Vailhé, LETTRES, vol.1, p.150

25 oct 1830 [Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-150
  • 0+049|XLIX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.150
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTEURS
    1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 ARMEE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 CATHOLIQUE
    1 COMMERCE
    1 DISTRACTION
    1 FETES DE MARIE
    1 GUERRE CIVILE
    1 ILLUSIONS
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 ROYALISTES
    1 TRISTESSE
    1 VIE DE PRIERE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    3 GUYENNE
    3 JUILLY
    3 MIDI
    3 MONTAGNAC
    3 MONTPELLIER
    3 NORD
    3 PARIS, EGLISE SAINT-ETIENNE-DU-MONT
    3 PROVENCE
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • le 25 octobre 1830].
  • 25 oct 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    pour remmettre à M. Gouraud
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Mon cher ami,

Vous vous lasserez de votre silence, avant que je me lasse de vous écrire. Je présume que mes lettres ne vous ont pas été remises. J’aime mieux cette supposition, car depuis bientôt trois mois j’en suis réduit à supposer. Est-ce que vous ne m’aimez plus, mon bon Gouraud? Je vous préviens que vous n’en serez pas avec moi quitte à si bon marché, car, j’y suis bien résolu, je vous aimerai toujours, et puis cela ne dépend plus de moi. Serais-je par hasard de ces amis qu’il faut voir pour penser à eux, dont l’absence emporte le souvenir? Franchement, je ne le pense pas. Je connais trop ce que vous avez dans le coeur. Non, vous ne m’oubliez pas, mais vous avez peut-être quelque chagrin qui vous resserre, qui vous fait rentrer en vous-même, qui vous empêche de vous ouvrir à ceux qui vous veulent du bien; ou bien vous ne me croyez pas capable de vous comprendre. Oh! sur ce point, je ne me fais pas illusion. Je suis fort bouché. Cependant, j’en sais assez pour vous plaindre, si vous souffrez, pour vous le dire, et cela fait toujours du bien. Si vous me croyez fait pour m’attacher à vous, l’absence ne sera pas un obstacle. Voyez du Lac. Nous nous aimions bien, quand nous nous quittâmes à Paris; maintenant, nous nous aimons encore davantage. Nous nous sommes écrit souvent. Il m’a écrit des choses qu’il ne m’aurait pas dites peut-être. Je lui ai dit ma façon de penser. Il a été content de moi, et, quoique à cent cinquante lieues l’un de l’autre, nous nous aimons tous les jours un peu plus.

Ce matin, j’ai bien pensé à vous, j’ai bien prié pour vous. Je me suis souvenu de cette communion que nous fîmes a Saint-Etienne du Mont, [à] une fête de la Sainte Vierge. Vous la rappelez-vous? On dit que la table est l’entremetteuse de l’amitié. Que devait donc être celle où nous nous agenouillâmes, à côté l’un de l’autre? Un jeune homme était venu chez moi au moment où nous allions sortir. Comme il nous embarrassait! Comme nous fûmes contents, quand il nous quitta et que nous prîmes le chemin de l’église! Dans le moment, j’avais un peu de scrupule. Je craignais que des distractions mutuelles ne nous empêchassent de donner toute notre attention à ce que nous allions faire; mais à présent, il me semble que ce fut une des meilleures actions de notre vie. Que faisions-nous que demander à Notre-Seigneur un peu de l’amour qu’il a pour les hommes, afin que nous pussions accomplir ce qu’il nous commande? Quoique l’amour de Dieu soit incomparablement au-dessus de celui que nous devons aux créatures, ne pensez-vous pas qu’en aimant moins une personne que Dieu veut que vous aimiez, vous l’aimez moins lui-même, puisque vous n’accomplissez pas toute sa loi? Dieu veut que vous m’aimiez, n’en doutez pas, puisqu’il n’a permis notre liaison qu’afin de nous exciter l’un l’autre à faire sa volonté: vous, en me donnant des conseils et des exemples que je dois accepter comme venant de mon aîné; moi, en vous rappelant quelquefois ce que vous m’aurez dit vous-même. Si vous ne pouvez m’adresser la parole que pour me gronder, grondez-moi; si vous avez surtout quelque chose sur le coeur, oh! je vous en prie, ne le gardez pas longtemps. Peut-être êtes-vous fâché de me voir quelquefois vous parler trop sévèrement, plus que je ne le devrais? Mais voyez donc! Pourquoi me persuader que vous êtes fâché? Peut-être ne l’êtes-vous pas? Est-ce seulement paresse? Mettons que je n’aie rien dit. Je ne veux pas me perdre dans toutes ces suppositions qui n’aboutissent pas à grand’chose.

Parlons de l’Avenir. Il a tort de commencer ses attaques contre les journaux, qui, à peu de chose près, partagent son opinion. Nous voilà au train des petits articles sur de petites animosités. C’est dommage, car j’étais content des autres numéros. Le Correspondant a bien fait de le prévenir par quelques politesses. Pourquoi y a-t-il, parmi les rédacteurs du nouveau journal, certains hommes qui ont trouvé le moyen de fourrer la plus large des doctrines dans les esprits les plus étroits? Arrangez cela. Au fait, nous en sommes tous là. Tout est esprit de coterie, de minutie, par conséquent, tant que ce n’est pas notre esprit, et l’axiome: « Nul n’aura de l’esprit hors nous et nos amis », est d’une rigoureuse exactitude. Je connais même telles gens qui en sont venues à s’apprécier et à dire: »Mes moyens sont nuls », pourvu qu’on leur permette d’ajouter: « Un tel qui pense comme moi en a beaucoup ».

Les paysans de notre commune se distinguent, c’est-à-dire qu’ils marchent sur les traces des habitants de Montpellier. Deux cents hommes armés ont positivement déclaré qu’ils défendraient la croix. Ces paysans sont connus dans les environs par la vigueur de leurs poignets. A Montpellier, il s’est formé une association qui compte déjà mille hommes; leur devise est: la croix ou la mort. Je pense comme le Correspondant. Les royalistes doivent rester tranquilles, ne fut-ce que pour attendre et préparer la guerre que les factions se livreront entre elles; mais il ne distingue pas assez les devoirs des catholiques de ceux des royalistes. Car, pour le catholicisme, si ses intérêts sont blessés, qu’on ne pense pas contenir ceux qui les veulent défendre! Dans ces contrées, je ne doute pas qu’il ne se fît un mouvement religieux, dont le succès serait assuré, si l’on n’y joignait l’exécution d’autres desseins.

On parle de la séparation du Nord et du Midi, séparation dont je ne vois guère les inconvénients, surtout si elle n’était que momentanée. Plusieurs personnes voudraient une association qui aurait son journal, intitulé: Journal des intérêts méridionaux. Le centre serait Montpellier, comme joignant la Provence à la Guyenne. Que ce projet s’exécute, je n’en sais encore rien. Mais il est dans trop d’esprits, et surtout trop à l’avantage des cultivateurs méridionaux qu’on a sacrifiés aux intérêts du commerce du Nord, pour que, dirigé par quelques bonnes têtes, préparé par des publications convenables, mûri par le temps, il ne finisse [pas] par se réaliser.

La jolie chose qu’une mouche! Depuis un quart d’heure, je suis à en considérer une qui fait sa toilette [sur] cette lettre. Elle passait et repassait ses pattes de derrière sur ses deux petites ailes tout éclatantes de rouge et d’argent à la lueur de ma lampe; puis, elle arrangeait sa tête, la tournant et retournant à droite et à gauche avec ses pattes de devant. Quand elle a eu fini, j’ai soufflé, et ma mouche s’est envolée. Sic fuqit qloria mundi.

Avant de finir, je vous ferai une prière, c’est de numéroter les lettres que vous m’adresserez et de les faire recommander. J’ai la preuve que l’on m’en a escamoté au moins deux. Depuis bientôt un mois, je n’en ai pas reçu de Paris; et cependant, ordinairement, il ne se passait guère huit à dix jours sans que je reçusse des nouvelles de cette ville. Si mes amis m’écrivent, engagez-les à prendre cette précaution.

Adieu, mon cher ami. Que je désire vous revoir! Que je désire passer encore avec vous de longues heures à causer, à prier Dieu, comme à Juilly! Adieu(1).

Emmanuel.

N° 1. Le 25 octobre 1830.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Sur le dos de la lettre, près de l'adresse, on lit ces mots: "Si la loi qui frappe tous les individus doit passer avant [la] lib[erté] des cultes. L'abbé la Mennais, garde national."