Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 147

1864-apr-19 Nîmes CHAPONAY Comtesse

Réflexions tirées de la fête du patronage de Saint Joseph – Joseph patriarche biblique, figure du Christ – Adoration, communion, action – Imitation de Jésus-Christ – Lettre d’Ozanam dont il n’a pas la copie sous la main.

Informations générales
  • PM_XV_147
  • 2189 a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 147
  • Orig. ms. Fonds Chaponay Archives Départementales du Rhône, 44 J 154. Photoc. ACR BZD 8/2. Transcription ACR BG 224/2.
Informations détaillées
  • A MADAME LA COMTESSE DE CHAPONAY
  • CHAPONAY Comtesse
  • Nîmes, 19 avril 1864
  • 1864-apr-19
  • Nîmes
La lettre

Permettez-moi, ma chère fille, de vous communiquer quelques réflexions qui m’ont été suggérées par la fête que nous célébrions hier, le patronage de St Joseph (1).

Dieu a permis que les principaux traits de la vie de N.-S. fussentreproduits d’avance par les patriarches. Et le premier Joseph (2) vendu par ses frères, enfermé trois ans dans un cachot expliquant des songes mystérieux qui se rapportent au pain et au vin, nourrissant l’Egypte d’une manière admirable par l’effet de son don prophétique, était sans s’en douter peut-être, la figure de N.-S. vendu lui-aussi, enfermé dans le tombeau, y préparant le pain et le vin eucharistique, et nourrissant merveilleusement non pas l’Egypte pendant sept ans, mais toute l’Eglise jusqu’à la fin des siècles. Mais encore une fois ces ombres de la figure de N.-S. n’avaient pas même dans leur sainteté la conscience du mystère qu’elles prédisaient; au contraire depuis la croix, les chrétiens sont appelés à être la copie de notre divin Maître. Ce qui s’accomplit, si je puis dire ainsi, de trois manières, par l’adoration, par la communion, par l’action: dans l’adoration nous pouvons faire en quelque sorte la photographie de N.-S en nous. Nous sommes la plaque. Il est à la fois le modèle et la lumière qui grave. Il faut s’exposer à ses rayons divins. Plus la plaque est unie, polie, sans taches, plus la reproduction est exacte, avec cette différence [d’] avec la photographie, que passées quelques secondes, la lumière physique détruit son œuvre et que la lumière divine va la perfectionnant de plus en plus. Dans la communion, l’empreinte est plus forte encore. C’est J.C. descendant au fond de notre cœur pour opérer un travail intime et faire comme une transposition de figures. Ce n’est plus nous, c’est lui, si nous le voulons. Nous nous effaçons afin qu’il apparaisse. Enfin l’action de toute la vie, c’est J.C. Les actes des patriarches l’ont représenté, même lorsque ces actes n’avaient rien de bon intrinsèquement, comme le sommeil d’Adam ou l’ivresse de Noé. Au contraire toutes nos imitations du Sauveur doivent être des fruits de vertu et chaque effort surnaturel doit être un essai pour reproduire quelque chose de la perfection du plus beau des enfants des hommes (3). Enivrez-vous de cette beauté divine qu’il communique à ceux qui l’aiment, et qu’il imprime si puissamment quand on le veut.

Ce que vous me dites de votre désir de la vie cachée serait bon, si je ne craignais un accomodement de paresse spirituelle. Je voulais vous copier un passage d’une lettre d’Ozanam; je ne l’ai pas sous la main, ce sera pour une autre fois.

Adieu, ma chère fille, je prie bien pour vous et vous prie de croire à mon plus paternel dévouement.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
(1) II a existé effectivement dans le calendrier romain une fête liturgique du patronage de saint Joseph, étendue par Pie IX en 1847 à l'Eglise universelle et fixée au troisième dimanche après Pâques. La solennité de Pâques tombait le 27 mars en 1864, le troisème dimanche après Pâques, le 17 avril.
(2) L'histoire du patriarche Joseph est racontée dans la Bible: Gn 37-50. On pourrait penser avoir affaire ici à une des meilleures pages de l'exégèse allégorique et typologique des Pères de l'Eglise.
(3) Expression typiquement biblique: PS 45(44), 3.