Vailhé, LETTRES, vol.1, p.207

1 jun 1831 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-207
  • 0+067|LXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.207
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AMOUR DIVIN
    1 AUMONE
    1 DIEU
    1 JARDINS
    1 LIVRES
    1 LOISIRS
    1 PARESSE
    1 PAUVRETE
    1 PRESSE
    1 REVOLUTION
    1 SANTE
    1 SOLITUDE
    1 TRANSPORTS
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VACANCES
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 DREUX-BREZE, PIERRE-SIMON DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 PAS DE BEAULIEU
    3 GRANDE-CHARTREUSE
    3 PARIS
    3 ROME
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 1er juin 1831.]
  • 1 jun 1831
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Au moment où je reçois des lettres de tout le monde, Pourquoi ne me dites-vous rien? Vous m’impatientez parfois; il faut que je vous le dise. Me persuaderez-vous que les affaires du Corr[espondant] vous absorbent tellement que vous ne pouvez penser à autre chose? Je ne le croirai jamais. Ce que je croirai, c’est que vous êtes un paresseux, enchanté du prétexte. Un peu d’occupation -je mets l’un dans l’autre une heure par jour pour l’occupation, je suis généreux, je pense; -puis, vous avez envie de vous promener; puis, vous avez chaud puis, une visite vous dérange ou vous arrange. L’heure du courrier passe quand vous avez l’intention d’écrire, et le remords pour un jour encore est étouffé. N’avez-vous pas honte, grand enfant, de traîner ainsi de jour en jour, avec la pensée que j’attends une de ces lettres qui me font plaisir et dont la pensée me donne une impatience, quand on ne va pas voir assez tôt au courrier si vous êtes toujours aussi paresseux. Mais n’en parlons plus. Il ne faut pas tout dire en un jour.

Je me porte assez bien, doux, tendre, cher ami. L’esprit et le coeur ne sont pas trop mal. Il me semble que j’aime un peu plus Dieu; cela donne des forces. J’ai entrepris un long travail. Vous m’en aviez demandé un de cent pages, et celui-là les dépassera probablement. D’abord, je me le suis taillé, comme si je ne devais pas bouger de l’année. Ce sont quelques considérations sur le principe du progrès et de la mort des peuples. Je ne sais si je viendrai jamais à bout de réaliser le plan tel que je le conçois. Il me faut lire beaucoup, pour bien saisir tous les points de vue, d’où je devrai juger. Enfin, à la garde de Dieu! J’ai le projet d’étudier quelque cinquante volumes. Heureusement, j’ai dans ma bibliothèque une très grande partie des matériaux nécessaires, et je sais où trouver les livres dont j’aurai besoin.

Pourquoi ne me dites-vous plus rien? Vous ne que montrez pas bien votre personne; vous vous ouvrez avec peine. Est-ce que vous avez quelque chose contre moi? « Je vous aime », voilà la fin de vos lettres, et les seuls mots qui me réjouissent le coeur. Pourquoi ne vous épanchez-vous pas un peu plus? Vous devenez froid, mon bon ami. Est-ce que, comme je vous le disais dans une autre lettre, vous n’êtes pas assez fort [pour] supporter une absence un peu longue? Voilà bientôt deux ans que je n’ai vu du Lac. Cependant, notre amitié n’en a pas moins été croissant. Il me semble que je vous aime bien plus que quand je vous ai quitté. Vous seriez-vous arrêté? Mon Dieu, je ne le pense pas. Je ne sais même pourquoi je vous le dis. Je crois pourtant que vous serez content de mes soupçons Un autre se fâcherait. J’espère que vous me remercierez. Entendez-vous?

Que faites-vous, ces vacances? Quittez-vous Paris? Voyagez-vous? Parlez-moi donc. Ce que je ferai? je n’en sais rien. Un caprice me fait entrevoir comme une chose sublime d’aller passer six mois à la Grande-Chartreuse, seul avec Dieu, les arbres et les religieux muets. Je n’ai vu personne qui, ayant joui de ce spectacle, n’en ait été enthousiasmé. Si les temps étaient plus calmes, je serais allé à Rome, probablement pour plusieurs années; mais ma mère craint toujours, et je vois trop de personnes autour de moi qui ne peuvent pas même rester chez elles, tant certaines têtes sont montées, que je me trouve très heureux de n’avoir d’autre discussion que pour savoir si une porte serait mieux en bois qu’en fer, si une allée serait mieux en un endroit plutôt que dans un autre, ou si un bassin n’irait pas mieux qu’un massif.

Est-il vrai, comme on le prétend, que la révolution ait réduit à l’exacte indigence certaines familles qui semblaient opulentes? Un ancien député, M. Pas de Beaulieu, me disait hier qu’il avait été jusqu’à donner une pièce de cinq francs à des gens qu’il avait vus rouler en carrosse, Donnez-moi un peu vos prophéties, non pas mystiques, mais politiques. Vous êtes sur ce sujet d’un silence absolu.

Dites-moi aussi si vous savez quelque chose de Brézé. Ce petit sot, ce petit ingrat, je l’aime toujours. J’ai beau me dire qu’il n’en vaut pas la peine, c’est plus fort que moi. Je suis toujours ému en pensant à lui. N’est-ce pas que je me le suis fait plus noir qu’il n’était réellement?

Adieu. Ecrivez-moi longuement, au moins une fois. Je le Veux. J’ai besoin de m’épanouir un peu. J’attends votre lettre, et bonsoir.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1.La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.