Vailhé, LETTRES, vol.1, p.168

12 dec 1830 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-168
  • 0+054|LIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.168
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 CALOMNIE
    1 CATHOLIQUE
    1 CHANT
    1 CLERGE
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 DOMESTIQUES
    1 ENFER
    1 ENVIE
    1 HAINE
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 INTEMPERIES
    1 MEDISANCE
    1 PARENTS
    1 PRESSE
    1 RENONCEMENT
    1 REPAS
    1 SANTE
    1 SOLITUDE
    1 VENGEANCE
    1 VERTUS THEOLOGALES
    1 VIE DE PRIERE
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 DUINE, FRANCOIS-MARIE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAINTENON, MADAME DE
    2 WAILLE, VICTOR-AMEDEE
    3 FRANCE
    3 JUILLY
    3 LAVAGNAC
    3 MARSEILLE
    3 MIDI
    3 MONTPELLIER
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 12 décembre 1830.]
  • 12 dec 1830
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

(Ne soyez pas étonné de cette seconde lettre. Lisez l’autre la première. Je croyais avoir tout dit; je m’étais trompé.)

Je viens de fermer la lettre que vous aurez reçue vingt-quatre heures avant celle-ci. Vous me demanderez pourquoi recommencer si tôt. Pour bien des raisons. Premièrement, parce qu’en relisant votre lettre j’y ai découvert bien des choses, qu’une seule ligne m’avait empêché d’y voir. Je n’avais eu de pensée, d’yeux que pour cette malheureuse ligne. Elle m’avait vraiment bouleversé, méchant que vous êtes. Je vous écris, parce que mon coeur est plein. Laissez-moi vous dire, encore une fois, que je vous aime bien, et puis, écartons le nuage qui vous avait voilé ce que je vous suis.

Mon premier mouvement, en réfléchissant, a été d’aller vous trouver là où vous êtes, et je ne sais si je n’exécuterai pas cette idée. Mais, cher ami, après m’être bercé près d’une heure de cette agréable idée, avoir calculé tous les moyens de bientôt exécuter ce plan, j’ai un peu voulu consulter Dieu. Eh bien! il me semble à présent ce qu’il m’a semblé depuis le mois de novembre, Dieu ne veut pas que [nous] nous revoyons encore. J’ai eu beau me débattre contre moi-même; voilà ce qui me paraît. Est-ce-que la crainte excessive de trop donner au plaisir de vous voir m’a fait pencher à tort dans le parti qui retarde ce plaisir? C’est possible. Mais je vous assure qu’il m’est cruel d’être ainsi à moi-même mon juge et de juger contre moi.

Du reste, voici mes raisons. Outre celle d’être dans un temps tel que celui-ci auprès de mes parents, je sais qu’on va former à Montpellier un journal où, sans me vanter, je crois pouvoir être utile. Ici, tous les soirs, je fais des instructions religieuses aux valets de ferme. Je répands un peu de vérité dans vingt ou trente intelligences. Il me semble que je fais du bien. Je m’attache à ce travail que, du reste, je ne puis faire que pendant l’hiver, au coin du feu, entre le souper et la prière de ces bonnes gens. Il me semble que je sers un peu la religion dans le voisinage par mes relations avec les curés, par une certaine influence que mon âge me permet de prendre. Enfin, je vois une sorte de bien à faire ici, grâce à une position qui est unique et que mon père ne pourrait pas prendre, [même] si l’état de sa santé le lui permettait. Dans tout ceci, il n’est pas question de mon individu, parce que l’utilité de deux ou trois mois de solitude est, à mes yeux, incontestable.

Cependant, mon cher ami, rentrez en vous-même et demandez-vous si vous avez assez besoin de moi. Je vous le promets, si vous croyez que je vous sois utile, je fais tout pour venir auprès de vous. N’admirez-vous pas l’importance que je me donne par rapport à vous? Eh bien! j’en suis tout persuadé. Je suis sûr que je puis, si vous êtes dans un état que je me figure, vous être de quelque utilité et, plus que tout autre, vous faire du bien; et qui plus est, je ne vois dans tout cela ni légèreté, ni enfantillage, ni affectation de paraître plus que je ne suis. Pendant les orages, Mme de Maintenon cachait sa tête dans le sein d’un enfant. Pourquoi ne trouveriez-vous pas du soulagement à cacher votre coeur dans le mien? A mes yeux, ce soulagement serait beaucoup, parce qu’il ferait peut-être renaître en vous et avec plus de force l’espérance en Dieu et, après l’espérance, l’amour.

Lundi matin [13 décembre].

