Vailhé, LETTRES, vol.1, p.144

19 oct 1830 [Lavagnac], LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-144
  • 0+047|XLVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.144
Informations détaillées
  • 1 BESTIAUX
    1 CATHOLIQUE
    1 CHANT
    1 GRAND MESSE
    1 GUERRE CIVILE
    1 JEUNESSE
    1 LOISIRS
    1 MONARCHIE
    1 PARESSE
    1 POUVOIR
    1 PRESSE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION
    2 BOURBONS, DYNASTIE
    3 BRETAGNE
    3 MARSILLARGUES
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE.
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 19 octobre [1830].
  • 19 oct 1830
  • [Lavagnac],
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de La Gournerie
    au château de La Gournerie
    par Nantes.
    Loire-Inférieure.
La lettre

Vous avez bien raison, mon cher Eugène; c’est la paresse, et une paresse insigne, qui m’a retenu la main, mais soyez-en sûr, ce n’est que la paresse. Car vingt fois le jour la pensée que je vous devais de mes nouvelles venait m’assaillir comme un remords; et cependant, il y avait quelque chose de plus fort qui semblait figer mon encre. A dire vrai, la paresse y était pour beaucoup, mais la stupeur des premiers instants de la catastrophe y était pour un peu. Maintenant que mon bras se dégourdit, que ma plume se dégèle, j’espère réparer mon excessive inertie et vous prouver que j’éprouve plus que jamais le besoin de vous dire combien je vous suis sincèrement attaché. Voilà la tourmente. Eh bien! du courage. Unissons-nous. Union fait force, disait l’ancienne révolution. La nouvelle ne paraît pas disposée à suivre cette maxime. Je dis maxime, et avec connaissance de cause: devise serait trop féodal, maxime est bien plus dogmatique.

Vous abandonnez le Correspondant; prenez-vous l’Avenir? On dit que c’est demain qu’il paraît enfin pour la première fois(1). Je ne puis vous en dire mon avis, quoique bien des gens paraissent craindre qu’il ne réalise pas toutes les espérances.

Ce qu’en Bretagne vous paraissez disposés à faire pour les conscrits, nous le ferons pour les croix. Celle de Montpellier devait être abattue samedi dernier. On fit dire aux autorités que 1 500 personnes l’avaient portée, lorsqu’on la posa, et que 6 000 se disposaient à la défendre. On n’a pas encore osé y toucher. Il y a seulement 400 personnes qui se sont chargées de veiller à ce que, pendant la nuit, on ne vînt pas faire quelque mauvais coup. On se bat aussi à Nîmes. J’ignore quels sont les plus forts. Je crois pourtant que ce sont les catholiques, parce qu’ils sont désespérés. Tout n’est pas aussi admirable pour le dévouement qu’à Montpellier. Dans une petite ville du département, un dimanche, à la Messe, des jeunes gens ont chanté la Marseillaise au moment de l’Elévation.

Nous conservons dans certains endroits l’usage des combats ou des courses de taureaux. Dans un village nommé Marsillargues(2), où la population est protestante, eut lieu une de ces luttes, il y a quelques dimanches. Les voisins furent invités: presque tous étaient catholiques. D’abord, on fit paraître des taureaux très mous. Les protestants s’en moquèrent. « C’était, disaient-ils, la famille des Bourbons. » Après qu’on s’en fut bien moqué, ils demandèrent à grands cris qu’on lâchât Philippe. C’était un taureau furieux, de qui l’on attendait merveille. Philippe parut au milieu des applaudissements de ses amis; mais, soit qu’il fût étourdi des cris des spectateurs, soit qu’il fût enragé tout naturellement, il tourne un moment, et, après avoir fixé la porte de l’église du village, qui était à l’extrémité de l’enceinte et le seul endroit dégarni de spectateurs, il prend sa course comme pour en enfoncer les battants, mais au premier choc sa tête est brisée et il tombe raide mort. Aussitôt les catholiques de crier: « A bas Philippe! » Ils s’élancèrent sur le taureau, le mirent en pièces et emportèrent sa peau en triomphe. Cette aventure a fait le plus grand bien dans les villages voisins. Du reste, je crois que mon histoire vaut bien celle des deux forts de la halle qui voulaient embrasser la reine.

Je tenais à vous écrire, mon cher ami, et pour cela je viens de me séparer quelques instants d’une assez nombreuse compagnie qui m’attend. Je ne pense pas pouvoir vous écrire plus long, d’ici à quelques jours. Ainsi, je me dépêche bien vite de vous dire adieu et de vous promettre de vous récrire le plus tôt que je pourrai. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Il avait paru le 16 octobre.
2. Petite ville de trois à quatre mille habitants, dans le canton de Lunel. C'est la seule commune de l'Hérault où les protestants soient en majorité, mais il y a un excellent noyau d'environ 800 catholiques.