Vailhé, LETTRES, vol.1, p.270

24 feb 1832 [Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-270
  • 0+088|LXXXVIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.270
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 LIVRES
    1 MEURTRE
    1 NEGLIGENCE
    1 PRESSE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 REVOLUTION
    1 SAUVAGES
    1 VIE DE PRIERE
    2 BAADER, FRANCOIS-XAVIER DE
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 CAZALES, EDMOND DE
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    3 PARIS
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD (1).
  • GOURAUD_HENRI
  • le 24 février 1832.]
  • 24 feb 1832
  • [Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Henry Gouraud, Elève interne
    à La Maternité, rue de La Bourbe.
    Paris.
La lettre

Mon cher petit Gouraud,

Depuis combien de temps avez-vous pensé à moi? Allons, convenez-en, depuis bien longtemps. Peut-être est-ce que vous n’avez pas le temps de songer à vos amis, tant le travail vous absorbe? Peut-être n’osez-vous pas penser à eux? Cette idée me fait quelquefois peine. Votre coeur bon, vif, tendre, n’est-il pas encore un peu inconsistant? N’avez-vous pas besoin de voir ceux que vous aimez, pour les aimer toujours aussi fortement? Voyez un peu quel soupçon! Et ne faut-il pas que je sois bien sûr de vous, pour oser vous le communiquer? Allons, on peut, si l’on veut être triste par le temps qui court, se [re]présenter assez de réalités déplorables sans aller courir après des rêves.

Mon ami, je vous aime donc toujours et je suis attristé de voir le caractère de barbarie qu’imprime à certaines âmes la révolution actuelle. Nous revenons aux sauvages. Les meurtres les plus épouvantables se multiplient, ici, d’une manière effrayante, et les esprits se font avec une désolante facilité à des idées de sang. Ah! nous ne sommes pas meilleurs que nos pères et nous nous applaudissons trop de notre perfection.

J’aime assez la Revue européenne. En général, les articles qui me plaisent le plus sont ceux de Cazalès. Il me semble que je comprends assez son âme qui est belle. Je suis fâché de ne l’avoir pas connu davantage. Je pense que, depuis deux ans que j’ai quitté Paris, vous devez vous être lié avec lui. Je crois qu’il pourrait vous être extrêmement utile. Je dois vous dire aussi que la Revue a des choses merveilleusement ridicules, de ces choses que ceux qui les écrivent doivent sentir eux-mêmes détestables, mais qu’ils conservent par genre. N’imitez pas, je vous en prie, ce laisser aller, auquel vous êtes un peu enclin. Je ne comprends pas trop, je vous l’avoue, l’admiration pour M. de Baader. Il y a bien d’autres choses que je ne comprends pas non plus; mais passons.

Je vous avais prié de me donner un plan pour étudier les sciences, avec l’indication des livres propres à une étude qui, chez moi, ne pourra jamais être extrêmement approfondie. N’en êtes-vous pas capable ou l’avez-vous oublié? pourriez-vous, mon cher ami, aller voir M. Bailly, de ma part, et lui dire que je n’ose plus lui écrire, tant je sens que ma négligence est grande? que, pourtant, je pense tous les jours à lui; que, s’il veut me permettre de lui donner de mes nouvelles, il vous charge de me donner son adresse; car on m’a dit, je crois, qu’il avait changé d’appartement. J’aime tendrement M. Bailly et je ne sais pourquoi je suis resté si longtemps sans lui rien dire.

Gouraud, vous êtes heureux d’avoir quelqu’un que vous aimez à voir tous les jours. Je ne vous souhaite pas de rester deux ans sans voir aucun de vos amis de coeur. Adieu. Priez pour moi et demandez à Dieu de m’accorder le courage de rester encore longtemps sans vous voir, vous et de Jouenne, sans avoir le coeur trop brisé. Adieu, ami. Je vous aime. Ecrivez-moi, si vous pouvez.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.