Vailhé, LETTRES, vol.1, p.193

19 feb 1831 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-193
  • 0+062|LXII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.193
Informations détaillées
  • 1 ANGELUS
    1 AUMONE
    1 AUTEL
    1 CIBOIRE
    1 CONFESSEUR
    1 CONNAISSANCE DE SOI
    1 COURS PUBLICS
    1 CURE
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GOUVERNEMENT
    1 HAINE
    1 HOSTIES
    1 INGRATITUDE
    1 OSTENSOIR
    1 PRESSE
    1 SACRILEGE
    1 TABERNACLE
    1 VOL
    2 BERRY, CHARLES-FERDINAND DUC DE
    2 CHAMBORD, COMTE DE
    2 ESCAN, ANTOINE
    3 ITALIE
    3 MONTPELLIER
    3 NICE
    3 PEZENAS
    3 SAINT-PONS-DE-MAUCHIENS
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 19 février 1831.]
  • 19 feb 1831
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Un crime affreux vient d’être commis. Hier, vendredi 18, deux jeunes gens montèrent à l’église de Saint-Pons de Mauchiens, petit village des environs, et demandèrent à une femme qui sonnait l’Angélus de midi si le curé n’y était pas, témoignant le désir de se confesser. La femme répondit que le curé ne confessait pas à cette heure et s’en alla. Vers 7 heures du soir, une autre femme priant Dieu, s’aperçut que le tabernacle était ouvert. Le curé, prévenu, accourut pour le fermer, croyant avoir commis une imprudence. Mais la porte avait été enfoncée, le ciboire emporté et, avec le ciboire, quarante à cinquante hosties consacrées. On s’est étonné que les voleurs, qui avaient enfoncé la porte d’un autre tabernacle où il n’y avait rien, aient laissé dans celui du maître-autel un ostensoir d’argent qui se trouvait avec le ciboire enlevé. De promptes recherches ont mis à même de recouvrer, aujourd’hui même, le couvercle et le pied brisé du ciboire. On aurait même saisi un des coupables sans la stupidité d’un orfèvre de Pézenas, chez lequel un des voleurs avait été porter une partie du vase sacré, si cet imbécile ne l’eût averti qu’étant dénoncé il allait chercher le juge de paix pour le faire arrêter. Jugez si mon homme a décampé. Quelques heures après leur vol, ils vinrent, à ce qu’il paraît, demander l’aumône ici même; on ne se doutait guère de leur crime.

Après une histoire aussi triste, j’ai presque honte [de] vous parler d’une mystification que vient d’avoir le Parquet de Montpellier. Je vous ai parlé de la manière dont le gouvernement emploie les agents provocateurs. Je vous ai dit que, par suite des troubles occasionnés par ces agents, sept à huit personnes furent citées devant les assises. Lundi dernier, elles furent jugées et acquittées. A peine la sentence fut-elle rendue que la salle retentit des cris de: Vive le roi! « J’oubliai, me dit la personne qui m’écrit et qui était présente à l’audience, j’oubliai de demander ce que signifiaient ces cris à un ex-officier de l’ex-garde royale qui applaudissait sans gêne; mais le départ précipité de certains personnages me les rendit très significatifs.

Je n’avais pas d’abord remarqué dans votre lettre que vous m’appreniez toute l’horreur que vous aviez conçue pour moi. C’est fort maladroit de votre part. Ces grandes déclarations de haine ne signifient pas grand’chose; elles portent à faux, car ne croyez pas que, même sérieusement parlant, j’y attache autant d’importance qu’aux doutes que vous éleviez sur mon amitié pour vous. Ces deux sentiments sont bien différents à mes yeux. Le dernier vous rendrait malheureux et moi aussi par ma faute; l’autre, au contraire, ne prouverait que votre ingratitude, peut-être même votre mauvais goût.

Vous souvenez-vous qu’il y a deux ans, tous les vendredis soir un Monsieur passablement ennuyeux montait à la tribune de nos conférences et nous lisait d’un cahier qui avait pour titre: Cours de droit public? Or, dans ces conférences où nous assistions par convenance, nous nous assoupissions quelquefois. Un soir que nous nous ennuyions d’écouter, nous eûmes un dialogue écrit que je conserve. Je vous faisais cette demande: Quelle différence trouvez-vous entre un souvenir de mélancolie et le sentiment produit par la vue d’un ami de coeur? » Vous répondîtes: « La différence qu’il y a entre le souvenir de son absence et le sentiment produit par votre vue. » Croiriez-vous que j’ai été assez sot pour ne pas comprendre ce que cela signifiait?

J’ai terminé aujourd’hui un travail assez important, c’est mon portrait, avec l’examen des moyens que je compte prendre pour le corriger.

Dimanche soir [20 février].

Il paraît que vous continuez à faire des vôtres. Que ne me mandez-vous quelque chose de clair? Quand on est éloigné, tous les détails sont intéressants. Y avait-il ou n’y avait-il pas un buste du duc de Bordeaux sur le catafalque de son père? Nous sommes entièrement ignorants de mille petits faits, qui, de près, ne paraissent peut-être rien et, de loin, prennent une certaine importance.

Ce que vous dites des Mélanges Occitaniques, je m’en convaincs tous les jours. Ils me doivent leur meilleur rédacteur et ils en auraient d’autres, bien plus capables que ceux qu’ils ont, s’ils voulaient prendre une [autre] marche. Mais allez mettre cela dans la tête d’un ex-banquier, d’un ex-conseiller de préfecture ou d’un ex-maire! Ils vous inséreront tout du long des lettres d’un négociant qui voulait aller à Nice, en Italie et ainsi du reste. Adieu, cher ami. Je vous aime et ne vous souhaite pas d’ennui.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum