Vailhé, LETTRES, vol.1, p.268

11 feb 1832 [Lavagnac, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-268
  • 0+087|LXXXVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.268
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 DESIR
    1 DOMESTIQUES
    1 ENFANTEMENT DES AMES
    1 FAMILLE
    1 FORMATION DE JESUS CHRIST DANS L'AME
    1 IMAGINATION
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 MALADIES
    1 MARIAGE
    1 PARENTS
    1 PARESSE
    1 PATERNITE SPIRITUELLE
    1 REVE
    1 SACRIFICE DE LA CROIX
    1 SOUVENIRS
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOCATION SACERDOTALE
    2 ALZON, AUGUSTINE D'
    2 ALZON, HENRI D'
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 PAUL, SAINT
    3 MONTPELLIER
    3 PARIS
    3 ROME
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 11 février 1832.]
  • 11 feb 1832
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Mon cher ami,

J’ai encore sur le coeur la lettre que je vous écrivis, il y a huit jours. Je vous grondais et j’aurais dû vous plaindre. Tous les jours, je voulais vous écrire, pour vous dire quelques paroles plus douces. Pourquoi ai-je attendu? C’est que j’ai mal au pied, que je suis paresseux, et que le mal au pied double la paresse.

Mon âme est en combat. Mes idées sur mon avenir se fixent de plus en plus, et pourtant, quoique je vous eusse mis souvent sur la voie, quoique vous n’eussiez pas dû attendre que je vous y misse, vous ne m’avez encore rien dit de sérieux à cet égard. Dépêchez-vous donc de me dire ce que vous pensez; non pas, je vous l’avouerai, que vos paroles puissent m’empêcher de faire peut- être un essai, mais pour fournir à mon esprit plus de lumières sur la position que je veux prendre et sur les obstacles qu’il me faudra renverser. Ami, si vous ne le faites, vous manquez à votre devoir.

Maintenant, vous parlerai-je de vous? Voulez-vous vous marier et avez-vous quelqu’un en vue? Cher ami, je pense souvent à vous et, je vous l’ai déjà dit, mes rêves mêmes me portent votre image entre une jolie et vertueuse femme et de petits marmousets. En renonçant aux plaisirs de la famille, j’envisage comme un dédommagement -si, par impossible, je pouvais désirer des dédommagements,- j’envisage vos enfants, sur lesquels je dilate l’amour déjà assez grand que je porte au père(2).

Où vais-je me perdre? Ami, c’est que je vous aime, et qu’embarquée avec votre souvenir, mon imagination peut aller loin, comme vous voyez. Soyez heureux, Luglien, au sein de la famille que Dieu fera naître de vous. Pour moi, je sens mon coeur se former pour une autre paternité. Oui, il est vrai, mon coeur se dilate pour aimer d’un amour universel; je me fais l’idée de l’immensité du coeur d’un prêtre, et il me semble que le mien commence à la réaliser. Ah! mon cher, vous ne savez pas ce que c’est qu’enfanter, comme saint Paul, des chrétiens, jusqu’à ce que Jésus-Christ soit formé en eux. Dans mes instructions aux gens de la maison, je fais un apprentissage bien doux. De quatre ou cinq familles je ne fais qu’une famille, dont je suis le lien, que j’unis à Jésus-Christ. Ami, si vous ne comprenez pas ce genre de bonheur, plaignez-vous vous-même. De grandes joies vous sont refusées.

Mes idées sont avancées au point que je délibère sur le lieu de la préparation, et je ne sais que choisir: de Rome, de Montpellier ou de Paris. Paris m’est proposé par mes parents(3), et, sans vous, je choisirais peut-être Paris. Mais vous me faites peur. Je ne penserai pas assez à Dieu, quand je serai près de vous, et quelqu’un autre que lui préoccupera trop mon coeur du désir de le voir. Ami, je suis faible et je ne saurais pas vous aimer avec mesure.

Priez pour moi, si vous ne pouvez prier pour vous-même. Adieu. Suivez votre voie en paix. Portez votre croix avec douceur. Hélas! tous ont leur voie, et leurs épines, et leur croix.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1.La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac. Voir la lettre au même du 29 septembre 1831.
2. Le rêve d'Emmanuel eût été de marier son plus cher ami à sa soeur Augustine, et il semble bien que celle-ci connût et approuvât les projets de son frère.
3. C'est une preuve de plus que les parents d'Emmanuel ne s'opposaient pas à sa vocation sacerdotale.