Vailhé, LETTRES, vol.1, p.8

17 dec 1827 Paris, ALZON_VICOMTE
Informations générales
  • V1-008
  • 0+005|V
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.8
Informations détaillées
  • 1 BLE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 CONNAISSANCE
    1 DEVOIRS SCOLAIRES
    1 DOMESTIQUES
    1 EMPLOI DU TEMPS
    1 ETRE HUMAIN
    1 LIVRES
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 PENSEE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 REGLEMENT SCOLAIRE
    1 REPOS
    1 REVELATION
    1 SOCIETE
    1 THEOLOGIE NATURELLE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    1 VERITE
    1 VERS A SOIE
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 CHRISTOL
    2 DEMOSTHENE
    2 DESCARTES, RENE
    2 JACOB
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LAROMIGUIERE, PIERRE
    2 MICHELLE, FRANCOIS-ETIENNE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 RACINE, JEAN
    2 VILLEMAIN, ABEL-FRANCOIS
    3 LAVAGNAC
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
    3 PARIS, LA SORBONNE
    3 PARIS, RUE DE VAUGIRARD
  • A SON PERE (1).
  • ALZON_VICOMTE
  • le 17 décembre 1827.
  • 17 dec 1827
  • Paris,
  • Monsieur
    Monsieur le vicomte Henri d'Alzon,
    au château de Lavagnac,
    par Montagnac (Hérault).
La lettre

Mon cher papa,

Je suis fou du système de M. de Bonald. Son livre est admirable, sa philosophie est toute divine, sa manière de procéder est la perfection même. Ce n’est pas que j’en aie entendu faire un grand éloge en classe, car son système n’y est pas adopté; mais, pour peu qu’on le veuille méditer, on sent tout ce qu’il vaut.

Il y a un ou deux mois que j’avais lu ses Recherches philosophiques d’un bout à l’autre; mais samedi dernier, son fils étant à la maison m’en parla et me demanda ce qu’on en pensait. Nous en causâmes assez longtemps. Il me dit, comme à vous, que le système de M. de la Mennais n’était que le développement de celui de son père, mais il ne m’en donna pas les raisons. Le soir, comme je travaillais à mon devoir de classe, l’idée me vint de chercher la manière dont procédait M. de Bonald. J’ouvris un certain cahier, dans lequel j’écris tout ce qui me passe par la tête de ce genre-là et, après avoir bien cherché, médité, argumenté, voici ce que j’écrivis. Je vous le copie, parce que je veux vous donner une idée de mes méditations particulières.

Manière dont, je crois, raisonne M. de Bonald.

L’homme ne peut penser que par la parole. Or, la parole, il ne peut la recevoir que de la société. Donc, il est impossible qu il s’isole pour parvenir à la connaissance de la vérité; car il ne peut recevoir de la société les mots, sans en recevoir l’idée qui y est attachée. Donc, l’idée (et l’on ne peut connaître la vérité sans idée) n’est pas innée chez lui. (Donc, seul, il ne peut découvrir la vérité.)

Si l’idée n’est pas innée chez lui, il doit donc la recevoir de Dieu ou de la société. Or, il est reconnu que, par la raison que des parties indivisibles ne peuvent former des parties divisibles [et] qu’une armée d’aveugles ne peut faire un seul clairvoyant, l’homme en particulier ne pouvant découvrir la vérité, la société ne peut pas non plus la découvrir. (J’ajouterai en passant que, si l’homme seul ne peut inventer la parole, la société ne pourra pas non plus l’inventer.) Il faudra donc que Dieu l’ait manifestée lui-même (la vérité, et donne la parole aux hommes), et c’est ce qu’il a fait (pour la vérité) dans la révélation. Nous verrons un peu plus tard pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il révélât la vérité à chaque homme, et les moyens qu’il a pris pour la faire connaître à tous. Si donc la vérité s’est pour ainsi dire révélée elle-même, nous devons commencer par l’étudier et non par étudier l’homme (ceci s’applique au système de Descartes), et l’étudier non pas pour la trouver, car avant qu’on prononçât devant nous le mot de Dieu, nous n’en avions aucune idée, et dès qu’on l’eut prononcé, nous sûmes qu’il existait. Il est donc essentiel de commencer par dire: je crois; car on ne peut chercher à connaître Dieu sans le connaître déjà.

Cette expression est embarrassée, j’en conviens, mais n’en est pas moins, celle qui présente la manière de procéder de ceux qui prétendent parvenir à la connaissance de Dieu sans le connaître déjà.

Et d’abord, je défie de trouver un homme qui se soit occupé de la recherche de la vérité et n’ait pas entendu prononcer le nom de l’Etre suprême, quel que soit ce nom (on sait que les uns l’appelaient le bon, le tout, le très-haut, etc.). Ils n’ont donc pu s’occuper (de l’existence) de la divinité, sans en avoir entendu parler, et cela seul prouve son existence. Car, pour me servir de l’argument de Descartes, Dieu est possible, donc il est. Donc, encore une fois, il faut dire en commençant: je crois, et non pas: je doute; car, ici, comme dans les propositions qui attaquent l’honneur ou la morale, le doute est aussi honteux que la concession. L’homme ne peut donc pas commencer par le doute.

