Vailhé, LETTRES, vol.1, p.315

18 jul 1832 Lavagnac, GOURAUD_HENRI
Informations générales
  • V1-315
  • 0+103|CIII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.315
Informations détaillées
  • 1 AMITIE
    1 AUGUSTIN
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PATROLOGIE
    1 ESPRIT SACERDOTAL
    1 LIVRES
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 PARENTS
    1 SANTE
    1 SEMINAIRES
    1 SOLITUDE
    1 TONSURE
    1 TRAVAIL
    1 VACANCES
    2 CHAFFOY, CLAUDE-FRANCOIS DE
    2 COURAL, DENIS-ANTOINE
    2 ESGRIGNY, LUGLIEN de JOUENNE D'
    2 ESGRIGNY, MADAME D'
    2 FOURNIER, MARIE-NICOLAS
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 SALOMON
    3 MONTPELLIER
    3 PARIS, SEMINAIRE SAINT-SULPICE
  • A MONSIEUR HENRI GOURAUD.
  • GOURAUD_HENRI
  • le 18 juillet [1832].
  • 18 jul 1832
  • Lavagnac,
  • Monsieur
    Monsieur Henry Gouraud, Elève interne
    à l'hospice de la Maternité,
    rue de La Bourbe près l'Observatoire.
    Paris.
La lettre

J’ai recours à vous, cher Gouraud, pour m’apprendre où en sont les inquiétudes de de Jouenne sur la santé de sa mère. Augmentent-elles ou sont-elles calmées? Je n’ose, je ne sais pourquoi, le lui demander à lui-même, et depuis trois semaines j’ignore absolument où en sont ses craintes ou ses espérances. Il est pourtant bien vrai que sa peine me préoccupe beaucoup. Dites-lui, je vous prie, que je me suis acquitté de mon mieux de ce qu’il m’avait demandé.

Je vois avec une peine extrême s’éloigner indéfiniment l’avenir qui nous rapprochera. J’aurais vivement désiré aller passer mes vacances avec vous et avec de Jouenne, mais il est bien difficile de refuser à ses parents ses premières vacances de Séminaire. Certaines personnes, il est vrai, m’exhortent à aller continuer mon Séminaire à Saint-Sulpice, mais les raisons qu’elles me donnent sont précisément celles qui me détourneraient de ce dessein. Je sais bien que Montpellier, quoique très bon sous certains rapports, a de très grands désavantages, et qu’à ne voir les choses [que] sous un point de vue, le temps que j’y passerai sera presque perdu sous le rapport scientifique; mais vous ne vous faites pas une idée de l’utilité qu’on en peut retirer. Comme on est frappé de la décrépitude de la science théologique, telle qu’on s’obstine à vouloir l’enseigner! C’est au point que je me faisais un scrupule de conscience d’ouvrir la bouche dans certaines discussions sophistiques, qui, trop souvent, emportaient tout le temps des conférences. C’est, à mon gré, une contre-épreuve bien utile, quand on veut s’assurer si les nouveaux développements qui se préparent sont aussi vrais que le disent ceux qui sont avancés dans la voie. Lorsque, après quelques mois passés à étudier cette science toute verbale, on revient à étudier une science de choses et de faits, on est, je vous assure, bien facilement à même de juger la différence.

Je souhaite, mon cher ami, que mon long silence ne vous ait pas fait oublier que je suis en vie. Peut-être que bientôt vous ne vous seriez plus souvenu de mon nom. Je dis ceci à contre-coeur et je ne parle pas comme je pense. Je me rétracte donc bien vite. Mon ami, franchement, je ne puis croire que vous m’oubliiez entièrement, et je pense ainsi, parce que je suis aussi sûr de vous que de moi. Oui, mon ami, votre souvenir, loin d’être affaibli par l’absence et le silence, se grave tous les jours plus profondément en moi. Et il faut bien qu’il en soit ainsi. Un des plus beaux privilèges du sacerdoce n’est-ce pas la latitude du coeur, que l’Ecriture dit avoir été donnée à Salomon: latitudinem cordis quasi arenam quae est in littore maris? Et si mon coeur se dilate, ne faut-il pas que mes amis y occupent une plus grande place?

Songez-vous quelquefois que je n’appartiens plus au monde, que mes cheveux ont été coupés(1) et que j’ai dit aux pieds de l’évêque: Dominus pars haereditatis meae et calicis mei; tu es qui restitues haereditatem meam mihi? Voilà que j’ai un autre héritage que le monde, d’autres espérances que le monde, que je ne suis plus du monde. Priez Dieu, mon ami, pour qu’à mesure que je m’avancerai dans la hiérarchie ecclésiastique, j’en prenne tout l’esprit, esprit sublime et qui renouvellera le monde, quand il pénétrera les âmes assez pures pour le faire briller aux yeux des hommes.

On me dit que vous travaillez beaucoup. Tant mieux! C’est le meilleur moyen de vous préserver de ce mal qui vous est propre et que nous avions appelé l’orgueil du coeur. Pour moi, j’étudie aussi mon état: la Bible, la théologie, les Pères font mon occupation. N’allez pas croire que je sois de ceux qui veulent forcer les prêtres à ne voir que les livres de leur profession, comme ils disent. A Dieu ne plaise! Mais, pour le moment, je suis seul et je n’ai rien de mieux à faire. Les saints pères renferment des trésors inépuisables, malheureusement trop peu connus. Je voudrais, pour vous en convaincre, que vous lussiez seulement la Cité de Dieu de saint Augustin et le Traité sur le sacerdoce de saint Chrysostome.

Seriez-vous assez bon pour me faire envoyer les numéros de mars, avril et mai de la Revue européenne? Un malentendu causé par mon entrée au Séminaire m’a empêché de les recevoir. Je les ferai payer avec mon prochain réabonnement. Adieu. Je vous aime.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. D'après une lettre de l'abbé Coural, du 8 juillet 1884, alors prêtre retiré à Saint-Chinian et ancien condisciple du jeune d'Alzon, Emmanuel reçut la tonsure le samedi des Quatre-Temps, avant la Trinité, le 16 juin 1832: "Je l'ai vu, écrit M. Coural, entrer au Grand Séminaire de Montpellier, au commencement de 1832. J'ai suivi avec lui la moitié du premier cours de théologie; j'ai fait aussi avec lui ma seconde année de théologie. J'ai participé aux mêmes ordinations que lui: à la Trinité 1832, nous avons reçu en même temps la tonsure, et les ordres mineurs à la Trinité de 1833. A la fin de cette année scolaire, il fut terminer ses études théologiques à Rome, où il reçut les autres ordres." Nous avons encore les lettres dimissoriales de Mgr de Chaffoy, évêque de Nîmes, datées du 11 juin 1832, permettant à Emmanuel d'Alzon de recevoir la tonsure.