Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 367.

29 sep 1847 Chalais MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Aller à Dieu en passant par dessus toute créature – Vous rechercher moins – *Patientia autem opus perfectum habet* – Il n’y a pas eu chez vous assez d’amour de Dieu – A propos de diverses personnes – Sa retraite à Chalais – Le P. Deplace – Une imagination de coeur froissé et un abcès à crever – Mépris de soi et amour de Dieu – Votre isolement – Lettres que l’on ouvre – Un lien passant par le coeur de N.-S. et qui devient chaque jour plus fort – Le budget approximatif de l’année prochaine – On m’apporte votre lettre : est-il possible que vous souffriez à ce point ?

Informations générales
  • PM_XIV_367
  • 0+544 e|DXLIV e
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 367.
  • Orig.ms. ACR, AD 540; D'A., T.D. 19, pp. 237-244.
Informations détaillées
  • 1 ACTION DU CHRIST DANS L'AME
    1 ADORATION DU SAINT-SACREMENT
    1 AMITIE
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ANEANTISSEMENT
    1 ANNEE SCOLAIRE
    1 ASSOMPTION
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 BUDGETS APPROXIMATIFS
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CRITIQUES
    1 CURIOSITE MALSAINE
    1 DEFAUTS
    1 DEMARCHE DE L'AME VERS DIEU
    1 DEPENSES
    1 DESIR DE LA PERFECTION
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EPREUVES SPIRITUELLES
    1 EXAMEN DE CONSCIENCE
    1 HUMILITE
    1 LUTTE CONTRE LA TENTATION
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAIX DE L'AME
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 PATIENCE
    1 PECHE D'OMISSION
    1 PENSIONS SCOLAIRES
    1 PURETE D'INTENTION
    1 PURIFICATIONS SPIRITUELLES
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    1 RETRAITES PASTORALES
    1 SCEAU DE LA CONGREGATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 SIMPLICITE
    1 SOLITUDE
    1 SOUFFRANCE ACCEPTEE
    1 SUSCEPTIBILITE
    1 UNION A JESUS-CHRIST
    1 UNION DES COEURS
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOLONTE PROPRE
    2 BARRET, ABBE
    2 CATHERINE DE SIENNE, SAINTE
    2 DANZAS, ANTONIN
    2 DEPLACE, CHARLES
    2 GABRIEL, JEAN-LOUIS
    2 JANDEL, VINCENT
    2 JEAN, SAINT
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LARCHER, RAYMOND
    2 MARC, PAUL
    2 MONNIER, JULES
    2 PAUL, SAINT
    2 RATISBONNE, THEODORE
    3 CHALAIS
    3 EAUX-BONNES
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
    3 VIVIERS
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Chalais, le 29 sept[embre] 1847.
  • 29 sep 1847
  • Chalais
  • *Madame*
    *Madame la Supérieure de l'Assomption*
    *n° 76, rue de Chaillot*
    *Paris.*
La lettre

Je sors de retraite, ma chère enfant, je viens de dire mon Te Deum d’actions de grâces, et la première chose que je fais est de vous écrire. J’ai pensé à vous pendant ces jours de retraite, beaucoup et beaucoup. J’ai dû finir par repousser comme une distraction ce qui vous concernait, parce que j’aurais fini par faire votre retraite et non pas la mienne. Voici quelques points que j’ai cru apercevoir avec une grande clarté.

Saint Paul ayant dit: Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, il est évident que les peines que vous avez éprouvées à mon occasion vous ont fait plus de mal que de bien, par la raison que vous n’aimez pas assez Dieu et que dans cette circonstance vous vous êtes aimée plus que lui. D’où je conclus:

1° La nécessité de revenir à Dieu, en passant par-dessus toute créature;

2° L’obligation de vous moins aimer et rechercher, dans tous les points où vous vous êtes trop laissée aller à votre nature.

Je crois que vous n’êtes pas allée assez simplement et directement à Dieu, lorsque vous avez voulu avec votre esprit d’analyse examiner certaines choses, dans lesquelles vous avez pris de l’amusement ou de la préoccupation, sous prétexte que c’était la trempe [de] votre esprit d’approfondir, tandis que vous auriez dû vous tenir plus haut que tout cela, non par vos forces seules, mais par un humble regard vers Dieu. Puis vous vous êtes laissée prendre au piège de l’amour-propre de vous-même, que le démon vous a tendu de la manière la plus habile, quand vous avez voulu cacher votre tristesse derrière tous les jugements, raisonnements et déductions. Vous vous êtes embrouillée dans un inextricable filet, dont vous ne pourrez vous tirer que par un retour simple et humble, qui impliquera le sacrifice de toutes vos préoccupations. Ne vous le dissimulez pas, vous avez été victime d’une tentation.

