Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 306.

15 mar 1878 Rome PROPAGANDE Congrégation

Une petite malice du P. Galabert – Servilité de certains à l’égard des Russes – Attitude de nos communautés de Philippopoli et d’Andrinople envers ces derniers – Questions relatives à un futur séminaire pour la Russie et demande de faveurs liturgiques.

Informations générales
  • PM_XV_306
  • 6236 a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 306.
  • Orig.ms. Congrégation pour les Eglises Orientales, Bulgarie 1874-1881/2, foglio 1260, 4 pages. Transcription et notes: P. Jean-Paul Périer-Muzet (17/05.2000).
Informations détaillées
  • ** Aucun descripteur **
  • A LA CONGREGATION DE LA PROPAGANDE
  • PROPAGANDE Congrégation
  • Rome 15 mars [18]78
  • 15 mar 1878
  • Rome
La lettre

Monseigneur,

En attendant un rapport que le P. Galabert m’annonce sur la situation d’Andrinople et de Philippopoli, il peut vous être agréable d’avoir quelques détails extraits d’une lettre confidentielle sur ces deux villes:

1° Je dois vous confesser une petite malice que ce bon Père a faite au Père Supérieur des Résurrectionnistes (1). Ces Messieurs avaient voulu aller saluer officiellement le général Skobelef (2). Il a fallu que le Consul de France (3) sous la protection de qui ils sont, le leur défendit. Le Père Galabert prévenu par celui-ci a écrit au Père Thomas Brzeska pour lui demander ce qui était vrai. Le bon P. Thomas a nié une partie et le P. Galabert feignant de croire ce qu’a affirmé le P. Thomas, l’a félicité en lui faisant observer combien il était dangereux de croire certains rapports, surtout de les colporter au loin. Le Père Thomas a compris la leçon (4).

2° Le Père Galabert a eu de l’indignation contre les Grecs, Bulgares et Arméniens qui naguère se traînaient aux pieds des Turcs et maintenant sont allés chanter des cantiques en allant à la rencontre des Russes. Il n’a pas voulu participer à ces bassesses (5).

3° Il agit autrement à Philippopoli. Comme les Russes y resteront probablement longtemps, il a engagé nos religieux (6) à pousser les jeunes Bulgares catholiques à ne faire aucune opposition aux Russes. Comme nous avons là une association de 200 jeunes catholiques, le conseil m’a semblé bon parce que les Russes verront que les catholiques ne leur sont pas systématiquement opposés. Du reste les relations de nos religieux d’Andrinople (7) avec les Russes ont été empreintes d’une grande bienveillance. Nous sommes restés cependant sur une certaine réserve. Le Père Galabert croit que l’élément militaire est plus sympathique que l’élément civil au catholicisme.

4° Le colonel Gaillard, attaché militaire à l’ambassade française à St-Petersbourg, a assuré au P. Galabert qu’il ne croyait pas qu’il y eût la moindre difficulté à ce que quelques prêtres français s’établissent à Odessa pour les besoins spirituels de nos nationaux. Cela m’engage beaucoup à étudier la question à fond.

5° J’en reviens à Philippopoli pour faire observer qu’il serait très important, en face des secours que les Russes vont donner aux écoles schismatiques, de pouvoir fonder dans les villages des écoles catholiques. Peut-être serait-il utile d’en écrire un mot à l’évêque de Philippopoli (8); si votre Excellence veut, sur cette question, d’autres renseignements, je puis les lui fournir de vive voix (9).

3° Le Drogman grec du vilayet d’Andrinople et un officier turc sont venus prier le Père Galabert de recevoir les enfants orphelins turcs. Or voici ce qui a lieu.

Un grec et un turc s’entendent pour demander à des catholiques d’élever de petits musulmans et les fonds sont faits, paraît-il, par un comité protestant. Il meurt beaucoup de ces enfants et le P. Galabert recommande aux religieux qui en sont chargés de ne les baptiser qu’à la dernière heure et sans en parler. Il paraît qu’on veut organiser un grand orphelinat turc pour les victimes de la guerre et qu’il serait confié à nos Soeurs. C’est pour cela que la prudence est nécessaire. Il est malheureusement certain que les souffrances antérieures déciment ces pauvres enfants. L’officier turc qui a proposé cette oeuvre est si charmé des soins donnés aux petits abandonnés qu’il en amène tous les jours.

Il est sûr que lorsque les Turcs reviendront à Andrinople, ils seront reconnaissants aux catholiques de ce qu’on aura fait à ces enfants.

7° Chose étonnante! St Joseph semble s’être fait le Père nourricier de l’entreprise. On lui fait sans cesse des neuvaines et il envoie toujours un peu plus qu’on ne lui demande. Les protestants et l’Angleterre nous viennent en aide, mais une triste observation à faire est que tandis que les Turcs témoignent toujours la plus vive reconnaissance, les Bulgares, les femmes surtout, ne sont jamais contents de ce qu’on fait pour eux.

8° Je croyais que le petit séminaire était commencé. Les bouleversements qui viennent d’avoir lieu (10) en ont fait retarder l’ouverture et comme les lettres interceptées ont fait retarder certaines demandes, au lieu de s’ouvrir le 19 fête de st Joseph, on retardera ou jusqu’à Pâques ou jusqu’à la fête du patronage de st Joseph. Si Mgr Rampolla (11) pouvait obtenir une bénédiction du St Père pour cette oeuvre qui va commencer, tous les religieux d’Andrinople lui en seraient très reconnaissants. Je joins à cette relation qui sera complétée dans quelques jours une note de questions sur lesquelles j’appelle l’attention de votre Excellence parce que j’irai dans quelques jours solliciter une réponse quand j’aurai reçu le rapport du Père Galabert (12).

