Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 350.

2 aug 1847 Eaux-Bonnes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Faudra-t-il que je me fâche tout rouge ? – De pures sottises que guérirait un peu de votre ancienne confiance – Je m’en vais demander *votre croix* – Défiances secrètes injustifiées – Nouvelles de diverses personnes – Racheter par des souscriptions des catholiques les principaux établissements de France – Que N.-S. me donne vos souffrances et vous rende la paix – M. Raynaud.

Informations générales
  • PM_XIV_350
  • 0+538 a|DXXXVIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 350.
  • Orig.ms. ACR, AD 531; D'A., T.D. 19, pp. 215-218.
Informations détaillées
  • 1 ABANDON A LA MISERICORDE DE DIEU
    1 ACCEPTATION DE LA CROIX
    1 ASSOMPTION
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 COLERE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 COMPASSION DE LA SAINTE VIERGE
    1 DEFIANCE DE SOI-MEME
    1 DOUTE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 FRANCHISE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 MALADIES
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 SOEURS CONVERSES
    1 SOLITUDE
    1 SYMPTOMES
    1 UNION DES COEURS
    2 BAUTAIN, LOUIS
    2 BAYLE, JOSEPH
    2 BERNARD, SOEUR
    2 DARRALDE, JEAN-BAPTISTE
    2 DARRALDE, MADAME JEAN-BAPTISTE
    2 POILOUP, FERDINAND-M.
    2 RAVIGNAN, GUSTAVE DE
    2 RAYNAUD, ABBE
    2 SALINIS, ANTOINE DE
    2 VATIMESNIL, ANTOINE DE
    3 FRANCE
    3 JUILLY
    3 LOUVIE
    3 LYON
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Eaux-Bonnes, le 2 août 1847.
  • 2 aug 1847
  • Eaux-Bonnes
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Ma bien chère et bien aimée fille,

Il faut absolument que je vous gronde et que je me fâche tout rouge avec vous; je vois qu’il n’y a pas d’autre moyen d’en finir avec vous. Pensez-vous, ma chère enfant, que si je croyais que vous dire des injures exprimât mieux le fond de ma pensée, je vous en dirais, mais des plus fortes. Car enfin pensez- vous qu’avec tout votre excellent désir de ne pas me faire de la peine, je ne découvre pas que vous souffrez de certaines peines intimes, qu’il vous plaît d’appeler sottises, et qui en sont, en effet, mais dans un autre sens que vous le dites. Toutes vos tentations possibles et imaginables, je m’en charge devant Dieu, et si ce n’est que cela qui vous tourmente, ce n’est certainement pas la peine d’aller trouver quelqu’un. J’en réponds sans aucune difficulté. Je comprends qu’il y ait des choses que l’on n’aime pas écrire. Mon Dieu, chère enfant, je crois les deviner; les dire ne vous guérira pas. Un peu de votre confiance d’autrefois vous ferait beaucoup plus de bien. Mon enfant, ne croyez pas qu’en ceci je me compte pour quelque chose. Je vous assure qu’il m’est bien égal d’avoir à souffrir quelque chose, pourvu que je vous fasse un peu de bien et que je vous ramène à Notre-Seigneur. Hier, j’ai appris la mort de Soeur Bernard, cette stigmatisée de Marie-Thérèse, dont je vous ai parlé. On m’envoyait une médaille de Notre-Dame des Sept-Douleurs, et l’on m’engageait à lui demander ma guérison; comme je ne suis guère pour les miracles de cette espèce, je voulais demander l’amour des croix. La voilà toute choisie; je m’en vais demander la vôtre, votre croix, si je n’ai pas d’autre moyen de vous guérir. Peut-être celui-là réussira-t-il? Oh! si en échange Notre-Seigneur voulait vous faire comprendre ce que je vous suis! Mais il est peut-être bon que vous l’ignoriez, et alors il faut adorer les doutes et le scepticisme d’affection qui percent au fond de toutes vos lettres. Cependant, autant que je puisse en juger impartialement, étant partie aussi intéressée, il me paraît que cela ne vous est plus bon, puisqu’il me semble que vous commencez à perdre votre énergie morale.

