Vailhé, LETTRES, vol.1, p.47

31 mar 1830 Paris, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-047
  • 0+017|XVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.47
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ANNONCIATION
    1 BONHEUR
    1 DISTRACTION
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 ORGUEIL
    1 PORTEMENT DE LA CROIX PAR LE CHRETIEN
    1 PRATIQUE RELIGIEUSE DES LAICS
    1 PURIFICATION
    1 RETRAITE SPIRITUELLE
    2 BYRON, LORD
    2 THIEBAULT, LOUIS
    3 JUILLY
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1)
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • fin mars 1830.]
  • 31 mar 1830
  • Paris,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne,
    Rue Duphot, n°11.
    Paris.
La lettre

Je suis fâché, mon cher ami, que mon étourderie m’ait empêché de vous écrire à Juilly. Je voulais vous parler de choses qui maintenant sont peut-être hors de saison; mais il est décidé que je suis un étourdi. Ainsi, n’en parlons plus.

Vous m’avez fait de la peine en me disant que vous croyez lord Byron trop orgueilleux pour avoir un ami; car je suis bien orgueilleux, moi. L’orgueil est le fond de mon caractère, et pourtant il me semble que je vous aime bien. Vous connaissez ce que c’est que d’aimer -d’amitié j’entends;- parlez-m’en donc un peu. Je suis quelquefois triste, parce qu’il me semble que mon amour pour ceux à qui je m’attache est bien moins chaud que celui qu’ils me rendent. Il m’est prouvé aujourd’hui que j’ai été complètement trompé en fait d’attachement, et cela ne m’a pas corrigé. Il faut que j’aime, et que j’aime quelqu’un. Je ne sais si j’éprouverai jamais, comme je l’ai éprouvé, la passion de l’amitié. C’est un feu qui se refroidit à brûler pour rien. peut-être n’a-t-il besoin que de quelqu’un qui le veuille.

Je souhaite que votre retraite vous ait fait tout le bien possible. Ce matin, et jeudi dernier, fête de l’Annonciation, je pensais à vous et à Thiébault d’une manière particulière. J’ai été quelquefois effrayé de porter devant Dieu mon amour pour mes amis, et j’ai vu depuis que je n’avais qu’à le purifier: omnia munda mundis. Alors, on peut les lui présenter, lui offrir son amour pour eux, et cela fait du bien.

Mon cher ami, je me convaincs tous les jours, et ce soir plus que jamais, qu’il n’y a de bonheur que dans la religion, et surtout dans la pratique de la religion. Comme la foi y grandit l’intelligence! Comme la charité dilate le coeur! Mais il faut prendre sa croix, mais il faut savoir la porter et non pas la traîner après soi, car si nous ne la prenons pas comme un soutien, comme un appui, il faut qu’elle nous accable comme un poids fatigant dont on ne peut se débarrasser.

Pour ce soir, je ne vous en dirai pas davantage. Il est près d’une heure du matin. Je vous ai sacrifié mes Mémoires. Dites-moi donc si vous m’aimez comme je vous aime.

EMMANUEL.

Belle chose qu’une belle écriture!

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 127.