Hier soir, je ne pouvais vous parler que de vous et de moi. Parlons un peu des autres. J’ai, ce me semble, un moyen pour paralyser les plans de l’abbé, supposé qu’il voulût aller aussi loin que vous me le donnez à entendre, c’est de lui faire écrire par les plus influents de ce pays-ci. Je me crois sûr des intentions de plusieurs. Eux-mêmes ont des relations plus étendues. Ils préviendraient tous l’abbé qu’ils ne le seconderaient pas, s’il allait trop loin. Comme, on a beau dire, ce pays est un des plus catholiques et des plus énergiques de la France, la conduite de nos prêtres ferait beaucoup. Mais ce que vous me dites dans votre lettre est trop général, pas assez positif. J’ai été sur le point de partir pour Montpellier. Mais qu’y aurais-je fait? Je n’en sais pas assez. Donnez-moi des faits plus positifs.

Je vais écrire à M. Combalot. Je saurai son opinion. Il peut quelque chose sur le clergé de Marseille. Selon qu’il sera disposé, je verrai si l’on peut le faire écrire à l’abbé. Celui-ci est contraint d’avoir de la considération pour ses paroles, pour des raisons très fortes et que vous savez peut-être. Bailly les sait, je crois. Si M. Combalot est bien disposé, avec les prêtres que je connais déjà, le Midi pourra bien résister à toutes les Agences du monde(2). Mais, d’un autre côté, je vous en supplie, prenez garde de ne pas vous tromper. L’indélicatesse de l’abbé me revient toujours à l’esprit. C’est une chose à laquelle je ne puis encore me faire. En avez-vous écrit à du Lac?

Non, je ne puis me mettre dans la tête que l’abbé soit indélicat. A peine y a-t-il un mois, il m’écrivait une lettre fort courte, mais où il me semblait voir son âme tout entière. « Exercez-vous, me disait-il, par l’esprit de sacrifice qui obtient tout et qui accomplit tout. » Pourrait-il en parler ainsi de l’esprit de sacrifice, s’il ne le connaissait lui-même? Du reste, sa chute, si elle était vraie, ne ferait que confirmer ce que l’Eglise chante depuis longtemps: « Il vaut mieux se confier au Seigneur que dans la main des hommes. » Serait-ce que Dieu veut être seul à venger sa cause, qu’il la veut venger sans les hommes, et malgré les hommes, malgré ceux mêmes qui se sont dévoués à lui?

Serait-ce pour vous et pour le Correspondant que serait cette phrase: »Quelques personnes ne comprenant pas ou affectant de ne pas comprendre », par laquelle commence l’article sur les doctrines de l’Avenir? Puis-je vous confier un soupçon, que je ne pense pas être une médisance? Ne croyez-vous pas que l’abbé est facile à circonvenir et que, s’il y a de la haine chez lui, c’est qu’on l’y a mise? Qui l’y, a mise? me direz-vous. J’ai peur de faire une calomnie. Mais n’a-t-il pas une âme damnée par le monde? N’a-t-il pas une caricature vivante, qui lui renvoie un peu de fiel pour toutes les plumes brillantes qu’elle s’en approprie? N’a-t-il pas W… (3) Cet homme me fait peur. Si dans la coterie il y a de la haine, c’est en lui que je la vois. J’ai dit coterie -et je crois avec raison,- mais c’est à lui qu’il faut s’en prendre. Parce que [si] le génie s’élève à une hauteur où ordinairement il est seul, le plastron de l’abbé se persuade que, toutes les fois qu’on est seul, on a du génie. Du reste, peut-être en ce moment je le charge avec injustice.

Cette lettre, que je destinais pour demain, partira aujourd’hui. Elle est pleine. Demain, peut-être vous écrirai-je encore. Adieu. Je vous aime. Je vous supplie, ne soyez-pas jaloux.Je l’ai été pendant un an. C’est le ver rongeur de l’amitié. Je vous aime. Comptez-y, mais un peu de confiance. Fiez-vous à moi. Oui, je vous aime bien.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
2. Allusion à l'*Agence générale pour la défense de la liberté religieuse* que de la Mennais et son groupe organisèrent, en décembre 1830, au collège de uilly. Sur elle, voir Duine, *op. cit*., p. 144.1. Voir des extraits dans *Notes et Documents*, t. Ier, p. 117, 143, 168.
2. Allusion à l'*Agence générale pour la défense de la liberté religieuse* que de la Mennais et son groupe organisèrent, en décembre 1830, au collège de Juilly. Sur elle, voir Duine, *op. cit*., p. 144.
3. S'agit-il encore de Waille?