Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 347.

8 jul 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

L’état de sa santé l’oblige à se rendre aux Eaux-Bonnes – En se donnant tout aux autres, il faut aussi se donner un peu à soi-même et se créer une solitude – Nos idées baissent en quelque sorte sous le poids de notre lâcheté – Pour les relever, elle devrait, en dehors de l’oraison, prendre pour elle une heure chaque jour – Il doute, comme elle, qu’il puisse être pierre fondamentale – Nouvelles diverses – Vocations.

Informations générales
  • PM_XIV_347
  • 0+533|DXXXIII
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 347.
  • Orig.ms. ACR, AD 526; V. *Lettres* III, pp. 266-271 et D'A., T.D. 19, p. 215.
Informations détaillées
  • 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
    1 ACCIDENTS
    1 ACTES MEDICAUX
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 CURES D'EAUX
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EFFORT
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 EPOUSES DU CHRIST
    1 EXAMEN
    1 EXERCICES RELIGIEUX
    1 FONDATEUR
    1 LACHETE
    1 LEVER
    1 NEGLIGENCE
    1 ORAISON
    1 PAIX DE L'AME
    1 PENSIONS
    1 POSTULANTS ASSOMPTIONNISTES
    1 PROGRES DANS LA VIE SPIRITUELLE
    1 REFLEXION
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SOLITUDE
    1 SUPERIEURE
    1 VACANCES
    1 VERTU D'OBEISSANCE
    1 VIE DE PRIERE
    1 VIE DE SILENCE
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    1 VOEUX DE RELIGION
    2 ACHARD, MARIE-MADELEINE
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CHAUVELY, MARIE
    2 EVERLANGE, JEAN-LEOPOLD-DIEUDONNE
    2 EVERLANGE, LEON
    2 EVERLANGE, MADAME JEAN-LEOPOLD D'
    2 EVERLANGE, MARIE-EMMANUEL
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
    3 EAUX-BONNES
    3 NIMES
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 8 juillet 1847.
  • 8 jul 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

J’avais pris la résolution de ne vous écrire que deux lignes, ma chère enfant, mais malgré moi je manque à cette promesse pour vous remercier de votre bonne longue lettre du 3 au 5 juillet. Evidemment, vous allez mieux, puisque vos paroles me font plus de bien et qu’elles portent avec elles une impression d’apaisement, qui, je l’espère, deviendra plus grand de jour en jour.

La cause de ma résolution de silence est ma santé. A peine vous ai-je écrit ma dernière lettre que je fus pris d’une nouvelle esquinancie, mais bien plus forte que la première. Dimanche, il me fallut appliquer les sangsues; mon gosier s’était entièrement fermé. Comme je ne puis deviner la cause de cette rechute, j’ai fini par me rendre aux ordres de mon médecin, qui veut que j’aille prendre les eaux. J’en suis vivement contrarié. Voilà les vacances qui arrivent, et c’est pour moi un temps bien occupé. Il y a tant d’ordres à donner avant et après la distribution des prix. Elle a lieu le 16 du mois d’août. Il me faudra être de retour le 10, ce qui me laissera bien peu de temps pour ma course. J’aurais voulu partir aujourd’hui, mais j’ai eu peur de ne pas me trouver les forces suffisantes. Je partirai dimanche(1). Vous voudrez bien m’adresser vos lettres aux Eaux-Bonnes. Il est très possible que ma mère veuille m’accompagner; cependant, je n’en suis pas encore certain.

Les détails que vous me donnez dans votre lettre sur vos occupations sont excellents, et je les trouve d’autant meilleurs que je suis résolu, depuis quelque temps, à faire quelque chose de semblable. Je l’ai même commencé. Il me semble que cela me réussit assez. Mais, le croiriez-vous? à mesure que je sens le besoin de m’occuper davantage des miens, je sens aussi la nécessité de me faire davantage une solitude. Je la rendrais beaucoup plus grande, si je pouvais compter sur un bon sous-directeur, parce que je ferais faire beaucoup de choses. Malheureusement, je n’en ai pas, et M. Henri a trop de dispositions à faire par lui et pour son propre compte pour que je ne sois pas obligé de me charger de beaucoup de choses encore.

Ceci n’empêche pas que je voudrais beaucoup pouvoir en venir, jusque dans une certaine mesure, au point que vous m’indiquez pour être réellement pierre angulaire. Mais j’en reviens à ce que je vous disais. En même temps que l’on se donne tout aux autres, il faut aussi se donner un peu à soi-même, et c’est pour cela que je vois le grand avantage de la solitude en certains moments. C’est pour cela encore que je ne suis point fâché de m’absenter quelque temps pour me mettre à l’écart, et réfléchir sur moi et sur les autres pour leur faire plus de bien, en m’en faisant à moi-même. C’est là, je crois, un des moyens de pouvoir venir à bout d’avancer toujours vers le bien, en y poussant les autres.

Vous êtes effrayée de vous sentir si peu bonne épouse. Trouvez donc, malgré le don absolu de vous-même aux autres, un peu de temps pour vous occuper un peu de votre Epoux. Soyez bien persuadée que la prière donnera plus de force à vos paroles et qu’un quart d’heure de direction opérera plus de bien alors qu’une demi-heure sans cette préparation. Je crois l’avoir éprouvé et je pense n’être pas le seul à être de cet avis.

Ce que vous me dites de vos vues d’obéissance et de perfection au sujet de votre vocation, à l’époque où vous vouliez vous consacrer à Dieu, est très juste. Nos idées baissent en quelque sorte sous le poids de notre lâcheté. Il faut les relever par l’énergie de nos efforts. Je vous engage très fortement à relever le bien qui s’est affaissé en quelque sorte dans votre âme, par le sentiment de ce que vous deviez être. Car, si vous aviez en effet fait quelques progrès, vous auriez été dans la voie de la perfection; comme le voyageur qui, à mesure qu’il avance dans sa route, découvre de nouveaux horizons, vous auriez, vous, des qualités plus délicates et plus hautes à donner à votre vertu. Enfin, puisque vous avez bonne volonté maintenant, espérons que vous en profiterez pour réparer ce que ces quelques années ont pu vous faire perdre.

Vous voudriez que je puisse vous fixer ce que je crois avantageux pour votre obéissance. Le voici. Pour le moment, je répugne beaucoup à vous imposer telle ou telle pratique que des circonstances indépendantes de votre volonté pourraient vous empêcher d’accomplir. La seule à laquelle je tiendrais, si votre santé vous le permet, c’est de vous lever une demi-heure avant vos filles, sauf les jours de l’office de nuit. Mais il me semble que vous pourriez fort bien, si vous le pouvez sans trop de contention d’esprit, vous exercer à faire par obéissance tout ce que vous donnez de temps et de soins à vos Soeurs, et, dès lors, à le faire aussi parfaitement que vous le pourrez. En vous confessant d’y avoir manqué, vous n’aurez cependant à vous accuser que de la négligence, mais non de la désobéissance. Vous voyez que j’entre bien sous ce rapport dans votre manière de voir et que votre servitude à l’égard des âmes est tout à fait approuvée par moi. Mais ce que j’exige avec non moins d’autorité, c’est que vous trouviez, en dehors de l’oraison, au moins une heure par jour pour vous occuper de vous. Que ferez-vous en cette heure? Ou une lecture spirituelle, ou une méditation, ou vous écrirez, ou vous vous reposerez en pensant sans agitation à votre charge de supérieure, ou vous vous promènerez uniquement pour vous délasser, en élevant doucement votre pensée vers Dieu. Mais il faut que vous vous arrangiez pour trouver cette heure, qui tantôt sera employée à détendre vos ressorts, tantôt à les remonter. A cet égard, je m’en rapporte à vous.

