Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 167

1865-dec-29 Lavagnac CHAPONAY Comtesse

Motifs du retard de sa réponse – L’expérience récente d’une double mort le convainc qu’il faut travailler uniquement pour Dieu – Regard sur ses 55 ans de vie et réso-lution de travailler à la perfection de sa vie – Moritification spirituelle Rendez-vous à Lyon en janvier 1866.

Informations générales
  • PM_XV_167
  • 2707 a
  • Périer-Muzet, Lettres, Tome XV, p. 167
  • Orig. ms. Fonds Chaponay Archives Départementales du Rhône, 44 J 154. Photoc. ACR BZD 8/15. Transcription ACR BG 224/15.
Informations détaillées
  • A MADAME LA COMTESSE DE CHAPONAY
  • CHAPONAY Comtesse
  • Lavagnac, 29 décembre 1865
  • 1865-dec-29
  • Lavagnac
La lettre

Voilà juste un mois que j’ai reçu votre lettre, ma chère fille. Il faut me pardonner. J’ai prêché une retraite. J’ai perdu deux personnes avec qui j’étais très bien et que j’ai dû assister à leurs derniers moments. Ces morts m’ont empêché de m’occuper, comme je l’eusse désiré, des vivants, mais me voilà à la campagne pour quelques jours et j’en profite avec empresse-ment pour venir causer avec vous. Vous ne sauriez trop remercier Notre^-Seigneur de la triple disposition où il vous met et que vous me décrivez à merveille. Du reste il me semble que je la comprends d’autant mieux que je crois l’éprouver.

La mort qui, à cinq jours de distance, a frappé une personne pieu-se avec qui j’étais dans les meilleurs rapports (1), la manière dont elle a as-sisté à sa propre agonie analysant toutes ses impressions, la terreur qu’elle avait du dernier soupir, jusqu’à ce qu’elle ait reçu l’Extrême-Onction, le calme qui a succédé à son épouvante, puis la mort d’un prêtre de mes amis qui en disparaissant emporte avec lui l’existence d’une œuvre à laquelle il avait consacré huit laborieuses années (2), les chagrins qui ont hâté sa fin, tout cela m’a donné comme à vous un profond sentiment que la vie est peu de chose et que tout ce qui ne repose pas sur Dieu seul est bien fugitif. Sur ce point, nous sommes tous les deux parfaitement d’accord et la conclusion est que par dessus tout, il faut travailler uniquement pour Dieu.

Votre seconde disposition me va aussi à merveille, c’est surtout à la fin de l’année et en jetant un regard sur mes cinquante cinq ans écoulés que je me demande ce que j’en ai fait et que je suis tout honteux de répon-dre: rien. Aussi, ma chère fille, ne saurai-je trop vous exhorter à prendre votre sort à deux mains pour l’année qui commence et à la jeter tout entière dans le sein de Dieu. Il faut décidément travailler à toute la perfection où Notre Seigneur nous appelle. Pour cela il n’est besoin que de deux choses, se persuader d’abord que ce ne sont pas les actes éclatants, extraordinaires que Dieu demande. Quoi de plus ordinaire que l’ensemble de la vie de N.-S. et de la Ste Vierge. C’est la perfection des actions vulgaires où git la per-fection de chaque instant, puis il faut prendre l’Evangile et en imiter ronde-ment tout ce que l’on peut.

Quant à l’amour pour N.-S., il vous porte au véritable désir: cela me revient quand je suis au repos, mais dans les distractions du travail de Nîmes, cela n’est pas sans difficulté pour moi. Certainement la mortifica-tion spirituelle est la meilleure, surtout quand Dieu, par la maladie, se char-ge des autres. Allez toujours à la sainte table, dussiez-vous ne vous confes-ser que tous les mois.

Serez-vous à Lyon du 20 au 25 janvier? Je la traverserai à cette époque et voudrais m’arrêter pour vous voir (3). Adieu, ma chère fille. Mille fois vôtre dans l’amour de N.-S.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
(1) II s'agit sans doute ici d'Alexandrine Pagézy, l'une des premières Adoratri-ces. Cf Lettre n° 2707, t. V, p. 460.
(2) Le P. d'Alzon a assisté aux derniers moments du chanoine Félix-Adrien Couderc de Latour-Lisside: cf Lettre n° 2699, t. V, p. 455. L'œuvre dissipée a rapport avec la maison de Mireman que le P. d'Alzon avait dans les années 1852-1855 affectée à un or-phelinat agricole, devenue ensuite une pension pour dames âgées à la retraite.
(3) L'étape lyonnaise du P. d'Alzon fut de courte durée: il quitta Nîmes le 23 janvier 1866, s'arrêta à Lyon, mais dès le 26 se trouvait à Paris.