Vailhé, LETTRES, vol.1, p.63

23 may 1830 [Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-063
  • 0+021|XXI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.63
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ANIMAUX
    1 ARMEE
    1 ATHEISME
    1 BATEAU
    1 CATHOLICISME
    1 DISTRACTION
    1 FOI
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 JARDINS
    1 LIVRES
    1 MEDISANCE
    1 ORGUEIL
    1 PARENTE
    1 PASSIONS
    1 PASSIONS MAUVAISES
    1 PLANTES
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 REGLEMENT SCOLAIRE
    1 REGULARITE
    1 REPAS
    1 SAINTE TABLE
    1 SENSIBILITE
    1 SERMONS
    1 SOUVERAINETE POLITIQUE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 TRISTESSE PSYCHOLOGIQUE
    1 VANITE
    2 CONSTANT, BENJAMIN
    2 COUSIN, VICTOR
    2 GOURAUD, HENRI
    2 LAMARTINE
    2 RIAMBOURG, JEAN-BAPTISTE DE
    2 VIDAL
    3 HERAULT, RIVIERE
    3 LYON
    3 PARIS, RUE JACOB
    3 PARIS, RUE SAINT-BENOIT
    3 PEZENAS
    3 RHONE, FLEUVE
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD (1).
  • GOURAUD_HENRI
  • le 23 mai 1830.]
  • 23 may 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Henry Gouraud,
    élève interne a l'hospice des enfants malades,
    rue de Sèvres, n° 3.
    Paris.
La lettre

Vous êtes, mon cher ami, le premier de mes amis de Paris qui m’ayez écrit, et cela me restera longtemps dans la mémoire, je ne dirai pas sur le coeur puisque cela signifierait le contraire de ma pensée. Quoique au moment où j’ai reçu votre lettre, vous ayez dû depuis longtemps recevoir la mienne, je ne sais pourquoi cette marque d’attention m’a touché, parce que je vous croyais trop distrait pour mettre à exécution un tel dessein, quoique vous en eussiez eu la bonne volonté. Continuez, mon cher Gouraud, à vous mettre dans cette régularité que je vous ai si souvent prêchée. Commencés par moi, je vous assure qu’il me sera bien agréable de recueillir les premiers fruits de mes sermons, car, quoique j’ai bon besoin d’être sermonné moi-même, je ne veux pas perdre la bonne [habitude] de faire la morale aux autres. Tout aussi bien, vous aussi, m’adressez-vous des paroles salutaires sur la vanité. Elle n’était pas encore arrivée, lorsque vous avez fait votre morale, mais je vous en remercie tout de même: vous avez prévenu la réflexion.

Vous voulez que je vous fasse une description de ma manière de vivre. Voici ma règle: Lever à 6 heures; de 7 à 10, étude; à 10, déjeuner, de midi à 5 heures étude, de 8 à 10 également. Voilà la règle. Il y a des déviations, parce que les visites à faire ou à rendre l’exigent. Avec cela, je travaille assez. Le soir est consacré à ma correspondance;, ce qui fait que, à moins d’être obligé d’aller au salon tenir compagnie à des étrangers, mes amis font tous les jours une ou deux heures de mon temps.

Vous n’êtes pas orgueilleux, Gouraud. C’est fort heureux pour vous. Moi, je le suis au suprême degré, et je vous assure que c’est un rude mal que de ne pouvoir rien penser, rien faire, rien dire, sans sentir son coeur se gonfler ou de dépit ou d’une sotte joie. Cela ne m’arrive plus si souvent, parce que j’ai pris mon parti et que la droiture d’intention abat bien des chimères, et pour la plupart du temps l’orgueil ne repose pas sur autre chose. Après cela, il faut qu’un feu en étouffe un autre. Il faut aimer, et l’amour pur, l’amour vrai dissipe aussi cette mauvaise propension de l’esprit à se laisser entraîner par une fausse opinion de lui-même.

Vous êtes donc bien désolé d’avoir affaire avec un libéral, qui croit en la souveraineté du peuple ct qui ne croit pas en Dieu. Eh bien! il y a quelque chose de plus pénible encore peut-être, c’est d’avoir affaire à un homme qui croit en Dieu, à l’absurdité de la souveraineté du peuple, qui croit que le catholicisme est la religion vraie, mais qui ayant intérêt, par certaines passions, à ce qu’il ne le soit pas entièrement, va puiser dans Benjamin Constant et dans Cousin un amalgame d’idées qu’il ne comprend pas, qu’il ne veut peut-être pas comprendre, dont il s’embrouille l’esprit, la conscience, aux yeux de ceux qui veulent discuter avec lui. Il est possible que je fasse un jugement téméraire mais c’est, il me semble, le portrait d’un de mes parents, avec qui j’ai depuis quelques jours à causer philosophie ou quelque chose d’approchant.

