Vailhé, LETTRES, vol.1, p.312

10 jul 1832 Lavagnac, ALZON_EDMOND
Informations générales
  • V1-312
  • 0+102|CII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.312
Informations détaillées
  • 1 CALOMNIE
    1 CAREME
    1 CLERGE
    1 DILIGENCE
    1 EGOISME
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HONTE
    1 MALADIES
    1 MATERIALISME
    1 MAUVAIS PRETRE
    1 MEDISANCE
    1 OFFICE DIVIN
    1 PARENTS
    1 PARESSE
    1 POLITIQUE
    1 PRESSE
    1 REPOS
    1 SAINTETE DU CLERGE
    1 SEMINAIRES
    1 SOUTANE
    1 VACANCES
    1 VETEMENT
    1 VOCATION SACERDOTALE
    2 B., MADAME CHARLES
    2 CHAMBORD, COMTE DE
    2 RODIER, CLEMENT
  • A SON COUSIN EDMOND D'ALZON (1).
  • ALZON_EDMOND
  • le 10 juillet 1832.
  • 10 jul 1832
  • Lavagnac,
La lettre

Je suis tout honteux, mon cher Edmond, d’être resté si longtemps sans t’écrire, sans répondre à ta bonne lettre. Il est bien vrai que si je voulais chercher des excuses, je te dirais que ta lettre m’arriva à la fin du Carême, époque pendant laquelle les offices prennent notre temps; que, dès le mardi de Pâques, je fus pris d’un rhume qui me fatiguait beaucoup et n’est pas encore passé; que ce rhume, joint à quelques autres indispositions, m’a plusieurs fois forcé de garder le lit et même de venir passer huit jours ici pour me remettre. Heureusement, me voilà en vacances pour trois mois, et j’aime mieux confesser ma paresse, mon oubli, plutôt que d’aller pêcher quelque justification à la Clément(2).

Pour en revenir à ta lettre, que tu as sans doute oubliée, mais que j’ai précieusement conservée, je te remercie de toutes les aimables et belles choses que tu me dis. Il paraît que mon entrée au séminaire a fait parler bien des gens de toutes les manières, mais bien peu ont vu ma pensée aussi bien que toi. Les uns disaient que je prenais la soutane, forcé que j’étais par le fanatisme de mes parents. Il aurait, en effet, fallu être terriblement fanatique pour me forcer, dans l’état où nous sommes, d’entrer malgré moi dans le sacerdoce. D’autres ont dit que je voulais servir Henri V. Sans doute, en montant une conspiration séminaristique. Oh! les sots! Les plus fins ont découvert qu’on ne pouvait pas tout savoir et qu’il y avait quelque chose la-dessous. Comprends-tu la malice?

Le bon Dieu m’a fait la grâce d’aimer le dévouement, et j’ai senti s’accroître en moi le désir de défendre la religion au moment où on l’attaquait le plus. J’aimais à penser que, dans ce temps où tout est agité, variable, incertain, où surtout l’avenir est si obscur que chacun, quel que soit son état, son opinion, est menacé, je m’attachais à quelque chose de fixe, d’immuable, et que, si je m’exposais à quelque danger, c’était au moins pour une cause qui en valait la peine. Je te l’ai sans doute dit quelquefois: rien ne m’indigne comme l’égoïsme, que je vois aujourd’hui envahir la société. C’est une glace qui paralyse tout; c’est une lèpre qui gagne rapidement et répand la corruption et la mort. L’amour s’est réfugié dans ce qu’il y a de plus matériel -et quiconque se respecte rougit d’aller le chercher si bas,- ou dans la religion, où il s’épure de plus en plus et d’où il rejaillira, je l’espère, avant peu sur les hommes qui le méconnaissent.

Les tristes réflexions que t’a inspirées la conduite de certains prêtres, je les fais depuis bien longtemps. Je me rappelle à ce sujet qu’un jour déplorant avec quelques personnes les intrigues du Conclave, un des mes amis s’écria avec un énergique juron: « Et f…, voilà ce qui me persuade, plus que tout, [de] la vérité de la religion: c’est qu’avec de pareils coquins, elle se soutienne encore comme elle le fait. » Il avait au fond bien raison; car, quoique la conduite d’un prêtre influe d’une manière effrayante en pensant à la responsabilité qui en résulte pour lui, quoique sa conduite influe immensément sur la foi des peuples, il est inconcevable, humainement parlant, qu’avec toutes les passions qu’ont recouvertes depuis dix-huit siècles les soutanes de toutes les couleurs, la religion n’ait pas péri, tuée par le contraste des enseignements et des moeurs de ses ministres.

Cependant, il faut le dire, on ne fait pas assez attention que le prêtre après tout est un homme. Sans doute, il serait heureux que sa sainteté conservât l’opinion qu’il doit être un ange. Mais, remarque un peu, quels sont ceux qui crient le plus contre les prêtres mauvais? Ce sont ceux qui sont pires qu’eux. Il y a encore une autre observation, c’est que les prêtres corrompus fréquentent toujours les compagnies des plus grands détracteurs du sacerdoce. C’est un fait qui explique bien des choses.

Le devoir des catholiques, lorsqu’on leur objecte des faits qui sont quelquefois des calomnies, mais trop souvent des médisances, c’est de se rappeler le quatrième commandement; car, après tout, ce sont nos pères, et quoiqu’il soit permis de gémir des fautes de son père, malheur à celui qui ne jette pas un manteau sur ses turpitudes.

Je ne sais si tu as été frappé comme moi du vide qu’a laissé l’Avenir et si tu as remarqué que rien encore ne le remplaçait. Au milieu des voix discordantes et opposées qui s’élevaient de toutes parts, l’Avenir faisait entendre et quelquefois dominer celle de la religion. L’Avenir s’est tu, écrasé par les plus odieuses intrigues du pouvoir et de certains prêtres ligués contre ses rédacteurs. Le tumulte a continué, mais ce n’étaient plus que des voix d’hommes. Pas une pensée de Dieu, pas un souvenir du catholicisme. Des cris de partis qui se déchirent; pour tout sentiment, la haine; aucun espoir de réunion, qui eut peut-être et même presque certainement ramené la charité, si l’on eût permis à la liberté d’en être l’apôtre. Mais non; le pouvoir a commandé un mutisme absolu, et certains hommes qui se disent amis du christianisme ont ordonné au clergé de courber le front sous un silencieux esclavage.

Où est l’homme qui aura le courage de braver les obstacles de tous genres, pour faire entendre de nouveau la voix de Dieu?

J’en étais là de ma lettre, mon cher Edmond, lorsque je me suis rappelé que je n’avais pas ton adresse, ou du moins je n’étais pas bien sûr de l’avoir. J’ai attendu quelques jours, parce que je savais que Mme Charles B. devait venir me voir. Elle m’arriva hier au soir et me charge de te dire qu’elle t’envoie le paquet de chaussettes, et par la diligence: il est parti.

Adieu, mon cher ami. Ne prends pas exemple sur moi, surtout jusqu’au 1er octobre, où les vacances me permettront de réparer ma longue distraction. Tout à toi.

Emmanuel.

15 juillet 1832.

E.D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. La lettre est adressée à M. Edmond d'Alzon, contrôleur des contributions directes à Corbigny, Nièvre. Nous la publions d'après une copie, faite sur l'original. Le timbre de Montagnac porte la date du 16 juillet 1832. Editée, avec quelques variantes, dans les *Notes et Documents*, t. IV, p. 84-86.
2. Clément Rodier, cousin d'Emmanuel et d'Edmond.