- V1-156
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- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.156
- 1 ADVERSAIRES
1 AMITIE
1 AMOUR DIVIN
1 CATHOLIQUE
1 COLERE
1 DILIGENCE
1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
1 EVANGILE DE JESUS-CHRIST
1 JOIE
1 LANGUE
1 LIVRES
1 NOUVEAU TESTAMENT
1 PARENTS
1 PREDICATION
1 PRESSE
1 PROGRAMME SCOLAIRE
1 REVELATION
1 SAINT-ESPRIT
1 TEMPLE DU SAINT-ESPRIT
1 TRAVAIL DE L'ETUDE
2 ALZON, HENRI D'
2 ALZON, MADAME HENRI D'
2 COMBALOT, THEODORE
2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
2 DUFORT, LIBRAIRE
2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
2 JEAN, SAINT
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 MANZONI, ALESSANDRO
2 PAUL, SAINT
2 SAINT-SIMON, LOUIS DE
2 SCHILLER, FREDERIC
3 LAVAGNAC
3 MARSEILLE
3 MONTPELLIER
3 PARIS - A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
- GOURAUD_HENRI
- le 8 novembre [1830].
- 8 nov 1830
- [Lavagnac],
- Monsieur
Monsieur Henri Gouraud
élève interne à l'Hospice des enfants malades,
rue de Sèvres, n° 3.
Paris.
Non, mon cher Gouraud, je ne vous garde pas rancune. Je n’en ai jamais eu contre vous, parce que je ne vous fais pas un reproche de ne m’avoir pas écrit. Cela vous étonne peut-être? Eh bien! je ne vous boudais pas du tout, je vous plaignais. D’abord, ou je m’abuse étrangement, ou la pensée de votre insouciance pour l’ami d’Alzon s’est plus d’une fois présentée à vous comme un remords. Vous disiez de temps à autre: « C’est bien vrai, je devrais lui écrire »; l’exécution ne suivait pas toujours le projet, mais n’importe. La presque certitude que vous pensiez à moi me faisait plaisir. Vous pouvez croire, du reste, que si vous eussiez encore un peu tardé, vous eussiez reçu une lettre de tendres plaintes, mais point autre chose; vous ne pouviez pas faire davantage.
Je suis cruellement partagé entre mes amis et mes parents. Mes parents seront probablement assez isolés cet hiver; je me crois obligé de leur tenir compagnie. Je partagerai le différend; j’irai un peu plus tard à Paris. Je sais bien tout ce que je perds, car enfin nous n’aurons pas toujours l’occasion de nous trouver réunis. Cette séparation a déjà commencé, et je me crois parfois bien coupable de ne pas la retarder en vous allant rejoindre (1). D’un autre côté, je travaille assez. Je faisais, dans ma dernière lettre à de Jouenne, l’histoire de ma vie à la campagne; si vous désirez la connaître, priez de Jouenne de vous lire ma lettre.
J’ai reçu hier une lettre de de Jouenne, qui me demande des preuves à l’appui de ma lettre citée dans le Correspondant. Je crois qu’on lui en a envoyé aujourd’hui. Mais une preuve bien évidente, c’est que les croix à Montpellier sont encore debout. J’ai dit que les catholiques étaient dans la consternation. Je l’avoue, il n’y avait que les catholiques religieux. Mais comme on sait que plus des trois quarts de la ville sont [des] catholiques de cette espèce, et que je n’avais pas l’intention de parler de leurs ennemis, je puis avoir encore raison. Quant aux faits particuliers, je les tiens de presque toutes les personnes à qui je parlai. Je ne pouvais croire que tant de monde se trompât ou voulût me tromper. Qu’en pensez-vous? Il y a mille choses qui sont évidentes et qui pourtant ne se peuvent prouver que par une enquête juridique. Des personnes m’ont assuré que les jeunes gens se donnaient tout haut rendez-vous dans les rues pour aller défendre les croix, qu’elles les avaient elles-mêmes entendus. Que devais-je penser? Et puis, il y a bien des choses qui ne se peuvent pas dire dans un journal. Il est bien sûr qu’à Montpellier il y a une Association de plus de mille personnes, qui ont pour devise: La croix ou la mort, et qui ont juré de se faire hacher avant de laisser abattre la croix. Enfin, je n’ai qu’une chose à dire: pourquoi a-t-on invité à abattre la croix et pourquoi est-elle encore debout?
Mes projets de travail ne sont point laissés de côté. Je m’occupe de la question de la Ligue, ce qui m’a pris déjà bien du temps et m’en prendra beaucoup encore. L’abbé de l[a Mennais] m’a écrit une troisième fois pour m’engager à étudier l’allemand. Vous pensez bien que je ne puis me présenter devant lui sans le savoir comme M. Allemand lui-même.
Mais, mon cher ami, une étude qui fait mes délices, que je vous engage à faire, qui fortifie l’esprit et le coeur, qui fait aimer Dieu, qui force à se jeter en lui, à ne voir que lui, c’est l’étude de l,Ecriture Sainte. Tous les jours, je passe une heure et demie à méditer soit l’Evangile de saint Jean, soit les épîtres de saint Paul. D’abord, il faut que je me force. Ce n’est qu’avec peine que je fixe mon esprit. Je me fatigue même, avant de pouvoir bien saisir les premières idées; mais quand j’entre bien dans mon sujet, quand il me semble que je découvre, que je sens un peu plus de la vérité, je ne puis vous dire quel excès de joie inonde toutes les facultés de mon âme. Comme alors on aime Dieu! Ce n’est plus comme un ami, comme un roi, comme un père, c’est comme Dieu. Il est impossible d’éprouver ce qu’on sent pour tout autre que pour lui. Ce soir encore, je méditais sur ces paroles de saint Paul: Nobis autem revelavit Deus per spiritum suum; spiritus enim omnia scrutatur, etiam profunda Dei. Qu’est-ce que l’esprit de Dieu? pourquoi se révèle-t-il? Comment se révèle-t-il? Il me semblait que je voyais cet esprit infiniment parfait, plongeant dans les profondeurs de Dieu et révélant toute vérité dès le commencement, lumière qui illumine tout homme qui vient en ce monde. J’adorais son opération dans la révélation particulière, par laquelle il se communique incessamment à toutes les âmes fidèles, révélation particulière qui, accroissant sans cesse la révélation générale, augmente comme par mille ruisseaux particuliers le grand fleuve de la vérité qui coule depuis l’origine du monde. Je vous dis bien froidement tout cela, mais quand on le sent bien fortement, quand on pense que cet esprit de Dieu habits sans cesse en nous par un caractère ineffaçable, qu’il illumine sans cesse notre âme et qu’il plonge sans cesse pour elle dans les profondeurs de Dieu, il y a, croyez-moi, de quoi émouvoir profondément et de quoi faire sérieusement penser à ce que nous sommes, et a ce que nous devrions être pour être dignes de celui dont nous sommes les temples.
J’avoue que toujours on n’éprouve pas ces doux épanchements, cette impétuosité d’amour. Mais c’est notre faute. D’abord, nous nous croyons quelque chose. point du tout. Il faut nous persuader que nous [ne] sommes que de francs imbéciles, puis, ne pas divaguer [mais] tendre notre esprit vers Dieu. Il mérite bien ce premier effort. Faites-le; il achèvera le reste.
Si j’avais à vous gronder, ce ne serait pas de ne pas m’écrire, mais de ne pas écrire à du Lac. Ce pauvre garçon, qui m’écrit assez souvent, s’est plaint plus d’une fois que vous le négligiez. Cependant, il est bien à plaindre. Ecrivez-lui, plaignez-le, encouragez-le, parlez-lui de Dieu, surtout encouragez-le. Il a besoin d’être encouragé, car où il en est, j’ai bien peur qu’il ne finisse par se désespérer.
Mon cher ami, je désirerais bien causer plus longtemps avec vous, mais j’ai été empêché et le temps me presse. Je viens de recevoir le Correspondant, où l’on parle du démenti du Véridique (2). Faites-lui donc observer, encore une fois, qu’il change la question. Demandez-lui, si l’on avait donné les ordres pour abattre les croix, par quels motifs ces croix ne sont pas renversées. Pourquoi donc les catholiques ne comprennent-ils pas que, s’ils disaient: » Nous voulons », ils seraient obéis?
Adieu, mon bien cher Gouraud. Adieu, adieu.
Emmanuel.
Le P. Combalot est ici depuis trois semaines; il restera encore huit jours et ira prêcher à Marseille. Je vous prierai de me rendre un service, ce serait de vous informer si M. Dufort, quai Voltaire, n° 19, n’a pas fait banqueroute, [et] de vous plaindre à lui de ce qu’il n’a pas répondu à une lettre que je lui ai écrite, et de le prier de m’envoyer au plus tôt par la diligence:
1° Un Nouveau Testament allemand;
2° La seconde partie d’un Schiller, édition in-8° compacte, dont j’ai la première partie;
3°Les Fiancés de Manzoni en italien;
4° Des ouvrages que depuis longtemps je lui ai donnes à relier; 5° Des tables des Mémoires de Saint-Simon;
6° La note de ce que je lui dois;
7°La collection du Mémorial jusqu’a l’année 1828 inclusivement.
E.D'ALZON2. Le *Correspondant* du vendredi 5 novembre 1830, p. 144, avait inséré l'entrefilet suivant au sujet de la lettre de d'Alzon à d'Esgrigny, du 13 octobre: "On nous avait mandé de Montpellier que, d'après la disposition des esprits, les autorités préparaient des troubles en laissant entrevoir la volonté de renverser la croix. La croix n'ayant pas été renversée, il n'y a pas eu de troubles Aussitôt la *Véridique de l'Hérault* nous lança un démenti avec une politesse à son usage. On ignore pourquoi le *Messager* agite ce démenti qui ne dément rien, puisque l'hypothèse dont nous parlions ne s'est pas réalisée: il aurait bien fait de lire d'abord l'article dont il était question."