Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 34.

3 mar 1834 Rome AZAIS Abbé

Votre dégoût pour le ministère n’a rien d’étonnant: on peut être très bon guerrier et n’avoir pas de goût pour la magistrature – L’Eglise de France doit remonter son armée par des universités et des corporations religieuses – Des ordres se formeront qui attireront ceux qui préfèrent combattre qu’administrer – Mais partout il vous faudra envisager la croix de Jésus-Christ.

Informations générales
  • PM_XIV_034
  • 0+162 a|CLXII a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 34.
  • Photoc. ACR d'un orig. ms dont la trace est perdue, DT 77.
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANTIPATHIES
    1 APOSTOLAT
    1 ARMEE
    1 AUTEURS SPIRITUELS
    1 CALICE
    1 CLERGE REGULIER
    1 CLERGE SECULIER
    1 CONVERSATIONS
    1 CORPORATIONS
    1 COURS PUBLICS
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 CURE
    1 EFFORT
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 FRANCHISE
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 INSTITUTS RELIGIEUX
    1 LIVRES
    1 MISSIONS ETRANGERES
    1 ORDRES SACRES
    1 PAIX DE L'AME
    1 PERSECUTIONS
    1 POLEMIQUE
    1 PREDICATION
    1 PROVIDENCE
    1 RECONNAISSANCE
    1 RELIGIEUX
    1 RESURRECTION DE JESUS-CHRIST
    1 SACERDOCE
    1 SACREMENTS
    1 SAINT-SACREMENT
    1 SEMINARISTES
    1 SENSIBILITE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VACANCES
    1 VICAIRE
    2 LONJON, MARIE
    3 FRANCE
    3 MONTPELLIER
  • A MONSIEUR L'ABBE AZAIS
  • AZAIS Abbé
  • Rome 3 mars 1834
  • 3 mar 1834
  • Rome
  • *Monsieur l'Abbé Azais*
    *Grand Séminaire*
    *Montpellier* Hérault
    *France* par Antibes
La lettre

Mon cher ami, je commence par vous remercier de votre excellente lettre que j’ai reçue hier au soir. Vous ne sauriez croire combien je suis touché des marques de souvenir de mes anciens condisciples surtout car leur souvenir se rattache à un passé religieux car vous savez bien que toute amitié pour prendre son développement pour légitime a besoin d’être fondée en Dieu.

Je suis enchanté que la lettre dans laquelle je parlais de vous à Lonjon vous ait donné la pensée de m’interroger, non pas que j’aie rien de positif à vous dire mais parce que je pourrai vous parler avec la même franchise avec laquelle vous m’avez parlé vous-même.

Je ne suis nullement étonné du dégoût que vous pouvez éprouver pour le ministère. L’Eglise dans son organisation se divise en deux parts bien distinctes. Ainsi que toute société constituée, elle a son armée, elle a son administration. Les ministres de l’Eglise dans la dénomination la plus générale sont ceux qui, à un degré quelconque ont reçu le sacrement de l’ordre, mais ces ministres sont ou magistrats ou guerriers. Les magistrats ce sont les curés, les vicaires, les prêtres administrateurs. Les guerriers ce sont les religieux, qui soumis à une discipline régulière sont chargés d’attaquer les ennemis de l’Eglise, tandis que les magistrats sont chargés de veiller à la conservation des fidèles. Il va sans dire qu’il est une foule de circonstances où les fonctions des uns et des autres peuvent se confondre, mais dans l’ordre des choses elles doivent être distinctes. Je présume aussi que vous suppléerez vous-même à ce que je ne développe pas dans cette comparaison qui du reste est d’une rigueur extrême, mais ce que je vous ai dit suffit pour vous faire comprendre qu’on peut être très bon guerrier sans avoir du goût pour la magistrature et qu’on peut par cela même avoir du goût pour la partie polémique du sacerdoce, sans se sentir pour cela une vocation bien prononcée pour les pratiques(1) de vicaire et de curé. Permettez-moi toutefois de vous dire en passant que je ne vois pas d’inconvénient à entrer dans le ministère pendant quelque temps; on apprend une foule de choses par la pratique que l’on ne saurait trouver dans les livres.

Mais je reprends ce que je voulais vous dire: une société qui n’a que des maires et des adjoints ne saurait être bien forte, et voilà pourtant en dernière analyse l’état de la France; je ne parle ni des trappistes ni des chartreux qui du reste sont dans notre patrie en trop petit nombre pour pouvoir être comptés. Quelle est chez nous l’armée dans l’Eglise? Les jésuites seuls se montrent mais que sont les jésuites? Ce qui fait que partout où ils s’établissent ils sont détestés par les prêtres séculiers, n’est-ce pas parce qu’ils veulent être tout en ne laissant aux autres clergés que la fonction de marieurs, baptiseurs et faiseurs d’enterrements? Il faut donc aujourd’hui et d’abord que l’Eglise de France remonte son armée soit par des universités, soit par ces corporations religieuses s’occupant soit des missions, soit de la prédication dans des conférences, soit de la composition d’ouvrages propres à relever la religion à la tête du progrès. Que ces universités, que ces ordres s’établissent, c’est ce qui est inévitable s’il entre dans les desseins de la Providence de rendre à la France son ancienne place et nous sommes chrétiens, nous devons faire tous nos efforts pour hâter ce moment de résurrection. Maintenant une autre question se présente: quand ces ordres paraîtront, par quels moyens se formeront-ils? Je vous donne ma parole que je n’en sais rien, mais j’ai la foi que des ordres se formeront. Je suis convaincu qu’ils attireront à eux une foule d’âmes qui comme la vôtre sont désireuses de voir la vérité triompher, craignent un contact trop fréquent avec le monde et veulent plus combattre qu’administrer.

Mon cher ami, je vous ai dit toute ma pensée. Si vous êtes impatient d’attendre, vous pouvez entrer chez les jésuites. Sans entrer dans les détails, je crois que vous n’y entrerez pas. Après tout, je ne me permets pas de décider. Vous comprenez qu’il faudrait pouvoir se voir et s’entendre pour me permettre de donner un avis [illisible] et je sais tout ce qui me manque pour en donner un bon(2).

Que si [illisible] il y a apparence, je reviens au soir de mai ou de juin. J’espère, si toutefois la Providence le permet, pouvoir rester un ou deux jours à Montpellier avant les vacances. Alors nous causerons de tout et si la Providence veut que nous travaillions ensemble nous tâcherons [de] nous fortifier mutuellement. Frater qui adjuvateur a fratre civitas firma.

Il est toutefois bon de vous prévenir qu’en renonçant [illisible] vous vous épargnerez un certain genre de croix, mais vous ne vous délivrerez pas d’une foule d’autres que la vie vous ménagera [pour] votre bien. Il faut vous attendre à de grandes persécutions de la [part de] ceux mêmes de qui vous vous devriez attendre le plus de secours [et] envisager d’un [coeur] calme et content la croix de Jésus-Christ [et les] épines de sa couronne, rien de plus beau pour le prêtre, mon bon [deux lignes illisibles] boire le calice.

Adieu, mon bon ami. Je vous demande pardon de toutes les fautes que vous trouverez dans cette lettre que je n’ai pas le temps de relire. Adieu, adieu, priez pour moi et pensez à moi devant le Saint Sacrement. Totus tibi in Xo Jesu.

Emmanuel D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Ou peut-être *fatigues*.
2. A partir d'ici l'état du manuscrit (taches, déchirure du bord droit de la feuille) rend la lecture plus difficile encore qu'elle ne l'était déjà. D'où un certain nombre de conjectures ou d'aveux d'impuissance.