Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 81.

10 may 1836 Nîmes FOURNAS Adolphe de

Votre délicieux exorde – L’homme propose et Dieu dispose – Un jeune blanc-bec au Conseil de l’Evêque – L’accueil des bons Nîmois – Le prêtre va où on le conduit – Amis communs – Mais que faites-vous donc ?

Informations générales
  • PM_XIV_081
  • 0+265 a|CCLXV a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 81.
  • Photoc. ACR, DT 119 de l'orig. ms. des Archives diocésaines de Montpellier: Correspondance de Mgr de Cabrières avec les Augustins de l'Assomption; Transcription de J.P. Périer-Muzet.
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 APOSTOLAT
    1 CAREME
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CONVERSION SPIRITUELLE
    1 CRITIQUES
    1 DONS EN ARGENT
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 FATIGUE
    1 FRUITS
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HOPITAUX
    1 JESUS-CHRIST
    1 LIVRES
    1 MACHINES
    1 OEUVRES DE JEUNES
    1 OUVRIER
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 PRETRE
    1 RECONNAISSANCE
    1 SERMONS
    1 TRAVAIL
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VICAIRE GENERAL
    1 VIEILLESSE
    1 VOLONTE DE DIEU
    1 VOYAGES
    2 AURIOL, D'
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 DEGUERRY, JEAN-GASPARD
    2 MAHUL
    2 MERLE
    2 MOLLEVILLE, HENRY DE
    2 PIERRE, SAINT
    3 ANGLETERRE
    3 ESPAGNE
    3 MUNICH
    3 NAPLES
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 ROME
    3 SAINT-CYR-L'ECOLE
    3 TOULOUSE
  • A MONSIEUR ADOLPHE DE FOURNAS
  • FOURNAS Adolphe de
  • Nîmes, 10 mai 1836.
  • 10 may 1836
  • Nîmes
  • *Monsieur*
    *Monsieur Adolphe de Fournas*
    *Carcassonne Aude*(5).
La lettre

Mon cher ami(1),

Je reçois votre délicieux exorde et cet échantillon de votre talent oratoire me donne un tel désir de connaître tout votre sermon que je viens vous supplier de continuer au plus tôt ce que vous avez à me dire et si une lettre ne suffit pas, mettez-en deux, mettez-en quatre.

Je vous ferai seulement observer que je suis toujours le même, bougonnant parfois mais marchant toujours mon train; on peut avoir envie d’être dans une université allemande et être Grand Vicaire à Nîmes, avoir envie de s’occuper des jeunes gens et avoir sur les bras une centaine de Dames de la Miséricorde, mais vous allez encore me chapitrer et m’enhardir jusqu’à la pensée d’un désir: ah! Cher Sire! Ne soyez pas si sévère. L’homme propose et Dieu dispose. Voilà tout. J’ai quelquefois envie de demander qu’on me laisse missioner [sic] tout à mon aise car à vous parler franchement, mon goût est pour l’action. Mais il paraît que l’on a découvert que j’avais la vocation pour être administrateur, c’est-à-dire pour donner, tous les huit jours, mon opinion sur les cas de conscience présentés au Conseil de l’Evêque(2) dont j’ai l’honneur de faire partie. Allons, ne riez pas trop dans votre barbe à la pensée d’un blanc-bec de 25 ans assis gravement entre cinq ou six vieux écoutant et répondant, interrogeant et objectant et enfin faisant tout comme s’il en savait autant que les autres.

Il y a quelque chose qui me dit que c’est fort drôle d’être Grand Vicaire de si bonne heure, mais que voulez-vous y faire? Si je vous disais qu’il vaut mieux à mon goût étudier et prêcher, vous me prêcheriez l’obéissance et quoique je veuille de vos sermons, j’en désire d’autres que ceux que vous avez pu composer à St-Cyr. Après tout vous connaissez assez quel est mon genre pour savoir que je sais vivre partout. On m’a extrêmement bien reçu à Nîmes et je serais coupable de n’avoir pas une grnde reconnaissance envers les bons Nîmois. Je ne sais si je vous ai écrit que j’avais prêché presque tous les jours le Carême dernier. Vous ne sauriez croire tout ce que cette fatigue m’a valu. Tous les portefaix m’ôtent leur chapeau, les dévotes soupirent quand je tousse; j’ai reçu des bonbons à l’infini, et il n’y pas jusqu’à ma marchande de fruits qui m’avait fait manger des oranges détestables et qui, touchée de mes sermons, prend elle-même la peine de me les choisir et m’en envoie d’excellentes. Vous voyez bien que je sais prendre tous les genres.

Je vous assure toutefois que j’ai sacrifié de bien bon coeur tous mes projets de voyage dans l’espoir d’être où Dieu me veut: prêtre veut dire vieux et Jésus-Christ disait à St Pierre que quand il serait vieux on le mènerait où il ne voudrait pas(3). Vous voyez que je sais aussi me sermonner moi-même. J’espère que mes sermons fortifiés du poids de l’éloquence des vôtres finiront par me convertir. Mais je veux que vous me les prêchiez et non que vous ne me les écriviez pas. Je vous [arrête ?] donc pour le mois de juillet ou le mois d’août. Je vous rappellerai vos promesses; comptez cette lettre pour la première sommation.