Les fréquentes parenthèses que j’ai mises renfermaient les éclaircissements pour le lecteur, et dont je n’avais moi-même pas besoin, n’écrivant que pour moi. Je crains bien, malgré toutes ces parenthèses et éclaircissements, que vous n’y compreniez pas grand’chose, et qu’à force d’être profond, je sois inintelligible; et cependant, lorsque je l’écrivis, cela me paraissait si clair que j’étais plus content de moi qu’après la meilleure de mes chasses. Je ne veux pas m’appesantir plus longtemps sur ce sujet. Je vous prierai seulement de me donner votre avis.

Je travaille beaucoup. Voici le plan de vie que je suis depuis quelques jours et dont je me trouve fort bien. Je me lève à 6 heures. A 6 h. 1/2 au travail jusqu’à 8 h. 1:4. J’emploie ce temps à apprendre une heure de grec et trois quarts d’heure de français, le matin étant le meilleur temps pour la mémoire. Par là, la mienne se dérouille si bien que, ce matin, en moins de trois quarts d’heure, j’ai appris cent vers de Racine tirés d’Andromaque. C’est le discours de Démosthène Sur la couronne que j’étudie, pour le grec; il est très beau et m’exerce beaucoup. Entre les deux classes, je travaille ou à la philosophie ou à diverses choses. Le mardi, je vais, à ce moment, au cours de Villemain (2). Depuis 7 heures jusqu’à 10 h. 1/2 du soir, je m’occupe de philosophie, et de 10 h. 1/2 jusqu’à 11 h. 1/2 de quelque lecture, comme Anacharsis, l’Esprit de l’histoire, ou je prépare le grec que j’ai à apprendre le lendemain. Je suis toujours couché quelques minutes avant minuit.

J’ai encore quelque peine à vaincre le sommeil, mais j’espère en venir à bout. Et cependant, ce matin, le moment où j’avais le plus envie de dormir est celui où j’ai le plus vite appris mon Racine. Vous pensez bien qu’avec de telles dispositions je pense à la bibliothèque. Voici le plan que j’ai adopté et que je vous propose. Pour l’aile du château, du côté des appartements de Christol, faire de la chambre du repassage un cabinet pour vous. J’oubliais de vous dire que maman suppose qu’en chevalier français vous céderiez votre chambre à Augustine et votre cabinet à Marie. — Je disais donc qu’on pourrait faire du repassage un cabinet pour- vous, de la chambre de Christol une chambre pour vous encore. Vous auriez l’avantage inestimable de surveiller facilement de cet endroit tous les valets. On détruirait l’escalier, qui ferait une chambre pour moi; les deux pièces suivantes seraient la… (je me tais), et, pour ne pas monter au grenier par l’échelle de Jacob, on construirait un escalier dans la tour qui est au fond. J’aurais un passage par l’escalier de la cour intérieure, et au moyen d’une poulie, vous pourriez faire monter la feuille des vers à soie et le blé, bien plus facilement encore que par l’escalier présent.

Il faut que j’aille me confesser avant la classe. Je vous embrasse bien tendrement et vous prie de songer à ce beau projet.

EMMANUEL.

Je vous prie, mon cher petit père de me pardonner mes fautes d’orthographe. C’est tout au plus si j’ai le temps de jeter un coup d’oeil sur ce que je vous ai écrit (3).

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Publiée en partie dans *Notes et Documents*, t. 1er, p. 64-66.2. Le mardi était jour de congé au collège Stanislas, et Emmanuel, qui était externe, en profitait pour se rendre au cours de la Sorbonne.
3. La lettre d'Emmanuel répondait en partie à une lettre de son père, d'où nous extrayons ce passage: "Te voilà donc, mon cher petit philosophe, initié dans les mystères de la philosophie. Ta mère m'écrit que tu t'es bien remis de l'ouvrage et que tu parais sérieusement occupé de ton affaire. Cette nouvelle me fait le plus grand plaisir. J'espère que tu continueras à me le procurer, en te souvenant de ce que je t'ai dit du prix du temps, à ton âge, et des regrets qu'on éprouve plus tard de ne l'avoir pas employé comme il faut.
"Quoique M. Michelle t'ait engagé à laisser là M. l'abbé de la Mennais, je te conseille cependant de ne pas l'abandonner tout à fait, parce que s'il n'est pas encore reconnu que son système est supérieur aux autres systèmes de philosophie, il n'est pas prouvé, non plus, qu'il leur soit inférieur. Tu verras ce que M. de la Romiguière lui-même pense de la science philosophique. Le point de départ de M. de la Mennais, ainsi que son unique but, c'est la religion. Son style en vaut bien pour le moins un autre. En voilà bien assez pour ne pas négliger cet auteur.
"Est-ce qu'il ne t'a plus rien dit des *Recherches philosophiques* de M. de Bonald ? C'est cependant un excellent ouvrage. Il est vrai qu'il n'est pas au nombre de ceux qu'on appelle élémentaires, non plus que celui de M. de la Mennais, et que peut- être, plus tard, il t'en recommandera la lecture..."