Vailhé, LETTRES, vol.1, p.199

19 apr 1831 [Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-199
  • 0+064|LXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.199
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 IMITATION DES SAINTS
    1 JESUS-CHRIST MODELE
    1 JEUDI SAINT
    1 LANGUE
    1 LUTTE CONTRE SOI-MEME
    1 MALADIES
    1 PASSION DE JESUS-CHRIST
    1 PECHE
    1 PRESSE
    1 TRAVAIL
    2 CHATEAUBRIAND, FRANCOIS-RENE DE
    2 HUGO, VICTOR
    2 JEAN, SAINT
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 MALEBRANCHE, NICOLAS
    2 TACITE
    3 FLORENCE
    3 FRANCE
    3 MONTPELLIER
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD (1).
  • GOURAUD_HENRI
  • le 19 avril 1831.]
  • 19 apr 1831
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur H. Gouraud, Elève interne
    à l'hôpital des enfants malades,
    rue de Sèvres, n° 3.
    Paris.
La lettre

Votre lettre, mon cher Gouraud, n’a fait que me prévenir. Depuis trois ou quatre jours, je m’étais proposé de vous écrire ce soir, non pour vous dire que je vous méprise, mais pour vous répéter que je vous aime. Méprisez-moi tant que vous voudrez, je ne vous rendrai point la pareille: d’abord, parce que ce m’est impossible; en second lieu, parce que je crois que c’est mal. Il ne faut mépriser personne, il ne faut mépriser que soi, parce qu’il faut aussi se haïr. Je crois l’amour incompatible avec le mépris.

Votre lettre a, je crois, été décachetée: elle avait un pain à cacheter jaune et un autre bleu. Ce m’est assez indifférent. Les gens capables de décacheter ne le sont pas de nous comprendre. Aussi, ce n’est que pour vous [le] dire.

Pourquoi y a-t-il dans l’esprit de l’Homme une certaine propension à faire des rapprochements, en sorte que le souvenir d’une idée, d’un fait, d’une personne marche rarement tout seul? Pourquoi ne puis-je jamais penser à saint Jean l’Evangéliste, sans penser à vous? Ne vous en fâchez pas. C’est un de mes saints de prédilection. Il était si pur, si chaste, si aimant qu’il semble que le coeur de Jésus-Christ, sur lequel il avait reposé pendant la dernière Cène, soit passé dans le sien (2). Ce rapprochement me fait doublement penser à vous, parce que je lis en ce moment les Epîtres de saint Jean. Mes bien-aimés, je vous écris ceci, afin que vous ne péchiez plus. Si quelqu’un de vous pèche, nous avons auprès du Père tout-Puissant un avocat, Jésus-Christ, qui est juste. Mon bien-aimé, je ne veux pas que vous péchiez, je ne veux pas que vous vous abandonniez à vos faiblesses, à vos défaillances, à vos chagrins; mais si vous vous y abandonnez, je veux que vous songiez à votre avocat, à celui qui s’est fait votre propitiation et, en même temps, votre modèle. Comme vous, il a eu des défaillances; comme vous, il a eu des moments d’abandon. N’est-il pas mort de la mort la plus cruelle, non pas à cause des supplices du corps, mais des peines de l’âme? Il est mort pour ainsi dire en désespéré: Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné? Oh! pensez à cela. Lorsque vos forces baissent, songez à ce dénuement complet de forces dans votre Maître; et puis, pensez aussi qu’il était juste. Je vous prie de lire, pour l’amour de moi, la première Epître de saint Jean. Je la lis maintenant, et je serais bien aise de penser que les mêmes paroles fixent en même temps peut-être notre attention à tous les deux. Cette Epître, je ne sais pourquoi, me paraît très propre à vous faire un grand bien. Il me semble que vous avez quelque chose de saint Jean, et je désirerais bien qu’en lisant ce qu’il a écrit, vous lui devinssiez encore plus semblable.

Le Correspondant, où se trouvaient le second article de Notre-Dame (3) et le fragment de Chateaubriand, était très bon. Je suis surtout content de l’article « France » de ce numéro. Ils n’ont pas toujours le bonheur de me plaire, mais celui-ci était plein et a dû être généralement goûté. Savez-vous que La Gournerie vous donne des articles délicieux et qu’il a fait des progrès étonnants pour tout? Son article, « Florence », était un des plus remarquables qu’ait eus votre journal. Mais vous, que faites-vous? Depuis bien longtemps, je ne vois plus votre signature. Est-ce que vous ne seriez plus aussi zélé que certain jour, où vous apportâtes trois articles?

Si vous voulez savoir [ce que je fais] moi-même, je fais de l’allemand ou plutôt j’en déchiffre. Je lis Malebranche; quand je l’aurai lu, je lirai Tacite; après quoi, j’essaierai d’écrire. Il n’est guère probable que je vienne vous, voir d’ici à quelque temps. J’en suis fâché, rien qu’à cause de mes amis. C’est bien assez; mais j’en serai, sans ce motif, content, parce qu’il me semble que je ne perds pas mon temps. Je vais quelquefois à Montpellier. Je fais peu de visites, parce que l’on est généralement assez bouché; mais les visites que je fais sont assez agréables. Enfin, je suis très fortement enrhumé. Ce rhume, je l’ai pris en restant cinq ou six heures à lire en plein air, tantôt à l’ombre, tantôt au soleil. C’est une gentillesse de printemps. Je la paie assez cher. J’ai mal de tête.

Adieu, mon bon ami, que j’aime sans le mépriser. Dit-on sans le ou sans vous? Bref, je vous aime, c’est sûr. Je vous méprise? C’est une autre affaire.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.
2. On ne s'étonnera pas que le P. d'Alzon ayant, en outre, dit sa première Messe le jour de saint Jean l'Evangéliste, ait choisi cet apôtre pour un des patrons de sa Congrégation.
3. *Notre-Dame de Paris*, par Victor Hugo.