- V1-245
- 0+079|LXXIX
- Vailhé, LETTRES, vol.1, p.245
- 1 AMITIE
1 ENCENSEMENT
1 FRANCHISE
1 PARENTS
1 REPAS
1 SOUCIS D'ARGENT
1 SOUFFRANCE
1 VOYAGES
2 ALZON, HENRI D'
2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
2 GOURAUD, HENRI
2 GREGOIRE XVI
2 LAMENNAIS, FELICITE DE
2 LECANUET, EDOUARD
2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
3 ALLEMAGNE
3 FRANCE
3 ITALIE
3 JUILLY
3 MARSEILLE
3 PARIS
3 ROME - A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
- ESGRIGNY Luglien de Jouenne
- le 29 novembre 1831].
- 29 nov 1831
- [Lavagnac,
- Monsieur
Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
rue Duphot, n° 11.
Paris.
J’ai le coeur brisé, mon cher ami, en pensant que de quelque temps je ne pourrai être utile à ce pauvre Gouraud. Le malheur veut que mon père fasse pour quelqu’un ce que je voudrais faire pour notre ami. Je n’ai eu qu’un chagrin dans ma vie, la douleur d’être obligé à faire de pareils refus. Cependant, je ne dis pas non. Je dis: je chercherai une occasion, et si elle se trouve, j’en profiterai. Comptez-y.
Voilà une heure que je suis là, sans savoir qu’ajouter. La pensée de Gouraud me bouleverse. Mille pensées se joignent à celle-là. Peut-être en trouverai-je quelqu’une praticable. J’ai la mauvaise habitude de ne pouvoir sentir l’argent; je n’en prends que quand j’en ai besoin, ce qui m’empêche d’en avoir à l’avance, ce qui fait que je ne puis en demander sans motif. Ce pauvre Gouraud. Du Lac et moi, nous lui avions écrit une lettre qui n’était qu’une méchante plaisanterie. Je me disposais à le gronder de son silence; je n’oserai plus lui écrire avant de l’avoir un peu aidé.
Que Montalembert ait oublié le voyage dont il m’avait parlé, c’est possible; mais qu’après que je lui eus dit que, pour plaire à mes parents, je voyagerais peut-être, il m’ait proposé d’aller à Rome avec lui, de l’accompagner en Allemagne; qu’il m’en ait longuement entretenu sur le port de Marseille, à 10 heures du soir; qu’il m’en ait reparlé de lui-même, quand je lui dis adieu; qu’il m’ait demandé de lui en écrire, c’est positif(2). Au reste, n’en veuillez pas trop à ce jeune homme, que j’admire sincèrement. On lui a tant dit qu’il était illustre, célèbre, un génie, un prodige; son compagnon de voyage le lui a tant répété, quand les autres se taisaient; il a donné tant d’audiences, reçu tant de dîners qu’il n’est pas étonnant s’il a le nez un peu cassé par les coups d’encensoir qu’on lui a flanqués par le visage.
Je n’irai pas à Rome, parce que l’abbé de la Mennais y va. Mes parents pensent comme vous, et là-dessus je ne pense pas tout à fait comme eux(3).
Mon ami, vous êtes trop sec en parlant de mes desseins.
Je ne comprends pas ce que vous entendez par la faiblesse de l’Avenir. Un journal qui excite autant d’enthousiasme chez ses partisans et de tels rugissements de la part de ses ennemis ne saurait être un journal faible. Il faut voir les missions données contre cette faiblesse, les visites domiciliaires dont elle a été le motif. L’Avenir a été exclusif sans doute, mais dans sa position, s’il ne l’avait pas été, il n’aurait rien fait(4).
Adieu, mon ami. Je ne puis penser qu’à Gouraud et vous savez là-dessus tout ce que je pourrais vous dire. Ecrivez-moi plus souvent et aimez-moi davantage. Je vous aime beaucoup trop.
Emmanuel.
Vous aurez reçu, deux ou trois jours avant cette lettre, une autre, un peu dure. Je persiste dans mon opinion, quoique je vous y parle quelquefois trop crûment. Pourquoi me ménagez-vous, si quelque chose vous déplaît en moi? Est-ce que vous ne m’aimez pas assez pour me la dire? Pourquoi ne m’interrogez-vous pas surtout, si vous n’êtes pas content de mes explications? Vous vous taisez; vous ne me grondez pas. C’est ce qui me fait craindre que je ne vous sois trop indifférent. Montrez-vous donc un peu.
E.D'ALZON2. Cette rencontre entre Montalembert et Emmanuel eut lieu en octobre 1831, lors de la tournée de propagande qu'en faveur de l'*Avenir* Montalembert entreprit alors dans le Midi. (Voir Lecanuet, *Montalembert*, t. Ier, p. 256 sq.
3. Les parents d'Emmanuel désiraient qu'il fît alors un voyage d'agrément et d'études à Rome, en compagnie de Montalembert ou de toute autre personne leur inspirant confiance, mais ils s'opposèrent à ce que Ieur fils accompagnât dans la Ville Eternelle les trois fameux pèlerins de Dieu et de la liberté, qui partirent précisément en cette fin d'année 1831. Et nous savons par Emmanuel lui-même qu'il ne pensait pas tout à tait comme eux là-dessus. De même, deux ans plus tard, les parents d'Emmanuel l'envoyèrent enfin à Rome, lorsque lui désirait, au contraire, rejoindre l'abbé de la Mennais soit à Juilly, soit à Paris.
4. L'*Avenir* fut suspendu par ses directeurs, le 15 novembre 1831, en attendant que le Pape se prononçât sur le programme politico-religieux de ce journal, qui soulevait de si violentes polémiques en France et ailleurs. La question financière ne fut pas, non plus, étrangère à cette suspension.