C’est sous la main et l’oeil de Dieu que je me place, ma chère enfant, pour vous dire que vous avez bien grand tort de nourrir ces défiances secrètes. Je ne pourrais jamais trouver que cela soit bien. Rendez-moi donc, ma fille, bonnement et doucement la confiance d’autrefois. Pourquoi vous permettre ces doutes qui vous font tant de mal? Ecrivez-moi bien vite, non plus ici, votre réponse ne m’y trouverait plus, mais à Nîmes, que vous ne voulez pas vous laisser aller à ces idées fausses qui ont fait tant de ravages dans votre âme. La guérison sera longue, mais peu importe, pourvu que nous vous guérissions.

Remarquez que je ne vous défends pas, par tout ce qui précède, d’aller trouver le P. Jésuite. J’aime mieux vous laisser sur ce point dans une grande liberté, mais il me semble qu’il vous vaut bien mieux aller en paix avec votre pauvre père. Laissez de côté ces vilaines idées de redevenir femme du monde; mais y pensez-vous sérieusement?

Je suis allé hier à Louvic. J’y ai vu l’ancien curé, M. Bayle, j’ai demandé des nouvelles des familles de vos Soeurs béarnaises. Tous leurs parents sont bien, excepté leur tante Rose qui crache le sang et qui paraît dangereusement attaquée. Vous ai-je écrit que M. Darralde irait à Paris cet hiver avec sa femme?

J’ai beaucoup parlé ici avec M. de Salinis de notre oeuvre. Il a une idée qui, si elle réussissait, la rendrait féconde; ce serait d’y intéresser les catholiques de toutes les opinions par des souscriptions, au moyen desquelles on achèterait successivement les principaux établissements de France. Par ce moyen, on pourrait se débarrasser complètement de la question matérielle. Il ne s’agirait que de bien emmancher l’affaire. Il se charge de me procurer Juilly (qui croule entre les mains de M. Bautain), sans qu’il m’en coûte un sou. Il a communiqué cette idée au P. de Ravignan qui y a vu des difficultés, et à M. de Vatimesnil qui l’a acceptée d’enthousiasme et qui y a fait revenir le P. de Ravignan.

M. Raynaud me serait très utile comme aumônier, mais j’aurais encore plus besoin d’un bon sous-directeur. Je ne puis vous rien dire sur le compte de ce saint abbé, avant que vous ne l’ayez vu vous-même. Il paraît que ma maison va assez bien pendant mon absence. Je l’ai, il est vrai, assez tenue en haleine par des lettres incessantes, mais j’ai besoin d’y retourner. Je n’irai donc pas à Paris, quoique l’abbé de Salinis voulût beaucoup m’y entraîner pendant le mois de septembre; mais il y passerait trop peu de temps, et puis j’aime mieux y avoir mes coudées franches. Je n’accepterai pas Stanislas, et d’après ce que je vois, ce sera à jamais impossible d’y faire quelque bien, avec les conditions qu’on y a acceptées de la part de l’Université. Je préférerais traiter plus tard avec M. Poiloup ou bâtir à neuf, si je ne traitais pas avec Juilly.

Mon Dieu, ma fille, que je voudrais avoir une bonne conversation avec vous, et non pas une, mais cinquante! Adieu, chère et bien chère enfant. Je voulais vous gronder et il me semble que je n’ai pas pu le faire. Je vous plains tant de vos souffrances! Je vais les demander à Notre-Seigneur et le prier de vous donner un peu de cette paix qu’il accorde, quand il le veut. Je vous suivrai dans votre solitude, qui vous préparera à votre trente-et-unième année. Tout à vous, ma fille, et avec l’affection la plus profonde.

E.D’ALZON.

Je rouvre cette lettre écrite depuis hier. Voyez M. Raynaud, et si vous pouvez me l’envoyer, expédiez-le moi. J’entre dans vos interprétations pour ce que je vous avais prescrit. Je n’ai pu dire ce matin la messe pour vous, parce que je n’ai pu dormir de toute la nuit. Votre dernière lettre est parfaite. Vos courriers me font du bien. Je désire que les lignes qui précèdent vous en fassent. Adieu, chère fille. Je persiste dans mon opinion que vous avez surtout besoin de vous reposer sur le coeur de Jésus.

Demain, je verrai l’abbé Bayle pour vos converses; dites-leur que je suis enchanté de faire quelque chose pour elles.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum