Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 390.

1 dec 1847 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Lettres égarées – Un cours d’histoire ecclésiastique – Abandonnez-vous à l’amitié de N.-S. – Le modèle de Marie – Votre procès – Un don bien précieux pour une supérieure, à condition qu’il prépare à une disposition surnaturelle – La grippe – Les dames Carbonnel.

Informations générales
  • PM_XIV_390
  • 0+548 a|DXLVIII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 390.
  • Orig.ms. ACR, AD 550; D'A., T.D. 19, pp. 266-270.
Informations détaillées
  • 2 ACHARD, MARIE-MADELEINE
    2 BECHARD, FERDINAND
    2 BECHARD, MADAME FERDINAND
    2 BOLZE, MADAME SIMEON
    2 CARBONNEL, ISAURE
    2 CARBONNEL, MARIE-VINCENT
    2 CARBONNEL, MESDEMOISELLES
    2 CHAUVELY, MARIE
    2 ELEONORE, MADEMOISELLE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 GRIOLET, JOSEPH-AUGUSTE
    2 MARTHE, SAINTE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 1er décembre 1847.
  • 1 dec 1847
  • Nîmes
  • Institution de l'Assomption
La lettre

Il faut évidemment qu’une de mes lettres se soit perdue, ma chère fille; sans quoi je ne puis m’expliquer le reproche que vous me faites d’être en retard avec vous. Ce ne serait pas, du reste, la première fois que j’aurais à me plaindre de lettres égarées par la poste. J’ai eu souvent des plaintes à porter à cet égard. Je ne suis en retard avec vous que pour votre lettre du 23 nov[embre]. Je l’ai reçue un samedi, au moment où mon travail commençait, et j’ai été constamment occupé jusqu’à ce matin. Vous savez que je fais un cours d’histoire ecclésiastique. C’est un surcroît d’ouvrage dont je suis bien aise, mais qui n’en absorbe pas moins un temps assez considérable. Ma santé est, du reste, très bonne, sauf quelques restes de grippe, dont j’ai fait un prétexte pour rester au lit ou pour aller me recoucher.

J’aurais pourtant voulu vous aider à porter le poids de votre tristesse qui vous accablait, ce me semble, d’une manière bien cruelle. Il est bien vrai qu’il n’y a rien à dire à quelqu’un qui affirme que rien ne peut soulager sa souffrance, sinon qu’on voudrait souffrir avec lui; et vous ne savez pas assez combien cela est vrai, de ma part. Cependant il me semble toujours que la foi pourrait vous venir en aide d’une manière bien autrement puissante que vous ne l’avez ressenti jusqu’à présent. Mais puisque, dans votre lettre du 27, vous me dites que la pensée de l’amitié de Notre-Seigneur vous fait du bien, le seul parti à prendre est, je crois, de vous abandonner sans réserve à cette divine amitié, autant que votre coeur en peut être capable. Le temps de l’Avent peut, ce me semble, vous aider puissamment à entrer dans les dispositions, que je vous engage à fortifier en vous. Marie portant Jésus en elle peut vous donner aussi un modèle de l’amour que vous devez avoir pour le Fils de Dieu, et vous inviter à vous replier en quelque sorte sur vous-même pour chercher au fond de votre âme celui qui veut en être la chaleur, la lumière et la vie.

Que je vous plains, au milieu de tous ces ennuis, d’avoir encore par-dessus le marché celui de votre procès! Je vous avoue qu’ici et ailleurs j’ai entendu des conseillers de cour royale se plaindre des visites des parties intéressées. Je suis assez lié avec quelques-uns d’entre eux, qui m’ont toujours affirmé que ces visites les disposaient plutôt mal que bien.

Ce que vous me dites de votre nature sympathique, qui souffre de ce dont les autres manquent par votre faute, est un don bien précieux pour une supérieure, pourvu qu’elle ne s’en laisse pas trop dominer, pourvu surtout que ce soit, de sa part, la préparation à une disposition surnaturelle. Sans quoi, il ne faudrait y voir autre chose que les empressements et les troubles de Marthe, inutiles selon Notre-Seigneur. Ces sentiments doivent être comme des aiguillons pour rappeler le devoir, mais non pas [des] épines, dans lesquelles on aille s’embarrasser la tête au point de ne pouvoir s’en dépêtrer.

Tandis que vos Soeurs se guérissent, nos maîtres ici prennent tous successivement la grippe. Nos élèves en sont atteints, moins qu’au collège pourtant, où il a fallu transformer un dortoir en infirmerie. Pour moi, je vais assez bien, j’ai pu me lever ce matin dès 4 heures moins un quart. Mon règlement le porte. J’espère, avec la grâce de Dieu, continuer ainsi jusqu’à nouvel ordre. Puisque vous avez tant de difficultés à accepter de vous vaincre et de souffrir, ne vous forcez pas trop là-dessus, car il me semble que la pensée de l’amitié de Notre-Seigneur, qui vous fait du bien, vous conduira aux mêmes résultats.

J’ai su par Chauvely des nouvelles des dames C[arbonnel]. Cette bonne fille ne les trouve pas malades, mais un peu folles: elles vont, elles viennent. Chauvely prétend que c’est tout comme autrefois. Vous pouvez dire à Soeur Marie-Vincent que ses cousines de la rue de l’Aspic, surtout Mlle Eléonore, l’approuvent entièrement; au moins l’ont-elles dit d’elles-mêmes à Mme Bolze. Le voeu de Soeur Marie-Vincent n’avait pas le sens commun, mais il faut l’en faire relever par l’autorité ecclésiastique. Je ne comprends pas Soeur M.Madeleine de parler de moi à un mois de date; je la vois tous les huit jours, sauf un vendredi qu’elle était enrhumée.

L’histoire de M. Béchard ne me surprend pas et me peine encore moins. Voici ce qui s’est passé, ni plus ni moins. Mme Bolze me fit part des anciennes préventions de M. et de Mme Béchard contre vous, et de la manière dont Mme B[échard] était complètement revenue. Ayant eu l’occasion de voir M. Griolet, je l’engageai à faire observer, comme de lui, aux dames C[arbonnel] que leurs emportements retomberaient sur elles-mêmes. M. Griolet a-t-il fait la commission maladroitement? Je l’en crois très capable, mais il n’y a pas eu autre chose que cela. Du reste, je vous le répète, je n’en suis pas très fâché, au contraire. Vous savez bien que j’avais prévu ce résultat, dès que M. Béchard ne partagerait pas certaines fureurs. Il faut profiter de cela pour mettre M. Béchard de vos amis. C’est un homme précieux, quand on sait l’employer, et son suffrage dans nos pays fera beaucoup pour une foule de choses.

Je vous assure que jamais je n’avais parlé de conférences entre M. Béchard et vous. Mais c’est tout bonnement ce que je vous ai dit plus haut qui a monté ces pauvres filles. Comment eussé-je pu parler de conférences que je ne connaissais pas? Je vous avoue que j’ai moi-même été surpris de tout ce que les dames C[arbonnel] ont dit quelquefois à Chauvély sur le compte de leur soeur. Qui le leur avait appris? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que tout était merveilleusement travesti par elles. Ainsi il est positivement faux que j’aie jamais rien dit de semblable à ce qu’elles me prêtent sur ce que je les avais fait rester jusqu’au départ de leur soeur. Mais j’ai dit à qui a voulu l’entendre que quand leur soeur avait été partie, elles n’avaient pas eu le courage de porter à elles deux le poids de la maison. Il me semble que c’était le motif le plus honnête à donner de leur départ.

Je ne puis comprendre quels seraient les deux des miens qui seraient allés les voir, attendu que je n’en sache aucun disposé en leur faveur assez pour leur faire une visite. Mais en tout cas l’allégation est fausse de tout point. Maintenant, que dans un de ces moments où l’ennui était poussé à son comble, j’aie prononcé devant M. Goubier quelque parole que je ne me rappelle pas en ce moment, c’est possible. Avec les gens qui sont si fort fagot d’épines, on ne peut pas toujours garder sa langue, quand on se sent piqué. Je fais donc bon marché de moi, quoique, je vous l’avoue, ma mémoire est ici en défaut pour me rappeler ce que j’ai dit. Je vous promets, du reste, un silence absolu, quoique j’eusse été bien aise de remonter à la source des confidences des deux miens.

Ce ne sera pas Soeur Marie-V[incent] qui guérira Mlle Isaure. Ce serait moi mais je ne fourrerai plus la main dans un pareil guêpier. M. Griolet avait proposé un rapprochement, à l’époque de la bénédiction de leur chapelle, mais Mlle Isaure n’a pas voulu. Le meilleur est de m’en tenir loin. Je n’en parle plus depuis longtemps avec personne, si ce n’est avec Chauvely, que je ne fais qu’écouter. Vous pouvez calmer Soeur M.-Vincent, je ne la crois pas obligée à aller chez ses soeurs. Comment y serait-elle reçue?

Si vous croyez que le jeune homme placé chez les Frères puisse être un bon instituteur, je le prendrai au mois de janvier, après l’avoir examiné, mais je tiens avant tout à le voir. J’aurai de l’emploi à lui donner comme surveillant, mais il faut qu’il ait une certaine capacité. Autant que je puisse vous connaître, il me paraît qu’il n’y a rien en vous qui puisse vous tourmenter au point d’être obligée de parler en confession. Je crois avoir répondu à tout, chère fille. Je vais vous adresser directement cette lettre, puisque je serai forcé de la mettre sous enveloppe.

Adieu, ma bonne enfant. Je prie Notre-Seigneur d’être avant tout votre ami.

E.D’ALZON.

Je regrette bien de ne pouvoir pas en ce moment vous venir en aide pour vos affaires d’argent. Quoique moins gêné que l’an dernier, j’ai un arriéré énorme.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum