Vailhé, LETTRES, vol.1, p.101

8 jul 1830 [Lavagnac], GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-101
  • 0+032|XXXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.101
Informations détaillées
  • 1 ABUS DES GRACES
    1 AMITIE
    1 AMOUR DE JESUS-CHRIST POUR LES HOMMES
    1 AMOUR DIVIN
    1 ANGES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 DEFAUTS
    1 DIEU
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 EFFORT
    1 ERREUR
    1 FAIBLESSES
    1 FRANCHISE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 ORGUEIL
    1 SENSIBILITE
    1 SENTIMENTS
    1 TRISTESSE
    1 UNION DES COEURS
    1 VOLONTE
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 HENRI, SAINT
    2 JEAN, SAINT
    3 PARIS
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • le 8 juillet [1830].
  • 8 jul 1830
  • [Lavagnac],
  • Monsieur
    Monsieur Henry Gouraud, élève interne
    Hôpital des enfants malades
    rue de Sèvres, n° 3.
    Paris.
La lettre

Non, mon cher Gouraud, je ne vous maudis pas, je ne vous méprise pas, je ne vous prends pas en indignation, en pitié peut-être, mais c’est une pitié triste, parce que je vous vois toujours le même. Et, pourtant, je n’ai pas droit de me plaindre, car vous êtes, pour Dieu comme pour vos amis, plein de bonnes intentions. Les bonnes intentions n’ont jamais manqué chez vous, peiné même de ne pas prouver par les actions les sentiments de votre âme, mais toujours soumis à je ne sais quelle impuissance d’agir, contre laquelle s’éteignent vos résolutions. Vous m’assurez qu’il y a plus de positif chez vous. Tant mieux, car je préfère le positif au vague. J’ai aussi, moi, des torts envers vous. J’aurais dû un peu mieux vous comprendre et vous écrire, sans attendre votre réponse, comme à Paris vous veniez me voir, sans calculer si je vous devais une visite. Ma lettre, j’en suis persuadé, vous aurait fait plaisir, non par cela, même, mais par l’intention. Avant de la lire, vous auriez dit: « C’est bien »; et pourtant, je ne vous ai pas écrit. Voyez comme je suis mauvais. J’ai été affecté de ce que vous ne me disiez rien. J’ai bien pensé à rompre, le premier, le silence, mais je voulais répondre à ceux de nos amis qui m’écrivaient; je vous ai négligé. Pardon, mon cher ami. Je suis fâché, non pas de ma bouderie; -je ne vous boudais pas,- mais de l’espèce de point d’honneur que j’ai mis à me taire.

Avec cela, peut-être y avez-vous gagné. Vous le voyez, je vous fais des excuses et, dans deux ou trois jours au plus tard, vous auriez reçu des reproches; aujourd’hui, je n’ai pas le courage de vous gronder. Je ne le nierai certainement pas, je puis vous aimer beaucoup plus que je ne le fais. Je vous aime assez déjà pour ne rien vous dissimuler. Cette pensée même me plaît infiniment, puisqu’elle me promet une amitié plus forte, plus douce, plus solide. Tous les genres d’amour en sont là. L’amour de Dieu même, qui doit être le plus grand, ne va-t-il pas augmentant toujours, si nous savons le cultiver? C’est donc une perspective fort douce pour moi que l’espérance de pouvoir, l’hiver prochain, unir plus intimement mon âme à la vôtre, comme vous votre âme à la mienne.

