Vailhé, LETTRES, vol.1, p.141

13 oct 1830 [Lavagnac], ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-141
  • 0+046|XLVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.141
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTEURS
    1 ARMEE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 CATHOLIQUE
    1 CHANT
    1 CHANTRES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 GUERRE CIVILE
    1 JEUNE CORPOREL
    1 JEUNESSE
    1 PAROISSE
    1 PEUPLE
    1 POUVOIR
    1 PRESSE
    1 PROCESSIONS
    1 REVOLUTION
    1 SENS
    1 VIN
    2 FOURNIER, MARIE-NICOLAS
    2 GOURAUD, HENRI
    2 POLIGNAC, JULES-AUGUSTE DE
    3 LUNEL
    3 LYON
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS, PLACE MAUBERT
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY(1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 13 octobre [1830].
  • 13 oct 1830
  • [Lavagnac],
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Vous avez eu votre révolution, nous voulons avoir la nôtre, c’est-à-dire que nous voulons nous battre, mais c’est toujours pour les croix. Je suis allé hier à Montpellier. Tout y est dans la désolation. Les femmes pleurent, les hommes déclarent qu’ils veulent la croix ou la mort. On a fait signifier aux autorités que 1500 personnes avaient porté la croix de la mission, et que 6000 se disposaient à la défendre. De peur qu’on ne les abatte pendant la nuit, 400 personnes se sont chargées de monter la garde pour donner l’éveil à la première attaque.

Il paraît que c’est samedi prochain que cet enlèvement doit avoir lieu. Les jeunes gens, dans la ville, se donnent tout haut rendez-vous pour ce jour-là, bien résolus à se faire massacrer, car on parle de quatre pièces de canon qu’on braquerait contre le peuple. J’ignore si c’est pour marcher sur les traces de M. de Polignac. L’évêque voulait aller processionnellement faire abattre au moins la croix de la mission et l’emporter en faisant amende honorable; mais un prêtre lui a positivement déclaré que, s’il se dégradait à ce point, il perdrait la considération de toute la ville(2).

A Nîmes, on se bat déjà, à ce qu’il paraît. J’ignore les détails, mais au désespoir des catholiques il est à croire qu’ils feront de grandes choses. A Lunel, petite ville connue par ses vins, les paysans vont tous à la Messe, se confessent, et fondent leurs cuillers et leurs fourchettes pour en faire des balles.

Mais ce qui me donne le plus d’espérance, c’est le zèle religieux qui se ranime. A Lyon, Notre-Dame de Fourvière ne désemplit pas depuis le matin jusqu’à midi. A Montpellier, on fait des quarantaines où tout le monde jeûne au pain et à l’eau; ces quarantaines se propagent d’une manière prodigieuse(3). Je veux vous dire un mot du Domine salvum fac. En beaucoup de paroisses on n’a, en chantant, désigné personne. Les chantres seuls chantaient. Mais rien n’est drôle comme les plaisanteries auxquelles ces prières ont donné lieu de la part des femmes de place connues, non comme celles de la place Maubert pour leurs sottises, mais bien pour leur esprit méridional poussé au suprême degré. Ces petites histoires font bien connaître l’esprit du peuple qui les applaudit.

Je dois cependant avouer que partout on ne rencontre pas le même enthousiasme. Dans une paroisse, le maire est entré dans l’église en faisant jouer la Marseillaise. C’est pourtant dans la Marseillaise qu’on voit ces vers:

Que veut cette horde d’esclaves,

De prêtres…

C’est pousser l’insolence un peu loin qu’aller ainsi insulter les gens chez eux.

J’éprouve tous les jours le plus vif désir de vous voir; j’en éprouve encore plus peut-être le besoin. Vous me manquez souvent, car il me faut quelqu’un, à qui je puisse dire bien de petites choses. Vous avez raison quand vous m’assurez qu’on ne peut pas tout écrire.

Adieu, mon cher ami. Je suis content de la troisième lettre de Jean, quoique le Correspondant ne me plaise pas toujours(4). Je trouve qu’il ne se dévoue pas assez; il a trop d’égoïsme. Il voit trop les hommes et pas assez Dieu. Je ne me souviens pas d’avoir parlé avec vous de ce défaut, mais Gouraud m’a bien compris. Il est absolument de mon avis là-dessus.

Adieu. Je vous aime.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Reproduite en partie dans Notes et Documents, t. Ier, p. 187 sq.
3. Cette première partie de la lettre, depuis: "Je suis allé hier à Montpellier..." jusqu'ici, fut reproduite à quelques mots près dans le *Correspondant* du mardi 19 octobre 1830, p. 104, avec cette indication:"Lettre particulière, Hérault, 13 octobre."1. Reproduite en partie dans Notes et Documents, t. Ier, p. 187 sq.
2. Mgr Fournier, évêque depuis 1806, connu pour son zèle apostolique, mais aussi pour son gallicanisme.
3. Cette première partie de la lettre, depuis: "Je suis allé hier à Montpellier..." jusqu'ici, fut reproduite à quelques mots près dans le Correspondant du mardi 19 octobre 1830, p. 104, avec cette indication:"Lettre particulière, Hérault, 13 octobre."
4. Les lettres signées Jean étaient de d'Esgrigny.