J’ai oublié de vous achever mon plan de vie. Dans l’étude de midi à 5 heures, comme il fait quelquefois assez chaud, quand je n’ai qu’à lire, je descends dans le jardin et je vais me promener, ou sous des allées de vieux marronniers, ou dans des bosquets, qui, quoique un peu trop français, sont extrêmement touffus. Quelquefois, après le dîner, je vais me promener sur l’Hérault, qui est tout près du château, et je m’amuse à y réciter les Méditations de Lamartine. Malheureusement, ceux à qui je les dis ne sont pas tous dans le cas de les comprendre. Quelquefois, je vais tout seul avec le batelier, que je fais asseoir au bout de la barque, tandis que je rame. Quand j’ai remonté la rivière à une certaine hauteur, je suspends mon travail et, comme le courant est insensible je m’y laisse aller doucement au milieu d’un bassin assez large. Alors le batelier me raconte comme quoi il a traversé à la nage le Rhône ou la rade de Lyon, ou comment, dans je ne sais plus quel siège, il a eu la jambe cassée. Comme mes chiens m’accompagnent toujours, ma promenade se termine par un bain que je leur fais prendre.

Mon cher ami, je finirai par un sermon. Mais l’idée de vous le faire me prend maintenant; une autre fois, peut-être je n’y penserais plus. Si vous aviez envie véritablement de vous consacrer à Dieu pour travailler à la défense de la religion, approchez, approchez le plus souvent possible de la sainte Table. J’éprouve par expérience combien on est faible quand on se prive de secours infinis, qu’on peut se procurer avec si peu de peine. Ce n’est qu’aux personnes sans orgueil, sans vices, qu’il peut ne pas être indispensable de se refuser des forces pour combattre; mais vous, vous avez trop de coeur pour n’avoir pas des passions, et le meilleur moyen de les comprimer, c’est de faire le plus souvent possible triompher Jésus-Christ dans son âme. Ce que je vous dis là, cher ami, c’est une expérience personnelle et toute récente qui me [le] fait dire, et nous nous aimons trop pour ne pas nous ressembler un peu. Par conséquent, que ce qui arrive à l’un n’arrive pas à l’autre, pour que ce que l’un éprouve, l’autre ne l’éprouve pas.

Donnez-moi, cher ami, des nouvelles de votre coeur, quand vous m’écrirez. Quoique vous ne me le disiez pas bien positivement, il était, quand vous m’avez écrit, dans un état de calme [et] de bonne volonté, toujours avec ce fond de tristesse qui ne vous quitte jamais et qui vous serait infiniment utile, si vous saviez la modérer et la sanctifier.

Je vais vous exercer [à] la patience; rendez-moi un service. Lorsque vous passerez par la rue Saint-Benoît, arrêtez-vous au roulage qui est près de la rue Jacob; vous demanderez des nouvelles d’une malle et d’une caisse qui étaient adressées à M. d’Alzon, chez M. Vidal, à Pézenas, qu’on avait fait mettre au roulage accéléré, le samedi 1er mai, et dont on n’a pas encore de nouvelles. Si vous faites cela et si vous voulez demander à l’Association catholique que l’on m’envoie l’ouvrage de M. de Riambourg(1), vous serez très aimable.

Adieu, cher ami. J’ai autre chose à vous dire, mais il faut garder quelque chose pour une autre fois. Adieu.

Dimanche

EMMANUEL.
Notes et post-scriptum
2. Magistrat, né à Dijon en 1776 et collaborateur au *Correspondant*, mort le 16 avril 1836. Avec l'*Ecole d'Athènes* il composa l'ouvrage *Du rationalisme et de la tradition* dont il est question ici. Sur lui voir les *Annales* de philosophie chrétienne, 1836 t. XII p. 362-376.1. Le cachet de la poste, à Montagnac porte 24 mai qui était un lundi, mais la lettre fut écrite le dimanche précédent, 23 mai.
2. Magistrat, né à Dijon en 1776 et collaborateur au *Correspondant*, mort le 16 avril 1836. Avec l'*Ecole d'Athènes* il composa l'ouvrage *Du rationalisme et de la tradition* dont il est question ici. Sur lui voir les *Annales* de philosophie chrétienne, 1836 t. XII p. 362-376.