Vailhé, LETTRES, vol.1, p.274

5 mar 1832 [Lavagnac], ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-274
  • 0+090|XC
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.274
Informations détaillées
  • 1 AGONIE DE JESUS-CHRIST
    1 APATHIE SPIRITUELLE
    1 ASSISTANCE A LA MESSE
    1 CALICE
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 FAUTE D'HABITUDE
    1 GUERISON
    1 JOIE
    1 LACHETE
    1 MEDECIN
    1 PRIERES AU PIED DE LA CROIX
    1 PSAUMES LITURGIQUES
    1 REMEDES
    1 SACERDOCE
    1 SENSIBILITE
    1 SOUFFRANCES DE JESUS-CHRIST
    1 VIE DE PRIERE
    1 VOCATION SACERDOTALE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 POPIEL, PAUL
    3 PARIS, EGLISE SAINT-SULPICE
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY.
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • lundi, 5 mars (1832].
  • 5 mar 1832
  • [Lavagnac],
La lettre

Votre lettre, mon cher ami, a frappé mon coeur d’une force à le faire vibrer longtemps. Je ne suis point malheureux, mais vous l’êtes, et je veux le devenir, et j’ai demandé à Dieu simplement, comme je vous le dis, que, si c’était sa volonté, il m’envoyât le malheur dans la proportion de ma faiblesse. Alors, mon ami, je pourrai vous comprendre; alors encore je ne serai point malheureux, puisque je pourrai vous soulager. Non encore, alors je ne serai point malheureux.

Mon cher Luglien, si je vous montrais la correspondance de du Lac, vous verriez, sur vingt lettres, plus de quinze commencer par ces mots: « Votre dernière lettre m’a bien fait pleurer. J’ai été me confesser, et à présent, je suis heureux. » Pourquoi puis-je si bien comprendre du Lac, et pourquoi la connaissance de votre coeur m’est-elle refusée? Le coeur de tous les hommes n’est-il pas semblable? Et n’y a-t-il d’exception que pour le vôtre et le mien? Oh! oui, il est semblable, mais ses maladies sont diverses, plus diverses mille fois que celles du corps, et vous êtes souffrant d’un mal que je ne puis saisir. Peut-être aussi ne savez-vous pas la force du remède que je vous propose? car bien [des gens] ne savent pas ce que leur commande le médecin. Peut-être… Allons donc! Je n’ai rien à dire. Que sais-je? Que puis-je aujourd’hui pour ce pauvre coeur blessé, ennuyé, blasé; pour cet esprit abattu qui se ronge lui-même sous le poids de son accablement; pour cet ami malheureux, bien malheureux, d’autant plus qu’il ne sait pas le don de Dieu?

Mon cher ami, contentez-vous donc de mes paroles, telles qu’elles vous arrivent, obscures, inintelligibles, puisqu’elles ne vont pas à votre mal. Vous ne voulez me dire rien de positif sur ma vocation. Vous faites bien et mal; bien, parce que, depuis si longtemps que vous ne m’avez vu, j’ai peut-être changé d’une façon telle à ne pas pouvoir être jugé sur ce point par vous; mal, parce que vous devriez savoir que je ne saurais mieux faire.

Et vous aussi, mon ami, vous ne comprenez pas le sacerdoce. Si le monde s’en défie, c’est que certains hommes l’ont fait tel qu’il devait être un objet de crainte et de défiance. Mais je suis persuadé que ces craintes, ces défiances peuvent tomber. Et quand la génération cléricale qui commence n’obtiendrait que ce résultat, je crois que ce serait beaucoup. Vous me semblez comprendre peu ce que vous dites, quand vous parlez du service des autels, et ce n’est pas une des moindres causes de votre malheur. Oh! si vous compreniez, vous aussi, ces paroles du prophète: Altaria tua, Deus virtutum! Si vous compreniez tout le psaume où se trouvent ces paroles, vous sauriez comment sortir de votre mal. Ami, ami, je vous en conjure, ne laissez pas votre énergie s’épuiser, s’écouler pour ainsi dire à travers les fentes de votre âme. Vous vous complaisez dans votre malheur, mais il vous affaiblit tous les jours. Voilà ce que vous ne voyez peut-être pas, mais ce que je vois positivement. Non, vous n’êtes plus fort.

Je sors de la Messe, où j’ai bien prié pour vous. Je me suis rappelé, pour vous les répéter, ces paroles de Popiel, qu’il me dit un jour que nous sortions ensemble de Saint-Sulpice: « Je me convaincs tous les jours davantage que la prière est la source de la vraie science. » Laissez-moi donc, au risque de me tromper encore, vous dire ce que ma prière m’a inspiré pour vous. Ami, vous tombez dans l’ennui, et vos ennuis viennent d’une défaillance. Jusqu’à ce que vous priiez, cet ennui, cette défaillance ne passera pas. Mais il faut savoir prier devant la croix, aux pieds de Jésus-Christ. Et comme par ses souffrances il a voulu guérir toute langueur, il faut que vous cherchiez parmi ses plaies celle qui a été ouverte pour vous. Eh bien! portez-vous quelquefois en esprit au milieu de cette nuit sombre et froide, dans ce jardin, où il n’a pas la force de prendre le calice qui lui est imposé. Jésus-Christ aussi a défailli, mon cher. Le remède des chrétiens, c’est de diviniser les maux. Comprenez-vous? Vous êtes languissant, ennuyé; joignez vos langueurs, vos ennuis, à ceux de Jésus, et il vous donnera en échange son amour qui est fort comme la mort, et vos peines ne vous seront plus rien.

Encore une fois, pardon de tous les efforts que je fais pour guérir en vous un mal que je ne connais pas. Voilà qui me fait peine. C’est une épine qui me blesse vivement, et je porte envie à celui qui souffre, puisqu’il peut empêcher son ami de souffrir. Adieu, ami. Je bavarde depuis trop longtemps pour pouvoir relire ma lettre. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum