- PM_XIV_353
- 0+540 a|DXL a
- Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 353.
- Orig.ms. ACR, AD 532; D'A., T.D. 19, pp. 219-223.
- 1 ACCEPTATION DE LA VOLONTE DE DIEU
1 AMITIE
1 ANNEE SCOLAIRE
1 CHARITE ENVERS DIEU
1 COLLEGE DE NIMES
1 DEFAUTS
1 DIRECTION SPIRITUELLE
1 DOULEUR
1 EMPLOI DU TEMPS
1 ENERGIE
1 EPREUVES SPIRITUELLES
1 ESPRIT DE COMMUNAUTE
1 FATIGUE
1 FOI
1 FRANCHISE
1 GENEROSITE
1 JESUS-CHRIST MODELE
1 LACHETE
1 MALADIES
1 MERE DE FAMILLE
1 PASSION DE JESUS-CHRIST
1 PREDICATION DE RETRAITES
1 PRIERE DE DEMANDE
1 REPOS
1 RETRAITE SPIRITUELLE
1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
1 SUSCEPTIBILITE
1 TRISTESSE
1 VANITE
1 VOYAGES
2 ABRAHAM
2 ALZON, MADAME HENRI D'
2 JACOB
2 JOB, BIBLE
2 LANSAC, ABBE
2 MESNARD, MADAME DE
2 O'NEILL, THERESE-EMMANUEL
2 RAYNAUD, ABBE
3 EAUX-BONNES
3 NIMES
3 PARIS - A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
- MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
- Nîmes, le 16 août 1847.
- 16 aug 1847
- Nîmes
- Institution de l'Assomption
Ma chère enfant,
J’espère avoir un moment pour répondre à deux de vos lettres: celle que j’ai trouvée en arrivant ici et celle que je reçois aujourd’hui même. J’ai une grande joie de vous voir relever peu à peu, et cependant comme vous j’ai quelquefois des craintes que les bonnes dispositions, vers lesquelles vous semblez pencher par moment, ne s’arrêtent tout à coup. Pourquoi ai-je cette crainte? Parce qu’il me paraît bien difficile que, malgré moi, je ne vienne à heurter quelqu’une des fibres malheureusement meurtries de votre âme. Ma chère enfant, vous vous relèverez cependant à la fin, j’en suis sûr, comme je suis sûr aussi qu’un jour vous serez surprise de n’avoir pas mieux vu, malgré mes défauts, ce qu’il me semble que je vous suis. Il ne me sera pas donné peut- être encore de vous faire sentir mon amitié, autant que vous le voudriez; il me semble pourtant que cela viendra.
Mais puisque vous aimez que je vous réponde par article, je vais prendre vos lettres l’une après l’autre. D’abord mille remerciements pour ce que vous avez fait auprès de M. Raynaud. Je le verrai à Paris, et peut-être pourrons-nous nous entendre. Je dis la même chose pour M. Lansac, mais je ne pense pas que ce puisse être avant deux ou trois mois. Vous m’aviez assuré que je ne trouverai personne à Paris dans le mois d’août et de septembre, et j’ai renoncé à l’idée que j’avais entretenue si longtemps d’aller vous voir pendant mes vacances. C’est bien assez, du reste, que j’aie pu faire une absence comme celle qu’a exigée mon voyage aux Eaux-Bonnes; je ne puis pas trop faire maintenant une absence prolongée. J’ai fait mes calculs de façon à arriver à Paris le 1er décembre, mais je ne pense guère avant. Je ne puis vous dire quel regret c’est pour moi d’arriver si tard, quand je vous vois désirer ma visite comme vous le faites.
Voici mon plan d’ici à cette époque. Je vais rester ici quinze jours et je ne puis faire autrement, à cause des arrangements à prendre pour l’année prochaine. Puis, j’irai passer quelques jours chez moi; j’irai voir ma pauvre mère, qui est bien souffrante et bien frappée de la pensée qu’elle n’a pas longtemps à vivre. Elle vient de me faire dire qu’elle exigeait que j’allasse la voir. Je reviendrai à Nîmes, et, vers le 15 septembre, j’irai faire ma retraite. Au 1er octobre, je prêcherai celle de mon monde, puis viendra la rentrée, et, dès que la maison sera un peu en train, je m’échapperai vers Paris. Voilà mes plans, et vous comprenez que je ne puis guère les modifier, car ce dont je puis disposer, c’est au plus de quinze jours, tout compris, et j’aime mieux avoir un peu plus de temps à moi, lorsque j’irai vous voir.
Je réponds aussi à votre demande pour votre retraite. Je ne pourrais vous la prêcher que quand vous la renverriez jusqu’au mois de décembre; ce qui serait un peu tard. Si je vous la prêchais, je voudrais d’abord me loger dans vos quartiers, m’occuper exclusivement de votre maison et n’annoncer mon arrivée que lorsque la retraite serait terminée. Mais je vois un obstacle à cela, c’est qu’avant de m’occuper de votre maison, je voudrais m’occuper de vous, et la retraite, ce me semble, y ferait obstacle. J’aimerais mieux que ce fût vous qui retardiez votre retraite jusqu’à mon arrivée. Cela serait peut-être plus avantageux même pour toute la maison.
Les défauts que vous trouvez dans votre communauté ne me surprennent pas, mais ne m’effraient pas non plus. Il me semble qu’on les peut facilement corriger, l’esprit général étant ce qu’il est. L’enthousiasme repoussera, dès que votre âme sera un peu plus calme.
Vous me demandez si vous ne me produisez pas un effet de découragement. Je vous avoue que je tâche de ne pas m’en occuper, pas plus que le médecin qui s’est affectionné à un malade ne s’occupe de l’impression que lui produiront les exhalaisons d’une chambre claquemurée. J’ai là-haut, à l’infirmerie, une mère auprès de son fils menacé d’une fièvre typhoïde. Croyez-vous qu’elle s’inquiète beaucoup de savoir si le mal est contagieux? Hé, mon Dieu, oui, pauvre fille, il faut vous résigner à souffrir, mais non pas avec le fatalisme qui néglige le remède; il faut souffrir comme le malade qui sait que dans une crise l’énergie morale est le plus puissant des remèdes; il faut souffrir comme Jésus-Christ, qui proposito sibi gaudio, sustinuit crucem.
Le 17 août.
Il paraît que cette disposition, qui cependant était celle d’Abraham, de Jacob et de Job, -par laquelle on se soumet à Dieu, parce qu’il est le maître,- vous fait mal. Dans ce cas-là il ne faut point vous y arrêter. Peut-être trouverez-vous quelque consolation à souffrir, parce que Jésus-Christ a souffert et a été délaissé. La raison se désole dans un acte de foi et d’amour où elle n’a rien à analyser [ni] à comprendre, et où il faut s’abandonner simplement. Je crois pourtant qu’il y a un grand bien à se jeter entre les bras de Dieu, comme l’enfant dans ceux de sa mère, en qui il a confiance, sans qu’il ait analysé pourquoi il a la conscience qu’elle l’aime, alors qu’elle paraît le plus sévère à son égard.
Votre désir de ne rien coûter à personne est quelque chose de bien fier. Petite stoïcienne, lorsque Jésus-Christ était un peu plus ensanglanté que vous sous les coups de la flagellation et sous le poids de sa croix, il se laissait essuyer le visage et alléger le lourd fardeau qui meurtrissait ses divines épaules. Pourquoi ne feriez-vous pas comme lui et ne seriez-vous pas miséricordieuse comme le Sauveur, même envers le soldat qui n’a qu’un peu d’eau et de vinaigre à vous offrir au bout d’un roseau? Cela me paraît un peu plus chrétien que vos ardents désirs.
Je comprends très fort, ma pauvre fille, que vous n’ayez pas le temps de m’écrire. Il me semble que je suis payé pour avoir eu ces sortes d’intelligence, et je sais par expérience qu’il est fort pénible de vouloir et de ne pouvoir pas. En ce moment je vous écris au milieu des clameurs d’une partie de mes enfants, j’ai envoyé les autres en promenade. Et quand vous écrirai-je si j’attends un moment de liberté? Pour moi, je n’ai pas d’autres obstacles qui m’arrêtent; car si vous avez tant de peine à m’amener ma fille, moi je n’ai que du bonheur à vous amener votre père.
Vous avez besoin de trouver en moi, dites-vous, un patient et charitable médecin. Vous savez bien, ma fille, que l’illusion de l’esprit humain est telle que l’on croie avoir quelquefois les qualités qui manquent le plus. Vous voudriez bien me voir, et moi aussi je voudrais vous voir. Vous dites que vous en doutez. Vraiment, quand je vois à quoi conduit l’analyse, je suis tenté de remercier Dieu, du fond de l’âme, de m’avoir dépourvu de cette qualité. Je me confie aux gens, sur qui j’ai compté une fois tout de bon. Mais en ce moment vous n’êtes pas en une disposition si dure pour vos amis, puisque vous ne voudriez que répandre, pour vous en débarrasser, toute l’amertume de votre coeur. Quelle coupe profonde que ce pauvre coeur! Et que je vous plains de pouvoir amasser au fond tant de lie!
Oui, ma bonne fille, je vous écrirai encore des lettres qui vous feront quelque bien ou mes doigts iront en sens inverse de mes désirs les plus ardents. Croyez-vous que je prends comme une très bonne parole, qui me fait grand plaisir, ce que vous m’assurez de votre disposition à n’être jamais lasse de ce que je pourrai vous donner? Jamais je ne vous avais trouvée aussi généreuse envers moi; car avec votre nature fière il me semble que vous devez sentir par instinct qu’il vaut mieux donner que recevoir, et être disposée à n’être jamais lasse de ce que je vous donnerai m’est une preuve d’amitié, qui me dédommage, je vous assure, de tout ce que vous avez pu me dire de plus amer. Est-ce que j’ai tort? Du reste, quand je me tromperais, je vous préviens que je ne changerais pas. J’aime mieux vous croire ici telle que je le suppose, que d’acquérir la preuve du contraire. Ne vous lassez donc jamais, ma fille, car, de mon côté, il me semble que je me lasserai pas.
Oui, mon enfant, je vous guérirai, car je le veux bien fort. Pourquoi en avez-vous si longtemps douté? Vos fatigues et vos douleurs m’inquiètent, ma fille. Tâchez donc de vous reposer un peu après votre distribution des prix. Je voudrais vous envoyer quelques jours chez Mme de Mesnard. L’éloignement de ma maison m’a si bien réussi. Mais je reviendrai sur ce chapitre, car on me talonne. Croyez-vous qu’en décembre je puisse trouver l’abbé Lansac?
Est-ce qu’à présent que vous êtes plus calme, vous ne pourriez pas m’écrire vos tentations? Je ne puis vous exprimer la gêne que j’éprouve de ne pas aller à présent à Paris. Je veux écrire un peu longuement à Soeur Th[érèse]-Em[manuel], mais aujourd’hui je ne le puis. Ce que vous me dites de mes défauts par rapport à vous formera le sujet de ma première lettre, mais je ne puis plus rester avec vous. Adieu. Je prie beaucoup que Dieu vous donne ce que je ne puis vous offrir, malgré toute ma bonne volonté.
E.D'ALZON.