Etablissons, ma chère fille, que j’ai eu tous les torts que vous me reprochez. N’est-il pas évident que vous pouviez en tirer parti par un acte de cette patience souveraine qui donne du prix à tout acte, à toute souffrance, qui porte en un mot avec elle toute perfection? Patientia autem opus perfectum habet. Mais, me direz-vous, c’est à mon directeur à avoir cette patience. J’en conviens, mais en ce moment ce n’est pas de lui qu’il est question, c’est de vous, que je place en face de Notre-Seigneur. Eh bien, il me paraît que si vous qui voulez tendre à la perfection, qui devez y tendre, vous aviez voulu profiter de l’épreuve, (toujours en supposant les torts de votre directeur,) il vous eût été facile de dire: « Je prends tout ce qui me vient de mon directeur comme me venant de la main de Dieu; ses défauts mêmes me sont utiles en ce qu’ils m’humilient et me rendent patiente. »

Mais, me direz-vous, que devient l’amitié avec un pareil raisonnement? Je vais vous faire une comparaison, qu’il ne faut prendre que par un certain côté. Devez[-vous] aimer moins Notre-Seigneur, parce qu’il vous envoie des épreuves? -Oui, poursuivez-vous, mais lorsque Notre-Seigneur envoie des épreuves, il sait ce qu’il fait, tandis que mon directeur m’en fait subir sans s’en douter.

Etablissons que: 1° Pourvu que l’épreuve fasse du bien, il n’y a pas à s’inquiéter de la cause, elle fera toujours du bien à ceux qui aimeront Dieu; 2° Que je comprends très fort qu’un directeur, avec les meilleures intentions, fasse de la peine. Si dès lors il fait de la peine sans mauvaise intention, si la peine qu’il a faite a procuré un bien, (l’effet dépendant des dispositions de la personne dirigée,) je ne vois pas trop ce qu’il y a à craindre pour la question d’amitié.

Maintenant, ma chère enfant, il faut bien vous dire que j’ai fait mon examen sur votre compte pendant ces huit jours, et avec la meilleure volonté du monde je n’ai pu me trouver bien coupable. Il faut même vous avouer que j’ai un peu souri à la lecture de votre dernière lettre, lorsque vous me rappelez de n’avoir pas répondu à tout ce que vous m’aviez écrit à Pâques et avant mon départ des Eaux-Bonnes. Réellement ou mes lettres se sont perdues ou j’ai encore envie de rire. J’en suis au désespoir, mais je ne puis avoir d’autre réponse.

En résumé, ou je suis votre directeur ou je ne le suis pas. Si je ne le suis pas, il n’y a plus rien à dire. Si je le suis, -et je crois que je dois l’être,- pourvu que vous ayez un peu d’amour de Dieu, Notre-Seigneur vous fera tirer parti de tout chez moi, surtout de mes défauts. Comme je crois avoir la conscience qu’il est impossible d’être plus attaché à quelqu’un que je ne le suis au bien de votre âme, je n’ai aucun scrupule sur mes péchés d’omission à votre égard. Voilà ce que Notre-Seigneur m’a donné pour vous soit dans les trois messes que j’ai dites à votre intention, soit dans les longs moments que j’ai passés devant le Saint-Sacrement.

Il y a eu chez vous tentation, il n’y a pas eu assez d’amour de Dieu. Vous savez que l’une ne se combat pas par le raisonnement, que l’autre s’acquiert par le mépris de soi-même et la prière la plus simple possible. Tout ce que je vous dis ici, je vous l’écris avec une grande certitude et une puissance de conviction que je voudrais vous communiquer.

Je vous prie d’arrêter le protégé de M. Ratisbonne, même à 1.800 francs, supposé qu’il loge hors de la maison; car dans le cas où il y logerait, je ne lui offre que 1.200 francs: le tout dans le cas où M. Monnier l’aura jugé capable de faire une seconde. J’attends le Frère Larcher, à qui je n’ai pas encore dit un mot et dont je n’ai pas encore vu les yeux, depuis que je suis à Chalais.