Que l’amitié dépende de l’amabilité de l’objet aimé, je suis loin d’en disconvenir. Quoique nous, pauvres misérables, nous dussions être peu difficiles sur le choix, il nous arrive -fort rarement, j’en conviens- de placer nos affections dans un de nos frères et, pour la plupart du temps, nous négligeons, nous repoussons même des êtres créés à l’image de Dieu, que Jésus-Christ aime d’un amour infini et qui n’ont d’autre défaut que le malheur de ne pas nous plaire. Est-ce un bien? Est-ce un mal? Cela prouve, ce me semble, que notre coeur est fort étroit, quand la charité catholique ne vient pas l’élargir. Cette charité nous donne un amour universel, mais elle nous permet aussi d’avoir des affections particulières. Comme Notre-Seigneur, nous pouvons nous choisir un saint Jean, nous pouvons même en avoir plusieurs. Mais comme nous nous devons développer sans cesse, notre amour aussi doit se développer, non pas seulement en raison de l’amabilité de l’objet aimé, mais en raison aussi de sa capacité d’aimer qui est toute personnelle.

Vous voyez, mon cher ami, que, moi aussi, je tâche de faire de la théorie sur l’amitié; mais je vous assure que je n’ai fait seulement qu’exprimer ce que j’éprouve, ce que j’ai éprouvé, depuis que je vous ai connus, vous et vos amis.

Vous êtes détraqué et vous voulez-mes conseils. Quelque singulière que puisse être la tentation de conduire quelqu’un, pour moi qui ne sais pas me conduire moi-même, j’essaierai, car je voudrais vous voir bien bon, ce qui s’appelle un bon chrétien. C’est pour vous, je crois, qu’ont été prononcées les premières paroles sorties de la bouche des anges, quand ils annoncèrent aux bergers la bonne nouvelle: Paix aux hommes de bonne volonté. Vous avez de bons désirs mais la volonté vous manque un peu. Outre cela, vous l’avez très bien dit jadis, vous avez l’orgueil du coeur, c’est-à-dire que vous avez l’intention de bien faire. Vous ne faites pas toujours bien, et, lorsque vous revenez sur vous-même, votre coeur devient triste; il se désespère, comme s’il éprouvait ce que vous êtes, ce que nous sommes tous, des êtres faibles au bord du précipice, au fond duquel vous tombez souvent. Quand vous vous apercevez d’une première chute, au lieu de tâcher de vous relever, vous perdez le temps à vous lamenter sur un malheur qui arrive à tous. Cependant, le temps passe et, sans vous en apercevoir, vous enfoncez jusqu’à ce que, vous réveillant tout à coup, vous criez que vous êtes un détraqué, un misérable, un être qui ne vaut rien.

Si je puis vous donner un remède, il vous faut un règlement. C’est ce dont vous avez besoin avant toute chose. Cela donne beaucoup de positif Quand vous vous apercevez d’une première chute, ne pas vous plaindre, ne pas même vous étonner -c’est là qu’est l’orgueil,- mais trouver la chose toute naturelle, remercier Dieu de ce que cela ne vous arrive pas plus souvent, lui demander pardon d’abuser de sa grâce, la lui demander plus forte et avoir bon courage. S’il est vrai que nos coeurs se ressemblent, le remède est bon pour vous, car je m’en suis toujours bien trouvé, et, s’il y a quelque différence dans nos défauts, je me trompe peut-être, mais de la manière dont je connais votre âme et la mienne, je le croirais encore meilleur pour vous que pour moi.

Vous ne sauriez croire le plaisir que m’ont fait vos conseils sur l’étude des hommes. Continuez-les, je vous prie; ils me feront du bien. Quand vous n’aurez pas grand’chose à me dire et que pourtant l’envie de me dire quelques mots vous prendra, donnez votre billet à de Jouenne, qui m’écrit assez souvent, ou à tout autre de nos amis. Ce sera comme une double visite.

Adieu, mon cher Gouraud. Tenez votre promesse; je vous en saurai très bon gré.

Emmanuel.

Etourdi que je suis, j’oubliais de vous souhaiter une bonne fête. C’est le 15, la Saint-Henry. Bonne fête, mon cher ami. Il est triste que la première fois que je puis faire des voeux pour vous à cette époque, je sois réduit à vous les envoyer par la poste.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum