Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 333.

30 may 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Son temps est absorbé par une foule de détails – Il a de nouveau pris de bonnes et fortes résolutions de se dépouiller – Demande de maîtres – Sainteté de Cardenne – Embarras divers – Nature de leurs rapports mutuels à venir – Candidature d’un surveillant – Nouveau plan du futur collège.

Informations générales
  • PM_XIV_333
  • 0+526|DXXVI
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 333.
  • Orig.ms. ACR, AD 517; V. *Lettres* III, pp. 249-253 et D'A., T.D. 19, pp. 206-207.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 AMITIE
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 AMOUR FRATERNEL
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANNEE SCOLAIRE
    1 ASSOMPTION
    1 AUGUSTIN
    1 BATIMENTS DES COLLEGES
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORPS ENSEIGNANT
    1 DETACHEMENT
    1 ECONOMAT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FORMATION A LA VIE RELIGIEUSE
    1 HUMILITE
    1 MAITRES
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PERSEVERANCE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BLONDEAU
    2 BUCHEZ, PHILIPPE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CHARPENTIER
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL
    2 GAY, CHARLES-LOUIS
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GIRARD, GR.
    2 GIRON
    2 GOBERT
    2 LAURENT, CHARLES
    2 MICHEL, ERNEST
    2 MONNIER, JULES
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    2 RUAS
    2 SEMENENKO, PIERRE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 30 mai 1847.
  • 30 may 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

J’attends de pied ferme M. Gobert, ma chère enfant, et, avec lui, j’attends aussi la lettre que vous m’annoncez. Je trouve, en effet, comme vous, que j’ai bien des choses à vous dire et que je vais ne vous les disant pas, je ne sais vraiment trop pourquoi, sinon que le temps me manque et que je suis forcé d’en donner beaucoup à une foule de détails, jusqu’à ce que la maison soit définitivement constituée. Et cependant, toutes les fois que ma pensée veut s’appuyer un peu sur de l’affection, c’est de votre côté qu’elle court bien vite. Mais vous avez beau dire, quelquefois je ne l’ose pas, parce que c’est trop bon. Il me semble toutefois, je dois vous l’avouer, que je deviens moins mauvais. La catastrophe de Ruas m’a tellement bouleversé qu’il a bien fallu faire malgré soi des réflexions(1). Il me semble que je prie davantage et mieux. Comment, en effet, voulez-vous que l’on voie de pareilles chutes, et si profondes, sans frémir pour soi et voir jusqu’où l’on peut s’abîmer, si la grâce de Dieu ne nous soutient? Aussi ai-je pris encore de bonnes et fortes résolutions de me dépouiller le plus possible de moi-même et de m’attacher à Notre-Seigneur par le fond de mon être. Demandez-lui bien pour moi que ce don soit, cette fois-ci, plus constant que les autres que je lui ai faits et après lesquels je me suis si tristement repris.

Mais je voulais vous parler de l’organisation de la maison pour l’année prochaine. M. Michel ne pourrait-il me procurer un bon instituteur primaire? Et, s’il était nécessaire que j’écrivisse en Suisse, à qui devrais-je m’adresser? Vous comprenez qu’il me serait infiniment précieux d’avoir quelqu’un qui fît commencer nos plus jeunes enfants avec la méthode du P. Girard. Il me semble que M. Michel pourrait me rendre un grand service en ceci, et lui-même en comprendra, j’en suis sûr, l’importance. Si M. Laurent nous quitte l’année prochaine -et à cela il y a une grande apparence,- il me faudra trois professeurs nouveaux pour la seconde, la troisième et la quatrième. Comme je sais où prendre, parmi nos maîtres, les professeurs de quatrième ou de troisième, je me contenterai d’un professeur de cinquième. Comment M. Buchez n’a-t-il plus personne dans sa manche? Ou bien comment, de tant de jeunes gens dont me parle M. Blondeau, n’en est-il aucun qui veuille essayer de notre vie? Du reste, j’espère avoir ici moins de difficultés, parce que la réputation que nous obtenons tous les jours m’attire une foule de demandes, et que la difficulté n’est pas de trouver des sujets, mais d’en trouver de bons. Le supérieur de notre Grand Séminaire prend tous les jours un intérêt plus grand à la maison, et c’est beaucoup, parce qu’il laisse les jeunes gens songer à nous arriver.

Le 31 mai.

Hier a été un bon jour: j’ai reçu trois de vos lettres, une par la poste et deux par M. Gobert qui nous est enfin arrivé. Je suis très content de sa bonne tournure, mais je veux vous répondre par ordre. Je prends donc vos trois lettres l’une après l’autre.

J’aime beaucoup ce que vous faites faire à vos jeunes Soeurs. Ce que vous me dites au sujet de vos espérances sur Soeur Marie-Emmanuel me charme. Mais, le croiriez-vous? J’ai cru découvrir, dans la préférence que vous aviez pour cette pauvre enfant, une de vos aimables délicatesses, dont je vous sais vraiment gré et dont j’espère qu’elle profitera. Me suis-je trompé? J’attends avec impatience ce que vous avez à me dire sur les miens. Seulement, ayez pitié de ce pauvre Cardenne. Ce n’est pas le sommeil qui lui manque, mais la santé. Si j’étais plus riche, c’est lui que j’enverrais à Paris, quoique, à vrai dire, son jugement pratique soit peu sûr, à mon gré. Je suis quelquefois tenté de croire qu’il se passe en lui quelque chose de ce qu’éprouva M. Olier, avant la fondation de Saint-Sulpice. La veille du jour où je reçus la lettre dans laquelle vous me parlez de lui, il vint dans mon cabinet m’avouer, ainsi qu’à Monnier, qu’il se sentait devenir bête. Cet aveu fait avec une grande humilité et une grande résignation à une infirmité pareille me toucha jusqu’au fond de l’âme. Je crois que c’est un état de crise, dont tous nous nous apercevions et qui est d’autant plus remarquable que nous avions constaté, pendant tout l’hiver, chez lui, un progrès tout opposé. Mais j’en reviens à ce que vous m’annoncez, je tiens beaucoup à avoir vos idées sur nous et sur nos études.

Vous savez maintenant si les soupçons que j’avais étaient fondés. Vous voyez que j’ai agi comme vous le désiriez. C’est qu’en effet il n’y avait qu’une route à suivre. Voilà un mal retranché. Mais il me reste autre chose à chercher, c’est un dépensier sur qui on puisse compter. Qu’il est triste d’être entravé sans cesse par ces détails! Puis, il me faut trouver de l’argent, pour payer une dette avant la fin de l’année. Tout cela est fort ennuyeux.

Oui, ma chère enfant, vous m’avez fait beaucoup de bien, et je suis sûr que vous m’en ferez encore beaucoup. Ce que vous dites, dans votre troisième lettre, au sujet des sentiments de Mlle Anaïs, me va très fort, et puisque, sur ce point, il y a certitude de ce que vous êtes, je suis pour ma part en pleine et entière liberté, ce qui est un grand bien. Vous me demandez dans quels rapports il faut nous placer désormais. Croyez-vous qu’il faille le chercher beaucoup? Ne vaut-il pas mieux laisser Notre-Seigneur faire lui-même ce qu’il voudra? En même temps que nous nous appuierons toutefois sur cette pensée: d’une part, que Dieu veut que je vous sois un père; de l’autre, qu’il ne faut pas chercher à ce que je vous sois ce qu’une maîtresse est pour sa novice. Je dois conserver, ce me semble, la portion d’autorité qui vous laissera le mérite de l’obéissance; mais je dois aussi, avant tout, me souvenir de ce mot de saint Augustin, dont je trouve ici une application merveilleuse, superemineat charitas. C’est à l’union absolue que nous devons tendre, et pour cela je vous avoue que le sacrifice de mes idées propres me coûtera bien peu.

Je déplore le sentiment de fierté qui m’a fait vous laisser consulter le P. Semenenko, (qui, par parenthèse, va aussi bien que possible). Si j’eusse été plus humble, je n’y eusse pas consenti, et vous ne vous seriez [pas] mal trouvée d’une de ces réponses qui ne semblent rien et qui laissent de profonds ravages après elles. Quant au moyen de me revenir, c’est aux pieds de Notre- Seigneur que vous devez me retrouver. Quand je m’y place bien, il me semble que je ne vous ai jamais perdue.

Remerciez mille fois de ma part, M. Blondeau de son zèle pour mon oeuvre. Je crois cependant le prier de permettre que je n’accepte pas M. Giron. J’ai à présent besoin d’hommes un peu plus instruits que me semble l’être M. Giron. Il me faudrait un dépensier, et s’il voulait l’être, je le prendrais, mais comme surveillant, je ne crois pas devoir le prendre.

Je n’ai pas besoin de vous conjurer d’être bonne pour Soeur Marie-Vincent. Ce qu’elle vous révèle de sentiment était à peu près resté enveloppé au fond de son âme. Il faut qu’elle ait une grande envie de vous laisser tout voir, pour qu’elle vous montre ce côté de ses impressions.

Vous avouerai-je que je ne suis pas émerveillé des plans de M. Gay? D’abord, les changements qu’il a faits sont inadmissibles en très grande partie; ensuite, la surveillance devient nulle en certains endroits; puis, l’espace manque dans les dortoirs; enfin, songer dans nos pays à nous loger dans ces mansardes est vouloir nous faire rôtir. Figurez-vous que nous en sommes déjà à dormir les fenêtres ouvertes. Les toits à angles aigus vont très bien pour les constructions du Nord, à cause de la neige; ici, où la neige est une merveille de deux ou trois jours tous les quatre ou cinq ans, les toits plats donnent bien plus d’espace. Puis, l’idée d’une loggia, pièce si précieuse dans notre Midi, n’a pas de sens avec la construction de M. Gay. Aussi, je n’hésite pas à préférer le plan de M. Charpentier, quoique je ne l’aime guère. Voyez mon mauvais goût! Si le jeune médecin dont vous parle M. Blondeau est réellement capable, envoyez-le-moi. Mon Dieu, que je regrette de ne pas pouvoir aller là-bas! Mais je viens de causer avec M. Durand, et lui qui voulait me faire partir ne peut plus me donner ce conseil.

Adieu, ma fille. Il me semble que j’aurais à vous écrire au moins autant que vous venez de lire. Adieu. Tout vôtre en Notre-Seigneur.

E.D'ALZ[ON].
Notes et post-scriptum
1. Allusion à un maître laïque qu'on avait dû renvoyer.