1

Peut-on espérer avoir une approbation pour un séminaire destiné à préparer des Slaves pour les Missions en Russie? Les missionnaires seraient formés au rite slave.

2

Pourrait-[on] ouvrir dans cette maison une chapelle avec le St-Sacrement pour que les séminaristes ne fussent pas obligés d’aller à la paroisse? Cette chapelle serait fréquentée en outre par le petit collège catholique tenu par nos religieux et par des enfants élevés pour les travaux des champs. Cette chapelle serait dans un faubourg.

3

Pourrait-on avoir une chapelle avec le St-Sacrement pour les religieux qui ont en ville un externat de garçons? Les religieux de l’Assomption suivant le propre de Rome, pourraient-ils obtenir qu’on sollicitât pour eux les fêtes de st Jean Chysostome et de st Grégoire de Naziance au rang de double majeur?

Je suis, avec respect, Monseigneur, de votre Excellence le très humble et obéissant serviteur.

E. d’Alzon

des Augustins de l’Assomption

J’oubliais de faire observer que les futurs missionnaires sont depuis quelque temps chez nous et ont été éprouvés. Ils sont au nombre [de] sept à huit.

E. d'Alzon des Augustins de l'Assomption
Notes et post-scriptum
1. Il s'agit du P. Thomas Brzeska, supérieur des Résurrectionnistes polonais à Andrinople.
2. On trouve ce nom de général russe dans les encyclopédies à l'orthographe suivante: SKOBELEV Mikhaïl Dimitrievitch (1843-1882). De 1871 à 1875, il prit part à la conquête du Turkestan et se distingua dans la guerre russo-turque de 1877/1878 à la bataille de Plevna. Il s'empara d'Andrinople, coup d'éclat qui mit fin à la guerre et permit le traité de San Stefano. C'est une des âmes fortes et un des bras armés du panslavisme.
3. Qui se cache derrière ce titre à cette date, naguère honoré par M. Albert de Courtois et François-Noël Champoiseau? Un certain M. Fletch dont nous ne garantissons pas l'orthographe. Le chancelier du Consulat se nomme Ferdinand Ronzevalle.
4. La "malice" du P. Galabert, victime d'un ragot du P. Thomas rapporté jusqu'à Rome, garde les limites de la charité évangélique: cf Lettres d'Alzon, t.XII, p.376-378 et, particulièrement, la n.5.
5. Le P. d'Alzon se fait ici l'écho de nouvelles que lui a données le P. Galabert dans sa lettre du 28 février 1878.
6. La communauté AA de Philippopoli se compose alors de 4 religieux, les PP. Alexandre Chilier, Barthélemy Lampre, des Frères Jacques Chilier et François de Sales Bonnefoy.
7. Font partie de la communauté d'Andrinople les PP. Victorin Galabert, Athanase Malassigné, Luigi Dimitrov, Ivan Pistichki, Francesco Schiskov et le bon frère Joseph Marachliev au dévouement total, surnommé "tchélébi".
8. Mgr Francesco Raynaudi.
9. Le P. d'Alzon se trouve en effet à cette époque à Rome où il vit les temps forts de l'Eglise: la mort du pape Pie IX et l'élection de son successeur, Léon XIII.
10. Il s'agit de la guerre dite de la libération de la Bulgarie dans l'historiographie nationale du pays (1877/1878). Le traité de San Stefano, imposé à la Turquie par la Russie victorieuse en faveur de la création d'une grande Bulgarie, sera revu à la baisse au Congrès de Berlin par les puissances occidentales, soucieuses de ménager l'empire ottoman et de contenir les ambitions russes en direction des Détroits. Le dévouement des religieux AA et des religieuses OA au chevet des blessés et des malades du typhus, lesquels font en cette occasion l'épreuve du feu, coûtera la vie à plusieurs, dont celle du P. Barthélemy Lampre "martyr de la charité".
11. Mariano Rampolla del Tindaro (1843-1913), secrétaire à la Propagande en 1877.
12. Nous pouvons dresser le tableau de l'oeuvre de la Mission d'Orient en ces années 1877/1878. A Philippopoli, les religieux ont créé depuis 1864 la petite école Saint-André et une Association -Patronage de la jeunesse catholique bulgare. A Andrinople, les Oblates tiennent un pensionnat-externat, baptisé Sainte-Hélène, dans la ville, à Kourou-Tchesmé, dans une maison double: d'un côté le couvent de 6 Soeurs, haremelik, dirigé par Mère Chantal Dugas, et de l'autre la communauté des religieux, Sélamlik, dirigée par le P. Galabert. Le P. d'Alzon imposera la séparation de résidence. Dans le quartier de Kaïk, à l'est de la ville, les Soeurs Oblates desservent l'hôpital Saint-Louis, la supérieure en est Soeur Véronique Villaret. En plus, deux religieuses enseignent à l'école de la paroisse catholique Saint-Dimitri. A Karagatch, faubourg d'Andrinople, le P. Malassigné dirige une école appelée "petit collège de l'Assomption". A côté, se développe à la suite des malheurs de la guerre l'orphelinat Saint-Joseph. L'alumnat qui va être prochainement fondé, sera confié par le P. Galabert au P. Ivan Pistichki.