Vailhé, LETTRES, vol.1, p.70

26 may 1830 Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-070
  • 0+023|XXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.70
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 AMITIE
    1 ANIMAUX
    1 AUGUSTIN
    1 BATEAU
    1 LANGAGE
    1 LIVRES
    1 MALADIES
    1 MOULINS
    1 PARENTE
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 SENSIBILITE
    1 TRISTESSE
    1 VEUVES
    2 ALZON, HENRI D'
    2 AULAN, MADAME ROBERT D'
    2 BINAULT
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 DAUBREE, LEON
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 LA BOUILLERIE, FRANCOIS DE
    2 PUYSEGUR, MADAME ANATOLE DE
    2 REY-LACROIX
    2 RIAMBOURG, JEAN-BAPTISTE DE
    3 FRANCE
    3 HERAULT, RIVIERE
    3 LAVAGNAC
    3 MONTAGNAC
    3 PARIS
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE.
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 26 mai 1830.
  • 26 may 1830
  • Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de La Gournerie,
    rue du Vieux-Colombier, n° 29.
    Paris.
La lettre

Je me suis fait une loi, mon cher Eugène, de répondre courrier par courrier à ceux de mes amis qui voudront bien me donner de leurs nouvelles. Il en est même pour qui je suis ou complaisant ou exigeant, selon qu’il vous plaira de l’entendre; c’est pour ceux qui ne sont pas aussi empressés de m’écrire que je le suis de recevoir de leurs lettres. A ceux-là j’ose, par manière d’invitation, adresser quelques reproches sur le péché de paresse, pour les exhorter à se corriger de ce vilain défaut. Ceci soit dit sans conséquence, car le reproche de paresseux ne peut vous être adressé; vous m’en avez donné une preuve trop aimable pour que je songe le moins du monde à vous le faire.

Vous trouvez que sous un certain rapport, il est bien ennuyeux d’écrire une lettre, et moi aussi. Car, je vous le demande, ne mettons-nous pas à nous écrire nos pensées le triple et le quadruple du temps que nous mettrions à nous les dire? Et ce quadruple du temps n’est-ce pas autant d’enlevé à notre conversation? Car enfin, il me semble que, lorsque nous sommes ensemble, nous ne restons pas muets, et après tout, si nous ne nous parlons pas toujours, le plaisir de nous voir, d’être près l’un de l’autre, de pouvoir me mettre sur vos genoux, vous sur les miens, nous dédommage bien de notre silence.

Pauvre Eugène, nous reverrons-nous jamais? Avant que je sois à Paris, je m’en vais apprendre que vous êtes substitut dans quelque ville, bien loin. Encore si vous étiez nommé au Conseil d’Etat! Vous ne nous quitteriez pas et, de plusieurs années encore, nous ne serions pas séparés. Mais qu’il faille se voir un an, deux ans, quelquefois trois, et puis se quitter pour ne plus se revoir, voilà ce qui peine le coeur et lui fait croire que rien, même l’amitié, ne donne un bonheur entier.

Je ne sais pourquoi, à mesure que je tourne la page, les réflexions joyeuses s’en vont. La tristesse n’est pas dans ma nature. Autant vaut s’en remettre à la grâce de Dieu. Cela débarrasse l’esprit de ses chagrins réels ou imaginaires. Car enfin qui me dit que vous deviez quitter Paris et, si vous ne le quittez pas, pourquoi me tourmenter ainsi d’avance d’un malheur qui n’arrivera pas? Ce serait plus ridicule encore que cette dame de ma connaissance, qui, ayant perdu son mari, avait des attaques de nerfs à la seule pensée des émotions possibles qu’elle éprouverait dans sa ville de province sans son pauvre défunt.

Je vous dirai donc que je viens de faire une promenade charmante. Marie, ma soeur, a un peu de mal au pied qui l’empêche de marcher. Je l’ai conduite sur un âne, qui est sa propriété, à un moulin éloigné d’environ dix minutes du château. Là, je l’ai placée dans une barque et, pendant plus d’une heure, seul avec elle, j’ai remonté l’Hérault. Quand le courant d’une chaussée placée au-dessus de celle de mon père nous a avertis qu’il était temps de virer de bord, j’ai tourné mon bateau, laissant les rames, les reprenant, arrêtant notre barque quand sur le bord il y avait du sable où l’on pouvait s’arrêter, longeant la rivière pour couper quelques branches d’arbres qui pendaient sur nos têtes; bref, nous sommes retournés au château, comme nous étions venus, ma soeur sur l’âne, l’une trottant et moi item. Seulement, on a été un peu inquiet du pied de Marie qui aurait pu être blessé en marchant. Et comme j’ai répondu que ma soeur n’avait pas quitté le bateau, le dos de l’âne ou le mien, un mauvais plaisant a fait observer -voyez un peu la méchanceté des hommes!- qu’elle n’avait fait que passer d’un âne sur un autre(1).

Votre zèle pour l’Association catholique me fera pardonner, je l’espère, une commission, que je vais vous prier de faire. M. Rey de la Croix, demeurant à Montagnac, m’a chargé de le réabonner à l’Association. Je l’ai fait, et il se plaint de n’avoir pas, de toute l’année, reçu une seule brochure. Je vous prie de porter en mon nom des plaintes au sujet de cet oubli, de demander qu’on lui envoie les brochures arriérées et surtout le discours de Binault sur la liberté d’éducation. En passant à l’Association, pourriez-vous demander à Bonnetty si, par son influence administrative, je ne pourrais pas obtenir à crédit son second exemplaire de l’ouvrage de Riambourg. Rien n’est ennuyeux comme de faire passer à deux cents lieues de petites sommes. Pour s’éviter l’ennui de l’envoi, plusieurs personnes s’adressent à moi. Ainsi, sous peu de temps, je m’attends à être chargé de prendre des abonnements au Correspondant. Je ne sais comment m’y prendre pour en faire parvenir le prix.

Engagez tous ceux de nos amis que vous verrez à m’écrire le plus souvent possible. Vous ne sauriez croire combien est grand le besoin que j’éprouve d’avoir de leurs nouvelles et de me dédommager par leurs lettres de ne pouvoir leur parler. Je tâche bien de prêcher par l’exemple, mais l’exemple, d’un bout de la France à l’autre, fait peu d’effet. Je m’en remets donc à votre bonne volonté, vous suppliant d’avoir quelques égards pour mes désirs. Je vous charge particulièrement d’exprimer à Daubrée, la première fois que vous le verrez, tout le regret que j’ai eu d’avoir quitté Paris sans le voir. Donnez-moi des nouvelles de la Bouillerie(2); rappelez-moi à son souvenir et dites bien des choses, pour moi, à Pierre de Brézé.

Adieu, cher ami. Aimez-moi bien; car l’amitié est une belle chose quand on sait en apprécier toute la valeur, surtout lorsque, comme je l’ai lu ce soir encore dans saint Augustin, on aime son ami en Dieu et son ennemi à cause de Dieu. Ainsi, c’est une chose décidée que vous devez m’aimer, que je vous haïsse ou que je vous aime. Je m’embrouille. Adieu.

EMMANUEL.

Mes grands et petits parents vous remercient de votre bon souvenir. Quelques-uns d’entre eux désirent très vivement pou- voir refaire votre partie.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Mme de Puységur, nièce du P. d'Alzon, racontait au R. P. F..., à Lavagnac, aussitôt après les funérailles de sa fille, la comtesse d'Aulan, que lorsqu'elle était petite et n'avait que deux ou trois ans le P. d'Alzon, durant son séjour à Lavagnac, la portait de temps à autre à califourchon sur ses épaules, ou même la déposait dans son capuchon.
2. François-Alexandre Roullet de la Bouillerie, né à Paris en 1810, condisciple et ami d'Emmanuel, devint évêque de Carcassonne, en 1855, et mourut le 8 juillet 1882 coadjuteur de l'archevêque de Bordeaux.