Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 384.

8 nov 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

L’affaire de Sr M.-Vincent – Sr M.-Augustine – *C’est ma manière* – Les devoirs de votre charge – Je vais essayer d’être réellement ce que j’aurais cru être toujours pour vous – La méthode chrétienne défendue par Monnier contre les grands rhéteurs païens.

Informations générales
  • PM_XIV_384
  • 0+545 d|DXLV d
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 384.
  • Orig.ms. ACR, AD 547; D'A., T.D. 19, pp. 259-261.
Informations détaillées
  • 2 BECHARD, FERDINAND
    2 BEVIER, MARIE-AUGUSTINE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 MONNIER, JULES
    2 PATY, ISIDORE DE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • [Nîmes] 8 novembre 1847.
  • 8 nov 1847
  • Nîmes
  • *Monsieur*
    *Monsieur de Paty*
    *Sous-chef à la Direction générale des Postes*
    *Paris.*
La lettre

Je n’ai qu’une minute à moi, ma chère fille, Je puis cependant vous dire deux mots.

1° Si vous n’avez encore rien décidé au sujet de Soeur Marie-Vincent, je crois que l’avis que je lui donne est le meilleur. Ceci est chez moi une affaire de longue réflexion ou observation. Il importe très fort que Mi. Béchard vous voie vous autre qu’on ne vous a faite; mettez-y, si vous le voyez, quelque attention.

2° Je ne comprends pas trop la querelle que vous me faites sur Soeur Marie-Aug[ustine]; je ne lui ai répondu courrier par courrier que pour avoir de vos nouvelles. J’ai tâché de lui répondre une lettre bonne, afin qu’elle vous laissât en paix. J’étais trop préoccupé de votre état pour me rappeler en ce moment vos recommandations sur son compte. Le secret sera gardé, je vous en réponds. Mais convenez ou que je suis bien maladroit dans mes meilleures intentions, ou que ma chère fille fait quelquefois à son père des querelles où il est assez innocent.

3° Quant à ce qui vous concerne, mais, voyez-vous, il y a longtemps que je vous ai prise comme vous êtes. Tout ce que vous avez vu de vous dans votre oraison, j’en avais vu q[uel]q[ue] chose. Mais que malgré cela mon amitié diminue, oh! rayez la chose de vos papiers. Notre-Seigneur vous voit certainement plus laide que je ne puis vous voir, parce qu’il a un regard divin; il vous aime plus que je ne pourrai jamais vous aimer. Je me contente de l’imiter, avec cela encore qu’il m’est très bon d’avoir un pareil mérite, si tant est qu’avec le bonheur que j’y trouve ce puisse en être un; mais je suis ravi de l’aveu que vous me faites que même à Dieu vous avez le courage de dire: C’est ma manière. Vous comprenez que cela me donne des armes contre vous et que je pourrai lutter avec quelque avantage, quand il me sera possible de mettre votre manière en face de celle de Dieu. Ah! petit Lucifer, et vous aussi direz-vous donc: In coelum conscendam, et similis ero Altissimo? Voyez donc ce qu’est une créature qui ne se gêne pas pour dire à Dieu: C’est ma manière.

4° Je comprends votre tristesse de retomber parmi les devoirs de votre charge; ils doivent être quelquefois pesants, mais Dieu est là, et sa manière est de nous prendre comme il l’entend et non comme nous l’entendons. Il faut bénir sa main. Ce que vous me dites de ma disposition à être une occasion de souffrance pour ceux que j’aime le plus m’humilie bien, mais ne me décourage pas. Je vais faire des efforts pour être réellement ce que j’aurais cru être toujours pour vous. Il faut prier Dieu de vous faire profiter de mes défauts, m’aider à les détruire. Il me semble que je le veux bien, d’abord pour lui, et puis pour ceux que j’aime et auxquels j’ai donné ma vie.

Nous sommes ici sous le charme de la plus admirable réclamation de M. Monnier contre les idées émises par M. Durand. Hier, pendant une heure et demie, il nous exposa les principes du haut enseignement universitaire des grands rhéteurs païens et de la méthode chrétienne, telle qu’il l’entend. Il y mit un feu, une âme, un esprit qui relevait les incorrections parfois hésitantes de sa parole. J’ai cherché à chauffer le combat qui sera soutenu, je l’espère, parce que ce sont ces choses [qui] font du jour dans les intelligences engourdies quelquefois par la routine. M. Durand, en conservant ses idées, était ravi de les voir attaquées. La parole de Monnier s’avançait comme un vaisseau provocateur voguant à pleines voiles et lâchant ses bordées, sans s’arrêter un instant dans sa marche. J’étais heureux de son beau succès. Ceci était pourtant une réunion générale du Tiers-Ordre et de l’Ordre, mais nous avons résolu de transformer la séance en réunion littéraire pour q[uel]q[ue] temps.

Adieu, ma fille. J’ai besoin de trouver quelquefois ces points de repos et je remercie Dieu de me les donner, car après tout c’est lui que nous cherchons à découvrir, même derrière les préparatifs de la parole humaine.

Tout vôtre en Notre-Seigneur.

Notes et post-scriptum