Je viens de voir ce cher petit Frère, qui pourtant a grandi sous son habit religieux et qui, par ce que j’en ai vu, m’a paru charmant. J’ai vu aussi un jeune diacre profès, de Pont-à-Mousson, qui meurt d’envie de vous donner une de ses soeurs pour religieuse. D’après ce qu’il m’en a dit, elle vous irait très bien. C’est une jeune fille de vingt-deux ans. En général on vous aime beaucoup ici. Le P. Danzas vous porte un intérêt très tendre. C’est cet excellent Père qui m’a fait faire ma retraite, car le P. Lacordaire était parti pour Rome, et le p. Jeandel avait, l’avant-veille, quitté Chalais pour aller prêcher la retraite ecclésiastique de Viviers. Après un moment de désappointement, j’ai été bien aise que les choses se soient arrangées ainsi, car j’ai été enchanté de mes relations quotidiennes avec le P. Danzas. Vous ne vous attendez pas, je pense, à une description de Chalais, abrité par ses immenses rochers et ombragé par les plus beaux bois.

Ce que vous me dites du P. Deplace me ravit et je serais bien aise que vous pussiez l’attirer. Souvenez-vous seulement que c’est un grand enfant de haute intelligence. Il est impossible d’avoir plus d’esprit et de coeur qu’il n’en a, mais la volonté est faible par l’effet des idées noires. Veuillez lui dire les choses les plus aimables, de ma part. Je voudrais bien qu’il pût un jour venir nous prêcher à l’Assomption. Je pense qu’il pourrait vous faire du bien, et si vous voulez lui parler, je vous assure que je le verrais sans aucune difficulté. Mais une chose qui m’inquiète, c’est la présence de M. Barret; vous ferez bien de vous en défaire au plus tôt. Est-ce que M. Gabriel ne vous revient pas? Et s’il ne revenait pas, ne pourriez-vous pas avoir le P. Deplace?

Votre éloignement des choses saintes, votre brisement, votre désespoir, toute cela, ma chère fille, c’est ce que j’appellerai une imagination de coeur froissé qui a voulu se satisfaire. Un peu d’humilité et de mépris de vos raisonnements naturels et de votre analyse vous guérirait, j’en suis convaincu, non sans vous faire souffrir. C’est un abcès à crever, et rien n’est terrible comme l’attente du coup de lancette. Il ne faut pas plier les voiles pour épargner la difficulté aux créatures, mais pour entrer en toute humilité dans la pensée de Dieu. Je vous conjure de ne jamais tenir compte de la peine ou de l’ennui que vous pourriez m’occasionner. Jamais, quoi que vous disiez, je ne tiendrai compte d’une pareille disposition, autant que mes forces me le permettront; et lorsque j’en éprouve à votre égard, il me semble que ce doit venir d’une autre cause.

Vous me parliez de Dieu moins bien servi par vous. C’est une très grande question de savoir si le brisement que vous éprouvez en courbant votre nature ne prépare pas, au contraire,le règne de Dieu. Si vous aviez les Lettres de sainte Catherine de Sienne, vous y verriez combien elle a connu un état semblable et le bien qu’elle en a retiré. Pour elle, elle ne voyait rien de préférable à des crises pareilles, pourvu qu’on sût les prendre avec mépris de soi et amour de Dieu. Pourquoi n’essaieriez-vous pas?

Je crois être certain de vous avoir répondu sur ce que vous m’avez dit de votre isolement. Mais, ma fille, si je comprends le vôtre par ce que je sens du mien, il me paraît que c’est une chose excellente. Ni vous ni moi ne le serons jamais autant que Notre-Seigneur sur la croix, car je pense qu’en ce moment la présence même de sa mère et de saint Jean ne lui était pas d’un grand secours. Non, la parole d’un homme ne peut vous guérir. Et si je puis employer cette comparaison, vous n’avez pas à subir l’opération d’un chirurgien, mais à accepter un remède que l’on vous indique; et ce remède, c’est l’acceptation amoureuse de vos peines en union avec quelque souffrance analogue de Notre-Seigneur.

