Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 538.

30 sep 1849 Lavagnac MONNIER Jules

Je ne m’inquiète guère de votre maladie, mais nous prions pour vous – La conformité à la volonté de Dieu – Considérer tout ce qui nous arrive comme un cadeau divin – Ne vous tourmentez pas pour votre classe.

Informations générales
  • PM_XIV_538
  • 0+650 b|DCL b
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XIV, p. 538.
  • Copie de J.P. Périer-Muzet d'après l'original, Archives diocésaines de Montpellier: Correspondance de Mgr de Cabrières avec les Augustins de l'Assomption; Photoc. ACR, DT 120.
Informations détaillées
  • 2 REGNIER DES MARAIS
  • A MONSIEUR JULES MONNIER
  • MONNIER Jules
  • Lavagnac, 30 sept. [18]49
  • 30 sep 1849
  • Lavagnac
La lettre

Mon cher ami(1),

Quoique je ne sois pas moi-même très vaillant, je veux vous dire tout le plaisir que m’a causé la lettre de vous que Durand a eu le bon esprit de m’envoyer. La vue de votre écriture m’a confirmé dans la conviction que j’avais qu’il y avait moins de mal qu’on ne semblait le craindre de si loin, mais la lettre où Durand m’annonçait votre maladie était quelque chose de si douloureux, de si affligé que du premier coup, nous ne savions que penser et nous attendions les plus tristes nouvelles, ou plutôt nous eussions dû les attendre, si nous nous étions laissés aller à l’impression première produite par les paroles de notre excellent Germer(2).

Pour moi, j’avais signifié à Cardenne qui est auprès de moi, que je ne voulais pas m’effrayer et avant-hier encore en écrivant à Durand, je lui adressais une foule de considérations tirées de la nature des lieux, des choses et des personnes qui me prouvaient que vous aviez fort bien pu être malade mais non pas au point d’en mourir. Enfin cela vous aura valu des messes et des chapelets qui serviront à votre conversion, s’ils ne servent pas à votre guérison.

Comme je présume que la tête de mon cher maître des novices se monte quelquefois, je veux lui indiquer un excellent calmant dont j’ai fait l’épreuve. C’est d’abord un excellent traité qui se trouve dans la perfection chrétienne de Rodriguez et qui a pour titre « de la conformité à la volonté de Dieu »(3). Et si vous ne pouvez faire cette lecture de 150 pages environ, même par parties triées, je vous citerai deux passages de St Paul qui me font un effet prodigieux. Le premier est celui-ci: Nemo moveatur in tribulationibus istis: ipsi enim scitis quod in hoc positi sumus(4). Et voici le second: in omnibus gratias agentes. Il faut remercier Dieu de tout, même de la colique, même des crachements de sang, même des étouffements, même des idées noires. Or comme on ne remercie les gens que des cadeaux qu’ils nous font, il faut considérer tout ce que dessus comme un cadeau du bon Dieu. Sans quoi nous ne pourrions pas nous faire une idée exacte de l’esprit chrétien, et ce qu’il y a de plus fort, c’est que quand on considère toutes ces choses comme des cadeaux, il est impossible de se poser en tendre et intéressante victime, qui tend le cou au sacrificateur, ce qui sans doute est infiniment désagréable pour l’amour-propre et la disposition si naturelle à passer pour des gens de mérite, mais par contre-coup nous met parfaitement à notre place, c.[‘est] à. [-] d.[ire] dans notre néant.

Adieu, cher ami. Je voudrais être plus long, je ne le puis pas, le cadeau que j’ai reçu pour aujourd’hui est une grande faiblesse causée par une crampe d’estomac. Pourtant somme toute je vais mieux et beaucoup mieux. A propos: ne vous tourmentez pas pour votre classe. Nous avons préparé cinq ou six moyens de vous faire remplacer, suppléer, aider, mais on ne décidera rien sans votre avis que, j’espère, vous viendrez nous donner avant le 18 octobre. Adieu, ne me répondez pas si cela vous fatigue, mais priez quelqu’un de me donner de vos nouvelles. Je vous envoie un baiser d’ami et ma bénédiction de père(5).

E.D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. Le P. J.-P. Périer-Muzet avait cru pouvoir identifier le destinataire de cette lettre - dont la découverte dans les papiers de Mgr de Cabrières lui appartient - avec le P. Paul-Elphège Tissot. Nous pensons qu'elle était adressée à Jules Monnier. A ce moment en effet ce dernier était malade (*Lettres* B00051 et B00052). De plus c'est Monnier que le P. d'Alzon avait désigné le 27 décembre 1848 comme maître des novices du Tiers-Ordre des hommes (*Lettre* B00019 et procès verbal de la réunion du 27 décembre du T.-O., CE 1, p.20).
2. Nous identifions sans peine les deux noms distincts Durand et Germer, le même homme, Mr Eugène Germer-Durand, le savant professeur universitaire recruté par le P. d'Alzon pour son collège de l'Assomption.
3. Le P. d'Alzon cite de mémoire un chapitre de l'ouvrage essentiel du jésuite espagnol Alphonse Rodriguez (1538-1616), auteur spirituel réputé de *Ejercicio de perfeccion y virtudes cristianas*, paru à Séville en 1603 (3 volumes in-4°) dont Sommervogel connaît pas moins de sept traductions en français, dont celle répandue de l'académicien Régnier des Marais.
4. Citation de 1 Th 3,3.
5. Au dos de cette lettre, le Fr. Victor Cardenne a écrit pour le même destinataire:
"Vous souvient-il, cher ami, qu'un jour Louis 15 tombant malade à Metz, je crois, tout le monde en émoi pleura, fit des neuvaines. On l'appela le Bien-Aimé quand il fut rétabli: voilà ce qui s'est passé dans ce pays-ci à la nouvelle de votre maladie, sauf cependant qu'on n'avait pas attendu cette circonstance pénible pour vous donner ce titre affectueux.
Durand surtout, le froid Germer, a montré toute espèce de sensibilité et d'affectueuse sollicitude à votre sujet. On sentait que le nom de Bien-Aimé était gravé profondément dans son coeur. Je suis trop peu de chose pour vous parler de mon affection; comme aussi de mes espérances (la Sainte Vierge m'avait promis votre prompt rétablissement). Vous me permettrez du moins de remercier le bon Dieu devant vous en vous félicitant. La famille d'Alzon a pris grand intérêt à toutes nos inquiétudes; qui sait aimer sait se faire aimer. Que vous êtes heureux!
Tout à vous."
F.[rère] Cardenne.
Les notes, sauf la première, sont de J.-P. Périer-Muzet.