Vailhé, LETTRES, vol.1, p.204

16 may 1831 [Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-204
  • 0+066|LXVI
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.204
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR-PROPRE
    1 ART DE LA MEDECINE
    1 CLERGE
    1 DONS DU SAINT-ESPRIT
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 LIVRES
    1 ORGUEIL
    1 PENTECOTE
    1 PRESSE
    1 SOLITUDE
    1 UNION DES COEURS
    1 VANITE
    1 VOLONTE
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 JEAN, SAINT
    2 LA GOURNERIE, EUGENE DE
    2 SCHLOSSER, FREDERIC-CHRISTOPHE
    2 THIEBAULT, LOUIS
    3 PARIS
    3 PARIS, RUE DE VAUGIRARD
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD (1).
  • GOURAUD_HENRI
  • le 16 mai 1831.]
  • 16 may 1831
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Henri Gouraud, Elève interne
    à l'hôpital des enfants malades,
    rue de Sèvres, n° 3.
    Paris.
La lettre

Charmant Ami,

Vous avez oublié peut-être la dernière question que vous m’avez adressée. La voici: « Je voudrais savoir si je vous manque autant que vous me manquez. Je parie que vous répondrez non. » Précisément et vous n’en serez pas surpris, je suis sûr, parce que si vous étiez à la campagne et que je fusse à Paris, ce serait tout le contraire. A Paris, on a plusieurs amis. Vous avez de Jouenne, vous en avez d’autres. Cependant, quand vous passez par la rue Vaugirard, vous devez vous dire: « Si le petit d’Alzon était encore là, j’aurais du plaisir à le voir. » A la campagne, je suis seul: tous mes amis me manquent et me manquent beaucoup, mais je ne pense pas à l’un plutôt qu’à l’autre, au moins en général. Ainsi, au lieu de dire vingt, trente fois par jour: « De Jouenne me manque, du Lac me manque, Thiébault me manque, La Gournerie me manque, Gouraud me manque »; je dis vingt, trente fois par jour: « Mes amis me manquent, » vous comme les autres. Cependant, j’aime aussi, à diviser, pour ainsi dire, mon affection. Quelquefois je vais me promener, avant-hier par exemple, avec un de vos articles. Ce n’est pas tout à fait avec vous, mais c’est toujours avec votre pensée. D’autres fois, je vais absolument seul, sans livre, sans article; c’est alors surtout que je sens que vous n’êtes pas à mon bras. Votre amitié, bel ami, est si douce; votre coeur s’unit si bien au coeur de ceux qui vous aiment, qu’avec vous il semble qu’on sente tout seul, quoique avec beaucoup plus de force. Oui, vous me manquez, lorsque j’ai envie de me mettre un peu de mauvaise humeur et que je n’ai personne pour avoir la charité de la porter. Comme vous étiez doux, patient pour me supporter en de pareils moments! Oh! oui, vous me manquez beaucoup.

N’allez pas croire que j’aie formé, depuis un an que je ne vous ai vu, une seule amitié nouvelle. J’ai fait de nouvelles connaissances, voilà tout. L’amitié a cet avantage sur l’amour que, pendant beaucoup plus de temps, elle est volontaire. Je vous promets que j’emploierai tout ce que ma volonté a de force pour ne pas m’attacher par de nouveaux liens. A dire vrai, il y a ici peu de gens capables de savoir ce que c’est qu’un ami. Excepté deux jeunes prêtres qui s’aiment et qui voudraient me mettre en tiers, je connais peu d’êtres qui veuillent se donner les uns aux autres.

Comment aimez-vous le bon Dieu, doux ami? Car c’est toujours la qu’il en faut revenir. Eh bien! oui, comment l’aimez-vous? Lui avez-vous demandé un esprit de règle, un esprit de force? Voici le jour de la Pentecôte(2), la fête de la descente du Saint-Esprit, de l’Esprit de force, de sagesse. Avez-vous lu, comme je vous en avais prié, l’Epître de saint Jean? Avez-vous médité ces délicieuses paroles? Pour nous, nous avons connu et nous avons cru à l’amour de Dieu en nous. Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu en lui.

Du Lac se plaint de votre silence. Il m’assure qu’il vous écrit toujours et que vous ne lui répondez pas. Pourquoi cela? Oublieriez-vous ce bon ami? Il est seul, lui, et nous lui manquons tous. Ecrivez-lui donc, je ne veux pas dire plus souvent, mais écrivez-lui.

Je crois faire bien en n’allant pas à Paris, parce qu’entre l’Avenir et le Correspondant il me faudrait choisir, et j’aime mieux suspendre encore mon avis. Ni l’Avenir ni le Correspondant ne me plaisent absolument. Je trouve l’un plus logique et l’autre plus généreux, l’un plus entraînant, l’autre plus habile dans la conduite de ses doctrines; mais l’Avenir dit des sottises [et] des injures, il veut trop être seul; le Correspondant a un autre genre d’orgueil. Peut-être n’a-t-il que de la vanité, vanité de jeune homme. Ou je me trompe, ou de Jouenne prend depuis quelques mois une grande influence sur la marche de ce dernier journal, et de Jouenne a bien sa dose d’amour-propre. Dites-le-lui, en cas que j’oublie de le lui écrire.

Adieu, mon cher Gouraud. Je vous aime peut-être plus que vous. Au moins cela serait-il assez évident, s’il fallait établir quelque rapport entre notre amitié et nos lettres; mais j’aime mieux croire que, pour le chapitre de l’amitié, les choses sont au moins égales. Adieu.

Emmanuel.

L’abbé Combalot arrive à Paris. Il voulait que je l’y suivisse; j’ai refusé, et pour cause. Adieu. Connaissez-vous l’Histoire de l’antiquité de Schlosser? Voudriez-vous me faire une liste des ouvrages qu’il me serait utile de lire, pour avoir une notion assez exacte des sciences physiologiques et naturelles? Dans quelque temps, je veux m’occuper de cette partie de la science, et je vous crois très capable de m’indiquer les sources où je pourrais puiser avec fruit. Que je vous félicite de vos articles médicaux: ils m’intéressent beaucoup, plus même que vos articles littéraires. Outre le plaisir que j’ai à lire la solution de questions intéressantes, je suis bien aise de vous voir travailler votre état. Cela me donne pour vous une estime toute particulière, oui vraiment, de l’estime.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.
2. La Pentecôte tomba le 22 mai cette année-là.