain nombre. Prenez garde que je ne cède à la tentation d’exiger une restitution complète de tout ce que vous m’avez écrit.

Pour en revenir à ce qui me concerne, laissez-moi vous dire pour mieux vous camper:

1° Qu’il m’a fallu réorganiser la lingerie, à quoi Ruas suffit tant bien que mal, et que votre jeune homme sera reçu à bras ouverts, parce que Ruas est écrasé par les affaires de la dépense.

2° Que l’infirmerie, où Mme Rigot ne paraît presque plus, m’offre une foule d’abus à réformer; ce qui ne se fait pas par une simple ordonnance, mais par une série de visites faites à tous les moments du jour.

3° J’ai une première Communion pour le 3 juin. J’avais 38 élèves; je les ai réduits à 36 et probablement nous descendrons jusqu’à 30. Le malheur est que la division, à laquelle ils appartiennent presque tous, est tenue par un surveillant nul. Il faut, de la part de presque tous les maîtres, d’incroyables efforts pour remonter ces petites têtes. Je viens de les séparer, et les prêtres de la maison s’occuperont spécialement d’eux aux récréations et aux promenades. Mais croyez que 36 enfants à faire préparer donnent plus d’un brisement de tête. J’ai découvert que l’un d’eux -et c’est un des meilleurs- vomissait à plaisir, afin de rester à l’infirmerie; un autre, plus âgé, il est vrai, se frappe le coude contre une table, quand il entend le médecin, afin de se rendre irréguliers les mouvements de son pouls. Ce ne sont pas de gros péchés, mais cela vous donne une idée des ruses de ces petits drôles.

4° Les surveillants ne sont pas et ne font pas ce qu’ils pourraient être et ce qu’ils pourraient faire. Il faut les maintenir par une action continuelle sur eux.

5° L’Ordre aussi me préoccupe assez. M. Tissot se développe admirablement par l’esprit de prière et de charité; il n’ose pas encore beaucoup me parler, mais il fait beaucoup et je le sais par Cardenne. M. Laurent ne sera même plus professeur l’année prochaine(1). M. Henri va assez bien, ainsi que son frère, mais les horribles préventions que Mlle Is[aure] a données sur son compte à M. Goubier forcent à le tenir un peu à l’écart; ainsi, c’est à moi que M. Ruas s’adresse pour les achats, etc., tandis qu’il eût été plus simple de laisser cela à l’économe qui s’en serait fort bien acquitté. Mais figurez-vous que Mlle Isaure a eu le courage d’envoyer à M. Goubier les comptes de la dépense, à la condition expresse qu’il ne les porterait jamais à l’Assomption, afin que M. Henri ne puisse pas les voir; elle me l’a écrit en toutes lettres. M. Goubier donne là-dedans; il faut le ménager. Du reste, cela me force à connaître certains détails, qu’il est bon d’avoir un peu examinés au moins une fois. Cela vous explique comment le départ me cloue encore ici tout le mois de mai et peut-être de juin. Il faut que personne n’usurpe, de la succession de ces dames, que ce que je veux donner, et cela sans commotion trop vive. C’est, du reste, grâce à Dieu ce qui a eu lieu jusqu’à présent.

M. Cardenne se développe aussi très bien. Lui et M. Durand auraient voulu que j’allasse à Paris pour me détendre un peu les nerfs. Ce cher enfant est réellement plein de coeur et, de plus, un saint garçon. M. Saugrain va un peu mieux. Il me faudrait six surveillants comme lui et je pourrais aller à Pékin sans scrupule; la maison irait toute seule. Ruas, jusqu’à présent, va très bien à son emploi; il en est si heureux qu’il s’y porte avec une fureur d’économie, d’ordre et de calcul, qui a bien son côté amusant. Les deux qui m’inquiètent en ce moment, c’est M. Blanchet, dont l’esprit léger ou plutôt sans suite, sans règle, sans ordre et sans tenue, est quelque chose de désolant, et M. Cusse, qui devient tous les jours un peu plus ours mal léché et ne nous rend plus les mêmes services qu’autrefois, pour l’ordre et la tenue des élèves. Puis, l’esprit délétère de M. Pradel, qui, avec ses plaisanteries très amusantes, son ironie sur tout ce qui est de sentiment, la lutte qu’il traduit au dehors par un scepticisme mal voilé, exerce une funeste influence sur plusieurs(2).

Ce qui va le mieux, somme toute, c’est le Tiers-Ordre. J’ai nommé Monnier maître des novices, et, quoiqu’il crache le sang, il s’acquitte à merveille de sa mission auprès des tertiaires.

Mais il me semble que je voulais être court. Enfin, vous aurez des détails suffisants pour éclairer vos observations. Laissez-moi ajouter que je me lève un peu plus tard, que je ne récite presque jamais l’office en public, que je prends le lait d’ânesse, que j’ai fait gras les jours maigres de toute la semaine dernière, que je m’occupe peu des détails, excepté pour ce que les circonstances présentes m’ont paru exiger.

Adieu, ma bonne fille. Laissez-moi croire à tout ce que vous me disiez dans votre avant-dernière lettre. Celle qui vient de m’arriver me montre au fond de votre pauvre âme une tristesse, sur laquelle je ne me méprends pas. Mon Dieu, que puis-je donc faire pour vous soulager? Adieu, ma chère enfant. Il faut pourtant que je m’arrête et que je vous dise que je suis, au-dessus de toutes vos peines et de vos défiances et de vos tentations d’indépendance, plus que jamais affectueusement, entièrement tout vôtre par le fond de l’âme.

Notes et post-scriptum
1. Depuis près d'un an, il n'était plus novice, tout en étant professeur. On le voit se faire inscrire de nouveau au Tiers-Ordre, le 22 janvier 1848.
2. Depuis le mois de janvier, l'abbé Pradel était simple professeur.