Vailhé, LETTRES, vol.1, p.138

1 oct 1830 [Lavagnac], ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-138
  • 0+045|XLV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.138
Informations détaillées
  • 1 ADVERSAIRES
    1 AMITIE
    1 DIRECTION SPIRITUELLE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 LIVRES
    1 MAHOMETANISME
    1 MALADIES
    1 MATIERES SCOLAIRES
    1 PARENTS
    1 PRESSE
    1 REVOLUTION
    1 SOLITUDE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    2 BUFFON, GEORGES-LOUIS
    2 GOURAUD, HENRI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MALEBRANCHE, NICOLAS
    2 PAUL, SAINT
    2 RIO, ALEXIS-FRANCOIS
    2 SEVIGNE, MADAME DE
    2 WAILLE, VICTOR-AMEDEE
    3 FRANCE
    3 PARIS
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY(1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 1er octobre [1830].
  • 1 oct 1830
  • [Lavagnac],
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Votre lettre est arrivée fort à propos, pour m’en faire déchirer une que j’avais commencée hier au soir. Certainement je viendrai à Paris- c’est mon projet,- mais un peu plus tard que je n’aurais cru. Mes parents passeront probablement l’hiver ici. jusqu’à présent, nous n’avons pas manqué de visites; mais vient le temps où elles cesseront, où l’on est plus isolé. Je crois que c’est un devoir pour moi de rester auprès de mes parents plus longtemps que je n’aurais fait s’ils n’eussent été seuls.

Vous trouvez que je travaille trop. Probablement vous voulez dire que je lis trop; car vous me reprochez ensuite de ne pas penser assez, de ne pas me former le style, de ne pas composer. Eh bien! voici ma justification.

Je ne lis pas un seul ouvrage sans prendre des notes. Je les fais plus longues, à mesure que l’ouvrage que je commente est plus contraire à ma manière de penser. Lorsque, dans un livre comme Malebranche, par exemple, je rencontre une phrase, un passage qui ne me paraît pas assez développé, je m’arrête. Je tâche d’entrer dans la pensée de l’auteur, et je la développe moi-même.

Tous les jours, je passe une heure à étudier saint Paul, non pas seulement comme méditation chrétienne, mais pour m’éclairer sur le coeur humain, sur l’ordre moral, et je vous réponds que saint Paul est passé maître sur tous ces points. Je passe une autre heure, ou à écrire à mes amis, ou à réfléchir un peu sur ma conduite, soit pour mes études, soit pour mes rapports à l’égard des personnes avec lesquelles je vis. A mon âge, vous écriviez mieux que moi, mais c’est pour cela même que je dois travailler davantage, afin de vous atteindre.

Tous les jours, d’après le conseil de l’abbé de la Mennais, je passe une heure à traduire. Le conseil est bon, car, en fait de style, l’homme s’y entend, je pense. Vous m’avez reproché d’être trop boursouflé. J’ai lu quatre ou cinq volumes de Buffon, qui écrit très purement et très simplement, et je me suis appliqué à comprendre le mécanisme de sa phrase. Ce n’est pas que, de prime abord, j’espère la saisir -je serais même peut-être fâché de me la trop approprier,- mais j’ai voulu, sur un nouveau modèle, corriger des défauts causés par une lecture trop assidue de l’abbé de la Mennais.

Vous voulez que je compose. C’est bien aussi ce que je fais. J’ai écrit une trentaine de pages sur la révolution présente. J’ai fait deux travaux: l’un sur l’islamisme, et l’histoire des Arabes; l’autre sur le second volume de l’Histoire de l’esprit humain, par M. Rio. Il est vrai que je n’ai pas encore recopié ces deux dernières compositions. Maintenant, je prends des notes sur l’histoire de France. Quand j’aurai lu quelques ouvrages qui traitent ce sujet, je verrai d’écrire sur les questions historiques, politiques ou religieuses, dont l’importance me semblera plus grande. J’ai entrepris une façon de nouvelle, de conte, de ce que vous voudrez, dans laquelle j’avais essayé de peindre les principaux genres de remords; mais, je vous l’avoue, je l’ai plantée là.

Enfin, et pour vous obéir, car vous m’y aviez engagé, hélas! le dirai-je? eh bien! oui, j’ai fait… des vers. Quarante-quatre vers, ni plus ni moins, sauf quelques variantes; mais des vers si sots, si plats, que je ne sais ce qui m’a empêché de me souffleter, en pensant que j’avais passé trois soirées et une après-midi pour accoucher d’une telle niaiserie. Je voulais vous les envoyer, mais on a quelquefois son honneur à garder, dit Mme de Sévigné, et je trouve qu’elle a raison.

Après tout, c’eût été peut-être une impertinence, car comme vous étiez censé mon Apollon, vous envoyer ma pièce c’eût été vous dire que vous étiez peu propre à inspirer les gens.

Je ne sais que vous dire du Correspondant. Je m’y perds. Est-ce sa faute, est-ce la mienne? Il a des articles parfaits, et puis des pages qui n’ont pas trop le sens commun. Sa désunion future avec l’Avenir m’afflige profondément(2). N’avons-nous pas assez de nous battre avec nos ennemis? Je suis aussi peiné de voir l’abbé de la Mennais livrer sa réputation entre les mains de Waille(3). Voilà qui dégrise d’une triste manière!

Adieu, cher ami. Je prie Dieu de vous rendre bon et de vous préserver de la colique, car c’est un terrible mal qui me tourmente depuis quelques jours.

Emmanuel.

Je croyais Gouraud hors de Paris. Si vous le voyez, dites-lui que je l’aime toujours, mais que je le plains de n’avoir pu m’écrire depuis deux mois, surtout après que je lui ai eu donné plusieurs fois de mes nouvelles.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Reproduite en grande partie dans Notes et Documents, t. Ier p. 88-90.1. Reproduite en grande partie dans Notes et Documents, t. Ier p. 88-90.
2. L'Avenir, journal politique, scientifique et littéraire, fondé par l'abbé de La Mennais, ne devait paraître pour la première fois que le samedi 16 octobre 1830. Il représentait les idées libérales, alors que le *Correspondant* prétendait n'être que catholique.
3.Libraire libre penseur.