Vous exagérez fort justement, mon cher et beau jeune homme, quand vous dites lorsque vous croyez qu’il faut faire sentir à Merle son retard, si pourtant vous aviez vu l’humilité de la lettre qu’il m’a adressée et dans laquelle il me fait observer que les affaires vont mal, vous auriez eu peut-être le coeur moins dur. J’ai une petite somme à Rome. Je vais écrire qu’on la lui remette mais après cela il pourra bien attendre longtemps avant qu’il touche mes fonds. Vous ne sauriez croire comme je me fais cruel tous les jours.

Je vous remercie de tout ce que vous m’apprenez de D’auriol; puisqu’il est à Rome, je vais lui écrire une seconde fois pour l’engager à renouer sa correspondance avec moi. Il n’est pas seul coupable, je dois l’avouer, mais il ne doit pas non plus trop me tenir rigueur.

Je vous ai parlé fort au long de mes faits et gestes, mais vous que faites-vous donc? Vous ne m’en dites pas un mot, sauf cinq sermons de Mr Duguerry sur lesquels vous portez un jugement que je crois très vrai et fort juste. Vous ne me soufflez pas un mot de tout ce que vous avez fait pour employer votre temps. Or vous ne me persuaderez pas que vous ayez passé votre Carême à écouter cinq sermons et à en faire la critique. Vous allez me répondre que je suis un curieux. Scusi Signore, je n’y pensais pas! Si toutefois il est permis [de] vous demander si vous n’avez pas vu Toulouse, si vous avez toujours à l’ombre des tourelles qui, si je ne me trompe, flanquent votre antique manoir, si vous n’avez pas eu fantaisie de faire un tour d’Espagne, si Mr Mahul n’est pas venu recevoir vos ovations, si… mais je n’en finirai pas. Eh bien! S’il est permis de vous faire toutes ces questions, que me répondrez-vous? Je le prévois, vous allez me demander si j’ai le projet de rester toujours à Nîmes ou d’aller à Paris ou en Angleterre ou à Munich ou à Rome. Eh mon Dieu, je n’en sais plus rien. Je crois savoir que je passerai l’été à la campagne mais plus tard je n’y vois que du feu et ce qu’il y a de bon, c’est que je ne veux plus m’en occuper [sic]. Je trouve que rien n’est délicieux comme de vivre au jour le jour. Je n’ai pas toujours pensé ainsi; mais je m’apperçois [sic] qu’il y avait un peu de bêtise de ma part à me tant tracasser à l’avance. A chaque jour suffit son mal. Pourquoi en effet aller faire de beaux projets qui avortent ou bien s’effrayer de choses qui n’arrivent pas? Je trouve que la devise de Sans Souci est la meilleure: « qu’en dites-vous? ».

Je n’ai pas plus que vous de nouvelles de notre bon Molleville(4). Peut-être est-il en train de faire quelque excursion dans les mécaniques de l’Angleterre. Pour le coup, c’est là qu’il aura du travail; s’il entreprend de compter tous les rouages des machines et les dents de chaque rouage avec le même scrupule qu’il faisait les portes et les fenêtres de l’albergo route de Naples! Demandez-lui donc de ma part si c’est cinquante neuf ou soixante croisées de façade qu’il compta à ce fameux hôpital. J’ai oublié d’en tenir note.

Je m’apperçois [sic] que je touche à la fin de ma lettre et que je ne vous pas dit un mot de votre ouvrage. Le port m’est revenu à près de 70 ff. mais comme j’avais quatre ou cinq volumes dans la même caisse, vous me permettrez de ne compter que pour soixante ff. dont la moitié de bonus, division faite, si je ne me trompe, trente. Je vais vous faire emballer votre paquet avec tout le soin possible. Je vous engage à vérifier vos gravures; dans l’exemplaire qui m’appartient, il m’en manque une; je n’ai pas examiné le vôtre mais il est possible qu’il y ait également un déficit. Il me semble que je m’allonge bien pour parler le langage de Merle. Je m’arrêtte [sic] et vous embrasse de tout mon coeur.

Emm. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Correspondant bien connu lors du voyage-retour de Rome: l'abbé d'Alzon en juin 1835 prégrina de l'Italie centrale jusqu'aux Alpes en compagnie d'Adolphe de Fournas, sans doute militaire de profession. On peut remarquer que cette lettre, absente du T. I édité par le P. Vailhé en 1923, n'était pas inconnue de M. Gérard Cholvy, universitaire de Montpellier, auteur d'une communication au *Colloque d'histoire* pour le centenaire de la mort d'Emmanuel d'Alzon en 1980. Se reporter au livre-souvenir de ces journées, publié aux éditions du Centurion (1981), page 20.
L'évêque de Nîmes à cette date est l'octogénaire Claude-François-Marie Petit-Benoît de Chaffoy, né à Besançon en 1752, évêque nommé à Nîmes depuis le 8 août 1817. Il décédera l'année suivante, le 29 septembre 1837, souffrant d'hémiplégie.
Allusion johannique 21, 18.
4. Autre compagnon de voyage du retour en France de l'abbé d'Alzon, depuis Rome.
5. Cachet de la poste: Nîmes 12 mai 1836.