Remarquez que, lorsqu’il y aura eu une raisonnable impossibilité morale à trouver cette heure, je ne vous oblige pas à vous coucher plus tard pour la prendre sur votre sommeil. Pour vous ôter à cet égard vos scrupules, faites- vous décider la chose par Soeur Th[érèse]-Em[manuel], qui, ce me semble, doit être entièrement de mon avis. En d’autres termes, sur les sept heures qu’une religieuse de l’Assomption se trouve avoir ordinairement pour elle, je veux que vous vous arrangiez pour en avoir une à vous.

Mes prescriptions sont courtes, vous le voyez. Elles sont claires, ce me semble, puisque la première est une pratique, la seconde ne fait qu’accepter ce que vous désirez faire, pour vous donner le mérite de l’obéissance, et je crois avoir assez détaillé la troisième pour que vous la compreniez et la pratiquiez sans trouble. Je n’ai pas besoin d’ajouter que je désirerais que ce fût une heure de suite. Pour le moment, je crois ne pas devoir vous imposer rien autre chose comme obéissance, et je vous débarrasse dès lors de tout ce que j’ai pu vous imposer précédemment. Je désire savoir si ce genre de prescriptions vous va, parce que probablement, de longtemps, je ne vous en imposerai pas d’autres, au moins de générales. Quant à la manière d’employer l’heure, plus tard, si vous le voulez, nous en causerons; mais ce ne sera pas une affaire d’obéissance.

Vous doutez, ma chère enfant, que je puisse être pierre fondamentale. Je vous avoue que je partage votre doute et que je l’accepte sans beaucoup de peine au point de vue de l’incapacité de ma nature. Il est étonnant comme, depuis quelque temps, je fais bon marché de moi. Aussi la seule chose que je me sente quelque envie de demander à Dieu, c’est qu’il veuille bien prendre quelqu’un pour le mettre à ma place, si je ne puis être qu’un mauvais instrument pour son oeuvre. D’autre part, il me paraît assez clair que Dieu veut s’emparer un peu plus, je devrais dire entièrement, de moi, mais que c’est dans le silence que je dois le trouver. Et vous ne sauriez croire combien je suis aise d’avoir rencontré dans votre lettre une disposition semblable, quand vous me dites que vous sentez la possibilité de vous relever par la solitude en face de Dieu.

La lettre de Mlle Isaure ne me surprend pas. Quant à ce que lui a dit Chauvely, cette sainte fille me l’a conté elle-même. C’était un reproche qu’elle faisait à Mlle Carbonnel: « Vous voulez trop, lui disait-elle, que M. d’Alzon fût après vous. Dans quinze jours, c’est à peine s’il m’a dit un mot (ce qui était faux), et je ne m’en suis pas fâchée. » Rien n’est prudent, rien n’est dévoué comme Chauvely, mais quand elle vous tient, il faut la garder des heures; et je l’ai ainsi tenue, dans ces quinze jours, sept ou huit fois à la manière du Tartare.

Les parents de Soeur Marie-Madeleine n’ont pas répondu, parce qu’ils voulaient me voir et que j’étais malade. Je leur ai écrit deux fois. M. d’Everlange m’a remis 500 francs pour sa fille. Faut-il les envoyer ou bien les garder comme acompte? Il m’a demandé ce que je pensais de l’approbation à donner pour les voeux de Soeur M.-Em[manuel]. J’ai répondu qu’il fallait approuver, et il approuvera malgré l’opposition de son fils Léon qui tient absolument que sa soeur attende vingt et un ans.

J’avoue que je serais très heureux de recevoir la profession des Soeurs nîmoises, mais mon voyage aux Eaux-Bonnes m’empêchera de les voir pendant les vacances. Cependant, je ne puis encore rien dire, car j’ai un grand désir de vous revoir. La mine de sujets, dont je vous ai parlé, se compose de divers filons: des évêques qui me donnent des sujets, et de jeunes prêtres qui s’offrent d’eux-mêmes. Moi, je ne compte que sur nos élèves, parmi lesquels j’en vois de charmants.

Adieu, ma fille. Tout à vous du fond du coeur.

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. C'est-à-dire le 11 juillet.