Vailhé, LETTRES, vol.1, p.119

13 aug 1830 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-119
  • 0+039|XXXIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.119
Informations détaillées
  • 1 ARMEE
    1 COLERE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ELECTION
    1 LIBERAUX
    1 MONARCHIE
    1 PARENTS
    1 PEUPLE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 RIRE
    1 SOUVERAINETE POLITIQUE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 ALZON, HENRI D'
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 CAZALES, EDMOND DE
    2 CHARLES X
    2 COURIER
    2 LA FAYETTE, GILBERT DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 NAPOLEON Ier
    2 O'MAHONY, ARTHUR
    3 BORDEAUX
    3 CHESNAIE, LA
    3 MIDI
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 TOULON
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 13 août 1830.]
  • 13 aug 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Votre lettre m’a fait rire et presque pleurer, car je ne suis pas fort sur les larmes. C’est pitié que ce fils de régicide ne le suit pas lui-même -parce qu’il en manque l’occasion, -fasse tout pour se faire couper le cou et ne s’en aperçoive. Oh! le sot! J’ai parié que, d’ici à six mois, il en serait de lui comme de son père.

Le commencement de votre lettre ressemble trop à Courier. Il y a quelque chose qui fend l’âme dans le cri de la Garde royale. Heureusement le temps s’écoule. patience! Mais aussi pourquoi se battre pour des gens qui ne vous en savent aucun gré? Ici, l’on a été indigné de cette ineptie dans les prévisions, de cette stupidité dans la défense des chefs, surtout de cette facilité à céder un trône. Souvent on paye cher l’imprudence du moment. Il est sûr que, si le roi avait pu se porter vers le Midi, il n’avait rien à craindre. De Toulon à Bordeaux, tout est parfait. Nîmes avait promis d’être tranquille, et [dans] les endroits mêmes où la classe électorale était mauvaise, le peuple était bon. Rien de risible comme ce qui a eu lieu à Montpellier pour la proclamation. On n’a pu trouver que le colleur d’affiches, escorté d’un tambour et d’un valet de ville. On avait résolu, à la municipalité, d’arborer les trois couleurs, mais aucun municipal n’osait se charger de les mettre; enfin, l’un d’entre eux se hasarde à ficher le drapeau au balcon de l’hôtel de ville, au milieu des huées de la populace. Presque aucun libéral n’a osé porter la cocarde tricolore, par la raison toute simple qu’on donne la bastonnade à quiconque la met au chapeau. Dans les villages voisins, on ne se fait pas scrupule de déchirer le drapeau national à coups de pierres, et, dans notre commune, force est de le retirer de bonne heure et de ne le mettre que fort tard, de peur de sédition. Dimanche dernier, il ne parut pas du tout. Il n’y a pas apparence, non plus, qu’il paraisse après-demain(1).

Voilà tout ce que je sais. M. Bailly a eu peur. C’est tout simple. J’approuve la devise qu’a prise le Correspondant. L’article de Cazalès est bon et a été approuvé par toutes les personnes que j’ai vues. Je crois que, pour préparer le triomphe des principes catholiques et politiques, nous n’avons qu’à [nous] croiser les bras et voir la lutte qui ne tardera pas à commencer entre les vainqueurs. Plus nous les laisserons faire, plus ils s’acharneront à se détruire. Il faut qu’ils préparent eux-mêmes leur défaite et le triomphe des doctrines qu’ils paraissent maintenant avoir terrassées.

Voilà bien des ambitions déçues, et le duc, ou plutôt notre roi accueille les pairs de Charles X. Vous savez tout cela déjà, vous; moi, je n’en sais rien encore. Voilà ce qu’il y a de pire dans l’histoire, c’est qu’il faut attendre cinq grands jours pour connaître les décisions de nos mandataires, car il est évident et patent que nous sommes souverains.

J’ignore absolument si je retournerai à Paris. Mes parents ne se proposent pas d’y retourner. Mon père ne sait trop ce qu’il doit faire. Lui, qui n’a jamais pu se décider à voir Buonaparte, n’a certes pas le projet de faire sa cour au bien-aimé de M. La Fayette, au roi de notre République. Ce bon La Fayette! Savez-vous qu’il s’émancipe? Il embrasse un roi. Oh! mais je n’y pensais pas, c’est que c’est le roi d’une République, car pour l’intelligence du lecteur nous avons une monarchie républicaine ou une république monarchique. C’est précisément ce qui fait que la Charte n’est plus un mensonge.

Je vous disais donc que j’ignorais si je retournerais à Paris. Il paraît que si l’abbé de la Mennais veut de moi un mois ou deux, j’irai à la Chênaie. Peut-être irai-je vous voir quatre ou cinq mois, mais ma visite ne sera probablement pas aussi longue que les autres années. Peut-être changerai-je d’ici au mois de novembre. Pour rester ici toute l’année, je ne m’y sens pas d’abord disposé, ni mes parents. Il faut que je sorte un peu de moi-même. Et puis, il y a certaines choses que je vous dirai et que je ne vous écrirai, bien sûr, pas. Je m’ennuie un peu. Peu de personnes avec qui causer. Cela fait que mon travail y perd. j’ai pourtant essayé de faire quelque chose sur les temps présents. C’est diablement faible. [Ne] trouvez-vous pas qu’on est abasourdi, qu’on ne sait rigoureusement sur quel pied danser? Je crois que, pour le moment, le mieux est de ne pas danser du tout.

Adieu. Je dirais des bêtises, si je continuais. Pourquoi les autres ne m’écrivent-ils pas? Le comte O’M[ahony] triomphe, j’en suis sûr. Voilà un bel avancement pour son cousin. Je vous aime tout particulièrement et vous prie de me dire ce que vous pensez pour moi et de moi.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
2. C'est évidemment du dimanche qu'il s'agit ici: il tomba, cette année-là, le 15 août, fête de l'Assomption. La lettre a donc été écrite le vendredi, 13 août.