Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 457.

9 nov 1848 Nîmes MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse

Affaire du plein exercice; ses raisons de l’obtenir – A propos d’une vocation de religieuse – Il se soigne, mais sa santé se ressent de ses embarras d’argent – Ses difficultés avec les abbés Goubier et Henri – Il n’a personne autour de lui pour le conseiller.

Informations générales
  • PM_XIV_457
  • 0+590|DX c
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 457.
  • Orig.ms. ACR, AD 603; V. *Lettres* III, pp. 382-385 et D'A., T.D. 20, p. 47.
Informations détaillées
  • 1 COLLEGE DE NIMES
    1 DOUCEUR
    1 DOUTE
    1 ECONOMAT
    1 ELEVES
    1 EXTERNES
    1 GOUVERNEMENT
    1 INSTITUTEURS
    1 MORALE
    1 NOVICES ASSOMPTIONNISTES
    1 PATIENCE
    1 PENSIONS SCOLAIRES
    1 PLEIN EXERCICE
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RELIGIEUSES DE L'ASSOMPTION
    1 REPUBLICAINS
    1 SANTE
    1 SOUCIS D'ARGENT
    1 TRAITEMENTS
    1 VOCATION RELIGIEUSE
    2 BUCHEZ, PHILIPPE
    2 CARDENNE, VICTOR
    2 CHANAL, FRANCOIS
    2 CHAPOT, JEAN-JACQUES-FRANCOIS
    2 ESGRIGNY, MADEMOISELLE D'
    2 FRESLON, ALEXANDRE-PIERRE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 HENRI, EUGENE-LOUIS
    2 HENRI, ISIDORE
    2 NICOT, JEAN-BAPTISTE
    2 SAUGRAIN, HIPPOLYTE
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    3 BOUCHES-DU-RHONE
    3 HERAULT, DEPARTEMENT
    3 MIDI
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 VAUCLUSE
  • A LA MERE MARIE-EUGENIE DE JESUS
  • MILLERET Marie-Eugénie de Jésus Bhse
  • Nîmes, le 9 nov[embre] 1848.
  • 9 nov 1848
  • Nîmes
  • Evêché de Nîmes
La lettre

Ma chère fille,

Si je n’ai pas répondu hier à votre bonne lettre, c’est que j’ai été obligé de me mettre en course pour savoir quelles pièces étaient nécessaires à ma demande de plein exercice. Il paraît qu’une simple pétition suffit. Je ne vous l’envoie pas, pour ne pas vous écraser de ports de lettres, mais je l’adresse aujourd’hui même à Buchez, sous le couvert du président(1). Supposé que vous ayez à faire mettre en avant d’autres personnes, voici quelques motifs que j’ai déjà indiqués à M. Chapot. S’il n’est pas parti pour le Midi, il les présentera, j’en suis sûr.

1° Je suis propriétaire de l’établissement.

2° Depuis quatre ans, il est allé se développant chaque année.

3° Le prix de la pension, plus élevé que celui du collège, diminue la concurrence. Je n’ai qu’un quart, au plus, d’internes du département; les autres me viennent de l’Hérault, du Vaucluse, des Bouches-du-Rhône et du Var.

4° Il n’y a pas de maison de plein exercice dans les huit ou dix départements environnants; ou, s’il y en a, elles sont sans valeur, puisque je n’en ai pas entendu parler.

5° On n’ose plus dire que la maison située à Nîmes jettera la division entre les catholiques et les protestants.

6° L’état moral du collège s’est amélioré par la concurrence que je puis faire, selon l’avis de l’ancien recteur, M. Nicot. On peut le constater sur ce point, comme sur les autres.

7° Quelques parents ont retiré leurs enfants, sous prétexte que nous sommes républicains. Le fait est que nous ne faisons pas de politique. Mais il est sûr que les tendances que le public nous suppose, d’après un journal rédigé par quelques professeurs, ne sont pas hostiles à la République.

8° Enfin, je n’ai d’externes qu’en huitième, ce qui ôte toute possibilité de diminuer l’éventuel des professeurs du lycée. (L’éventuel est une somme que les professeurs du lycée touchent pour chaque externe.)

Voilà les principaux motifs que je fais valoir. Ils me paraissent assez bons pour ôter tout prétexte à la concession du plein exercice. Je n’ai pas besoin de dire que je compte sur votre bonne volonté.

J’ai été interrompu par une visite de Mlle d’Esgrigny; elle est dans d’étranges perplexités. J’ai commencé par lui dire qu’avant peu de jours il fallait qu’elle eût pris son parti: ou de rester toute sa vie auprès de sa mère, ou de se faire religieuse. Je lui ai prouvé que par tous ses délais elle ferait souffrir à sa mère les mêmes tortures que celles d’un condamné à mort, dont la sentence est indéfiniment prolongée; qu’il valait mieux trancher promptement que de déchirer petit à petit ce qui produisait des tortures trop amères.

Quant à savoir si elle ira chez vous ou au Carmel, je n’ai pas voulu prononcer. Seulement j’ai maintenu qu’il fallait qu’elle se décidât au plus tôt pour une chose ou pour l’autre. Quand je lui disais que personnellement je préférerais qu’elle allât chez vous, elle semblait pencher pour le Carmel. Quand je lui disais « Eh bien, allez au Carmel », elle semblait vouloir aller chez vous. C’est une indécision à laquelle je ne puis rien comprendre. Comme à la fin le Carmel semblait l’entraîner, au moins comme moyen de faire une retraite de quelques jours, je lui ai promis que si elle prenait ce parti, et qu’au bout de quelque temps elle voyait que sa vocation n’était pas là, je la ferais partir pour Paris, mais à la condition qu’elle ne quitterait le Carmel que pour monter en diligence sans s’arrêter dans sa famille. Qu’en arrivera-t-il? Je suis bien empêché de le dire, car je me perds dans de pareilles irrésolutions.

Vous êtes bien bonne de me faire des sermons comme celui de votre lettre d’hier. Croyez que je me soigne, mais mes affaires d’argent me mettent dans le plus triste embarras, et j’ai beau me soumettre à la volonté de Dieu, ma santé s’en ressent. Encore deux ou trois ans de cette vie et j’y péris; c’est certain. L’énergie s’use devant certaines impossibilités. J’ai fini avec l’abbé Goubier. Quelque maussade qu’il ait pu être, il me paraît que j’y ai mis du mien, tant que j’ai pu. Mais j’ai eu à soutenir, ce matin, un singulier assaut. L’abbé Henri, à qui j’ai prouvé d’une manière un peu pénible pour lui que, pour rendre plus mauvaise à mes yeux la position de M. Goubier, il avait indiqué comme dues des sommes acquittées par celui-ci, est venu me dire que l’année prochaine il se retirerait, qu’il ne pouvait plus tenir à la vie de l’économat, obligé comme il l’était à faire le travail tout seul. Je lui ai répondu que c’était un peu sa faute; que, l’an passé, je lui avais donné son frère; que, m’ayant demandé de donner l’école primaire à celui-ci, il savait bien que je ne la lui avais accordée que pour lui faire plaisir, à lui, l’abbé Henri; que l’an prochain il aurait un commis, mais que pour le moment les choses iraient comme je les ai établies.

L’abbé Henri prétend que, chaque année, je m’enfonce un peu plus. Il peut y avoir quelque chose de vrai, si je ne finis pas par avoir le plein exercice, qui sûrement me procurerait un nombre plus considérable d’élèves. Quant à M. Henri, s’il se retire (ce que je ne pense pas), sûrement il regrettera sa position. Je le regretterai dans un sens, mais sous un autre rapport je crois que je n’y perdrai pas grand’chose. Son esprit devient de jour en jour plus hargneux, et il faut quelquefois un peu de patience pour ne pas le lui faire sentir. Enfin, voilà mes misères. N’en aurons-nous pas d’autres à porter? Dieu le sait, et il faut le bénir de tout.

Adieu, ma chère enfant. Un peu de douceur me rendrait calme, et je ne suis pas doux. Tout à vous en Notre-Seigneur.

E.D’ALZON.

J’oubliais de vous dire que je ne sais qui prendre pour me conduire, comme vous le voulez. M. Tissot n’a pas le sens commun pour ces choses, Cardenne s’empêtre tous les jours un peu plus et Hippolyte est bien jeune.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Buchez lui répondit, le 14 novembre:
"Mon cher abbé,
"J'ai remis au ministre votre demande en l'appuyant, comme je devais le faire. Je lui ai remis même votre [lettre], parce qu'elle m'a semblé très déterminante. Le ministre va écrire au préfet. Que le préfet donne un avis favorable, et vous obtiendrez tout ce que vous demandez.
"Votre serviteur qui vous serre la main.
"BUCHEZ.
"*Paris, 14 novembre 1848*."