Vailhé, LETTRES, vol.1, p.122

26 aug 1830 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-122
  • 0+040|XL
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.122
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ANIMAUX
    1 AUGUSTIN
    1 BERGER
    1 ECRITURE SAINTE
    1 FETE DE L'ASSOMPTION
    1 IMPRESSION
    1 MINISTERE
    1 MONARCHIE
    1 MUSIQUE
    1 PATRIE
    1 PENTECOTE
    1 PRESSE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 REPUBLIQUE
    1 RIRE
    1 ROYALISTES
    1 SAINTETE
    1 SENTIMENTS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 BRIDOISON
    2 COURIER
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 TERTULLIEN
    2 VINCENT DE LERINS
    3 FRANCE
    3 PARIS
    3 PYRENEES
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY(1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 26 août 1830.]
  • 26 aug 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Voici tantôt une heure que j’étais occupé à siffler sur la terrasse de ma chambre, lorsque quelqu’un m’a averti que je sifflais faux, et je me suis souvenu que j’étais monté avec l’intention de vous écrire.

Il faut, tout d’abord, que je vous fasse mon compliment sur la lettre de Jean, car je présume qu’elle est vôtre. Elle a une telle ressemblance avec une autre lettre, qui n’est pas adressée à un autre rédacteur, que je n’ai pas eu un moment de doute. J’ai été vraiment content. Elle a fait rire plusieurs personnes, même un employé des Finances qui a aussi ses pétitions au Ministère, mais non pas tout à fait pour être placé. Voilà bien le genre qui vous convient, quoiqu’il vous manque un peu de force, ce me semble, lorsque, après une ironie longtemps soutenue, vous revenez à la réalité. Ainsi, dans l’exclamation à votre patrie, il y a quelque chose de faux, parce que ce n’est pas assez frappé, on croirait presque pas assez senti. Vous n’avez pas dit la vérité assez crûment, et l’effet est manqué. Voilà ma pensée. Après cela, si vous m’aviez vu lire, vous eussiez été content. Le rire m’arrêtait souvent. Ceux à qui je l’ai lue, cette lettre, ont bien ri aussi, et je sais un abonné qu’elle a valu au journal. Il en faudrait de temps en temps de ce genre, car cela se fait lire et produit bien plus d’effet que des raisonnements à perte de vue.

Voilà donc du Lac qui se rapproche de vous. C’est sur mon chemin pour aller à Paris; ainsi donc, je le verrai au moins en passant. Il m’a écrit une longue lettre pour m’indiquer un système de correspondance par chiffres, un peu long, il est vrai. Je n’aime pas de (sic) dire les choses si longuement; j’aimerais presque autant ne pas les dire du tout.

Quel effet tout ceci produit-il sur vous? La première chose que j’éprouve est d’abord au dedans de moi une grande humiliation, qui ne m’est en quelque sorte pas personnelle. Je rougis pour ceux dont j’avais sinon les opinions, du moins les sentiments, et qui se sont laissé mener comme par la main à l’abîme. Puis, je suis dégoûté de tout cela; je suis fatigué, harassé; je pense à autre chose, car ce serait à n’y pas tenir. Je regarde l’avenir, et, sans prévoir bien positivement ce qui aura lieu, j’ai l’idée d’un ordre quelconque qui renaîtra, malgré du sang et de nouvelles ruines. Car je ne pense pas que les choses en restent où elles en sont, et le Correspondant prend une position très fausse, quand il crie aux royalistes: « Ne bougez pas », au moins dans le sens qu’il le leur prêche. S’il leur disait: Ne vous hâtez point, asseyez- vous pour voir les factions se détruire les unes les autres, attendez le moment propice, ce serait très bien. Mais non. Il veut qu’on se taise pour ne pas gêner l’affermissement du nouvel ordre de choses; il permet d’y porter la main, pour le consolider; il permet le serment. Qu’en résulte-t-il? C’est que les uns se désespèrent et les autres s’exaspèrent, et il manque son but. Voilà ce qu’il produit ici et ce qu’il continuera de produire, s’il continue sur le même ton. Vous dites: « Laissez l’Etat s’affermir ». Et comment cela se ferait-il, quand ceux qui sont établis songent eux-mêmes à le renverser? Ecoutez plutôt les protestations de Courier et consorts, qui jurent leurs grands dieux que jamais ils n’ont été plus unis.

Qu’après cela, l’ordre revienne par les Bourbons, ou le duc d’Orléans, ou une République, ne m’en demandez pas tant; mais il est sûr que si la France revient à elle-même, il ne sera pas toujours livré a cette continuelle oscillation. Les choses se calmeront, et peut-être pour longtemps. Qu’en pensez-vous, Bridoison?

Pour en revenir à moi, je me suis remis au travail que les chaleurs excessives m’avaient fait interrompre. J’ai donné un fort coup de collier pour avancer mes Mémoires, qui depuis quelque temps étaient suspendus. J’ai écrit une trentaine de pages sur l’état présent, tel que je le vois. J’ai lu la Bible. Je vais me débarrasser de Tertullien, des Confessions de saint Augustin, du Commonitorium de Vincent de Lérins. Après quoi, je ferai un plan d’études raisonné. Ce sera un essai. Ou bien je ferai un commentaire sur ces paroles de la Bible: Dieu créa l’homme à son image et ressemblance. L’autre jour, l’envie me prit de passer la nuit. J’écrivis à du Lac; puis je m’amusai à fabriquer une histoire. A 4 heures, je sortis pour aller voir le lever du soleil. Il y avait quelque temps que je faisais antichambre, quand un berger me proposa d’aller voir un terrier de lapin, et je quittai le soleil pour le terrier. Cependant, j’eusse été bien aise de considérer l’effet des premiers rayons sur les neiges des Pyrénées.

Valez-vous quelque chose? Avez-vous traité l’Assomption comme la Pentecôte? Je vous souhaite de devenir un saint, et à moi de vous ressembler, quand vous le serez, car je ne vaux pas grand’chose. Adieu. Ne trouvez-vous pas que, depuis tous ces troubles, il semble qu’on n’ait pas le temps de dire que l’on s’aime? Cependant, c’est le cas de s’aimer ou jamais. Adieu donc. Je vous aime tout court.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir des extraits dans Notes et Documents, t. Ier, p. 85. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.1. Voir des extraits dans Notes et Documents, t. Ier, p. 85. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.