Vailhé, LETTRES, vol.1, p.256

12 jan 1832 [Montpellier, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-256
  • 0+083|LXXXIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.256
Informations détaillées
  • 1 ADOLESCENTS
    1 AMITIE
    1 BESTIAUX
    1 FONCTIONNAIRES
    1 GUERRE
    1 PAIX
    1 PARENTS
    1 PRESSE
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 REVOLUTION
    1 VOYAGES
    2 BONNETTY, AUGUSTIN
    2 BRIDIEU, FRANCOIS DE
    2 CARNE, LOUIS-JOSEPH
    2 CAZALES, EDMOND DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 DU LAC, MELCHIOR-SENIOR
    3 ALPES
    3 DIGNE
    3 LAVAGNAC
    3 LYON
    3 MONTPELLIER
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE (1).
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 12 janvier 1832.]
  • 12 jan 1832
  • [Montpellier,
  • Monsieur
    Monsieur Eugène de La Gournerie,
    Hôtel de La Gournerie, rue Fénelon,
    Nantes
    Loire-Inférieure.
La lettre

Je suis, mon cher Eugène, resté bien assez longtemps sans vous écrire, je ne veux pas prolonger davantage mon silence. Je ne suis point à Lavagnac, je suis venu passer quelques jours à Montpellier. Dans le temps que vous vous avanciez du côté de Lyon, je me rapprochais aussi de vous, pour m’en éloigner ensuite. J’allais visiter au pied des Alpes le bon du Lac, confiné au bout du monde dans la ville de Digne, ville indigne sous beaucoup de rapports. J’ai donc passé une quinzaine de jours avec ce bon ami: il est dans une assez triste position, avec des parents qui, pour le trop aimer, le contrarient dans ses désirs(2). Du reste, c’est toujours le même caractère. Il s’est formé une espèce de société de trois ou quatre jeunes gens; il travaille, fait des articles pour le journal de Bonnetty(3), et puis pense beaucoup à ses amis. Il se plaint un peu de vous. Il vous croit mort, parce que vous ne lui écrivez pas, et dans ses lettres me demande souvent de vos nouvelles.

Je vous remercie d’écrire dans la Revue [européenne]. Vos articles lui feront du bien et à moi aussi; ils rompront un peu la monotonie de MM. de Cazalès et de Carné. Elle était parfois désespérante.

Que faites-vous de la paix et de la guerre? Je crois être bien informé, et l’on m’a donné la certitude que la guerre aurait lieu au printemps. Ce n’est pas ce que je désire le plus que la guerre. La guerre nous broiera un peu plus, et, pour peu que cela avance, je ne sais trop en vérité ce qui restera des revenus des pauvres propriétaires fonciers, si on continue de les charger comme par le passé. Du reste, nous nous dégoûtons tous les jours de l’état présent des choses.

Je ne comprends pas, mon cher ami, qu’étant descendu jusqu’à Lyon, vous n’ayez pas eu envie de visiter le pays des troubadours et de la poésie du moyen âge. Venez donc nous dire si votre muse vous inspire toujours de même, si toujours vous chantez les chevaux au râtelier. Donnez-moi, si vous en avez, des nouvelles de Bridieu. Ce bon Bridieu a été, je crois, deux mois en place et le premier secrétaire général destitué à la grande débâcle. Il paraît que la révolution n’est pas faite en fait de secrétaires généraux ou conseillers de préfecture. Le père de du Lac a les siens, tout comme un autre. Or, un jour il en vit un dans une fureur épouvantable, criant, se démenant, criant toujours: Au diable, l’éloquence! Au diable, l’éloquence! -Qu’avez-vous donc contre l’éloquence? lui demanda M. du Lac.- Ce que j’ai? reprit l’autre, en lui montrant les journaux. Je viens de lire un article du National et j’ai trouvé qu’il avait raison. Eh bien! je prends le Messager*, il dit tout le contraire, et je trouve qu’il a raison encore. Ah! l’éloquence est un guet-apens tendu à tous les honnêtes gens. Je vous le dis, Monsieur le préfet, l’éloquence nous perdra. Au diable, au diable, l’éloquence! » La fureur du brave homme m’a paru très comique.

L’esprit de ce pays est bon; on perd seulement un peu trop de vue les intérêts de la religion, et vraiment c’est pitié de voir les peuples corrompus par ceux qui devraient leur donner l’exemple. Les moeurs des jeunes gens de Montpellier sont détestables; elles vont, il paraît, en empirant.

Mon cher Eugène, cette lettre n’est qu’un acompte. J’espère bien, à mon retour à Lavagnac, me dédommager de mon silence. Je sais maintenant où vous êtes; mes lettres iront vous trouver. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. La date donnée est celle du cachet de la poste à Montpellier.
2. Le père de du Lac était préfet des Basses-Alpes; le fils désirait embrasser la carrière ecclésiastique.
3. Les *Annales de philosophie chrétienne*.