Veuillez dire à vos deux nouvelles religieuses nîmoises que j’ai bien prié pour elles, samedi. J’espère que de Chalais mes voeux sont arrivés jusqu’à Paris. Aujourd’hui encore, en finissant ma retraite, j’ai profité de la ferveur un peu moins tiède que je me croyais, pour vous recommander toutes à Notre-Seigneur. Comme je vous écris de Chalais, je vous adresse encore cette lettre directement, car je pense que ce sont celles de Nîmes qui seront ainsi suspectées. Faut-il y mettre toujours le cachet de l’Assomption? Car je suis très intrigué pour savoir comment les lettres vous arriveront sans être ouvertes, si quelque signe ne les fait connaître. Attendez-vous à ce que la première lettre commence par un grand Madame. Si je donne 1.800 francs à M. Marc Paul, il aura la bonté de se loger.

Puisque j’ai un peu de temps aujourd’hui, voulez-vous me permettre de bavarder un peu avec vous? J’ai à vous parler de diverses choses. Je ne vous dirai rien de moi, sinon que j’ai été dans une aridité, une sécheresse et une distraction prodigieuses. Cependant je suis content. Il me semble que je connais beaucoup plus mon néant, que je me tiens plus aisément aux pieds de Notre-Seigneur: il me demande un grand esprit de calme, de paix, d’union à lui. Le croiriez-vous? Il me semble qu’il a établi entre mon âme et la vôtre un lien qui, passant par son coeur, devient chaque jour plus fort. Expliquez-moi après cela ce que vous éprouvez. Il me semble qu’il n’a permis ces troubles que pour les laisser se former comme des nuages entre mon action et vos filles. Ce que j’explique très bien par ce qui manque pour être tout à fait leur père, et à quoi je veux me préparer en laissant davantage Jésus-Christ s’établir en moi et son action passer tout entière à travers mes difficultés. Cette action toute lumineuse, sera d’autant plus forte que mon âme sera plus pure et plus transparente. Voilà ce que je veux pour moi et aussi pour vous.

Voulez-vous que je vous donne le budget approximatif de nos recettes et dépenses de l’année prochaine, basées sur le budget de cette année? Il faut que vous sachiez d’abord que la dépense de chaque élève et maître, y compris les gages et la nourriture des domestiques, s’est élevée à 271 fr. 85 par tête d’élève ou de maître, ensuite que cette année nous n’avons eu, pour les dépenses ordinaires, que 1.100 francs de déficit. Les dépenses extraordinaires ont dû se monter, il est vrai, à 20.000 francs, mais ce sont des choses qui restent, et, par conséquent, une plus value de 15.000 à 16.000 francs, en comptant sur une détérioration de 4.000 francs sur les objets du mobilier. Voici, d’après le nombre d’élèves inscrits ou annoncés, sur quoi je compte.

Recettes

120 pens[ionnaires] à 800 fr. = 96.000 fr.

30 demi-pens[ionnaires] à 400 fr. = 12.000

15 externes à 150 fr. = 2.250

Fournitures = 5.000

Literie = 3.000

Total 118.250 fr.

Dépenses

Nourriture de 120 pens[ionnaires] à 275 fr. = 33.000 fr.

Item de 30 demi-pens[ionnaires] considérés comme 20 pensionnaires = 5.500

Item de 20 maîtres = 5.500

Traitement des maîtres = 27.000

Intérêts à payer = 12.000

Frais d’administration = 5.000

Frais d’entretien = 2.000

Dépenses extraordinaires = 10.000

Total 100.000 fr.

Balance. Recettes: 118.250 fr.

Dépenses: 100.000 fr.

Boni: 18.250 fr.

J’aurais à ce calcul 15.000 à 18.000 fr. de bénéfices. Je crois que les résultats de cette année confirment ce que je disais déjà l’année passée qu’une fois la maison arrivée à 100 élèves, tout enfant en dépensant 300 francs apporte à la maison 500 francs de bénéfice à peu près net. Car avec 100 enfants pens[ionnaires], 30 demi-pensionnaires, les bénéfices des fournitures et la literie on a à peu près 65.000 fr.(?); avec quoi on peut payer les professeurs, les nourrir, fournir aux frais d’administration et à la dépense ordinaire.

On m’apporte votre lettre du 17. Hélas, chère enfant, est-il possible que vous souffriez à ce point-là? Oui, nous avons besoin de nous revoir et de nous entendre. J’espère bien que Dieu permettra que nous puissions nous retrouver l’un et l’autre, j’en ai la conviction profonde. Oh! guérissez-vous, je vous en conjure.- Une visite du Frère Raymond Larcher m’a pris près de trois heures, il faut m’arrêter.

Adieu, mais guérissez-vous.

Notes et post-scriptum