Vailhé, LETTRES, vol.1, p.187

25 jan 1831|27 jan 1831 [Lavagnac] GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-187
  • 0+060|LX
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.187
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ARMEE
    1 CITOYEN
    1 HOPITAUX
    1 LIBERAUX
    1 MALADIES
    1 MONARCHIE
    1 PARDON
    1 PARESSE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 REPOS
    1 REVE
    1 SOLITUDE
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 ECKSTEIN, FERDINAND
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 HERDER, JOHANN-GOTTFRIED
    2 HOMERE
    2 HUMBOLDT, WILHELM DE
    2 KLAPROTH, HENRI-JULES
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 LA ROCHEFOUCAULD, FRANCOIS DE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LESSING, GOTTHOLD
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 MONTAIGNE
    2 MULLER, JEAN DE
    2 SCHELLING, FREDERIC-GUILLAUME
    2 THIEBAULT, LOUIS
    3 PARIS
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • commencée le 25, finie le 27 [janvier 1831].
  • 25 jan 1831|27 jan 1831
  • [Lavagnac]
  • Monsieur
    Monsieur Henri Gouraud,
    Hôpital des enfants malades,
    rue de Sèvres, n° 3.
    Paris.
La lettre

Trois visites, dont une de vingt-quatre heures, une lettre de condoléances à faire, un peu de colique, un mouvement de paresse qui, à minuit, me fit préférer mon lit au plaisir de causer avec vous, voilà, mon cher Gouraud, les motifs qui m’ont empêché de tenir la promesse que je vous avais faite par La Gournerie. Cependant, j’ai quelques scrupules encore sur ma conduite. Il me semble que j’ai mal agi. Pardonnez-moi, mon cher ami; ne nous brouillons pas au commencement de l’année. J’espère que, dans quelque temps, nous pourrons reprendre les charmantes causeries dont vous me parliez. J’ai besoin de vous voir, de voir mes amis. J’avais cru pouvoir rester longtemps seul; je n’en ai pas la force. Souvent, très souvent, je rêve que j’arrive à Paris, que je vous revois, vous, Thiébault, de Jouenne, et ce sont mes plus beaux rêves. Ils laissent après eux quelque chose de doux, d’agréable, que la triste réalité du réveil ne dissipe pas entièrement. Vous pensez aussi à moi, j’aime a le croire, et j’aime à croire aussi que c’est parfois au même moment. A deux cents lieues de votre hôpital, je pense aussi à vous.

L’aimable chose que l’amitié! La nôtre est bonne, Gouraud. Si La Rochefoucauld ne ment pas, lorsqu’il dit que l’absence est à l’amour ce que le vent est au feu -il éteint les bougies et allume les incendies- notre amitié est bonne, si la preuve l’est. Vous me parliez dans une lettre de mon attachement pour vous qui s’augmenterait dans nos conversations de cet hiver. Eh bien! quoique nous ne puissions pas causer, il me semble que je ne vous en aime pas moins.

Un violent mal de tête me prend, il faut que je vous quitte.

Depuis que j’ai interrompu ma lettre, une grande révolution s’est opérée en moi: j’ai pris ma part de souveraineté, j’ai fait le premier usage de mes droits de citoyen, je suis conscrit. Ce matin, j’ai tiré au sort. On demande 28, j’ai tiré 37. Je suis enfoncé, mais à dire vrai peu m’importe. Je m’étais arrangé avec un homme qui s’est chargé de tout en consentant à courir les chances. Ce qui m’a le plus diverti dans toute la cérémonie, c’est que j’ai fait de la popularité en dépit des libéraux. Tous les conscrits étaient debout. Un porteur d’écharpe tricolore ne voulait-il pas me donner une chaise dans un endroit à part? J’ai hautement refusé et je me suis mêlé parmi mes compagnons de sort.

Ne trouvez-vous pas que mon ton ne répond guère aux douces et tendres choses que vous me disiez dans votre lettre? J’avais d’abord voulu ne vous répondre que par des paroles tristes, j’en suis quelquefois assommé, mais j’ai préféré aller toujours mon bonhomme de chemin, rire ou pleurer, comme il me passerait par l’esprit. Montaigne a raison.

Je lis le Catholique du baron. Il y a de bonnes choses; mais après tout il est facile d’être savant en répétant à satiété que M. de la Mennais est moins savant que M. de Maistre, que les rhapsodes sont les auteurs de l’Iliade, et en enfilant comme un chapelet inévitable les Nibelungen avec Brahma, Vichnou et l’Edda des Scandinaves, M. de Klaproth, Humboldt, Lessing, Schelling, le platonique Herder, le dantesque Muller, le michelangesque je ne sais plus qui. Miséricorde! Il faut en convenir, avec le cher baron, on a l’avantage de ne pas s’épuiser sur une même page. Vous ne comprenez pas un passage? Attendez le numéro suivant, on reviendra à la charge. Vous ne comprenez pas à une seconde lecture? Prenez un autre volume, n’importe lequel; on vous en parlera encore, surtout s’il s’agit des Nibelungen, de la monarchie absolue de M. de Bonald ou de la liberté de la presse.

Rendons-lui justice. Bien des questions qui avaient paru neuves dans le dernier ouvrage de l’abbé se trouvent tout au long traitées par lui. Expliquez-moi une difficulté. L’abbé et le baron pensent de même sur plusieurs points; sur d’autres ils diffèrent. Je prends sur les questions controversées tantôt l’avis de l’un. tantôt l’avis de l’autre, je crois avec raison. Mais si par hasard c’était tout le contraire que je dusse faire, et si par hasard ils se trompaient pour tous les points sur lesquels ils s’entendent, quel moyen d’y voir clair? Et si par hasard ils se trompaient et sur ce qu’ils affirment et sur ce qu’ils nient? La tête me tourne, mais depuis quelque temps, en politique, elle me tourne de la sorte.

L’abbé Combalot m’a écrit pour me reprocher de déserter l’Avenir; il se trompe. L’Avenir, à mes yeux, a raison pour le fond, sauf quelque chose, mais il a tort pour la forme. Il fait au Correspondant un point d’amour-propre de ne pas penser comme l’abbé. J’aime beaucoup ma position. L’abbé Combalot me reproche mon amour pour le Correspondant, d’autres mon amour pour l’Avenir; si vous étiez ici, vous m’accuseriez d’aimer la Quotidienne, parce que je lui reconnais la meilleure intention du monde.

Adieu, cher ami. Il me semble que je vous écris un peu de tout. Je veux vous écrire dans deux ou trois jours un peu plus sérieusement.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum