Vailhé, LETTRES, vol.1, p.330

4 sep 1832 [Lavagnac, LA_GOURNERIE Eugène
Informations générales
  • V1-330
  • 0+107|CVII
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.330
Informations détaillées
  • 1 ADULTERE
    1 AMITIE
    1 AMOUR-PROPRE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 APOTRES
    1 AUGUSTIN
    1 BATEAU
    1 CATECHISME
    1 CONNAISSANCE
    1 CORRUPTION
    1 DOUTE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ENNEMIS DE DIEU
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PATROLOGIE
    1 ESPERANCE
    1 LOISIRS
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUXURE
    1 MATIERES DE L'ENSEIGNEMENT ECCLESIASTIQUE
    1 MOEURS ACTUELLES
    1 NEGLIGENCE
    1 PARENTS
    1 PARESSE
    1 PRESSE
    1 PROVIDENCE
    1 RECONNAISSANCE
    1 REGNE DE VERITE
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SOUTANE
    1 SOUVENIRS
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    1 VERTU DE CHASTETE
    1 VOYAGES
    2 ALZON, MADAME HENRI D'
    2 BRIDIEU, FRANCOIS DE
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 DUVERGIER, JEAN-BAPTISTE
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 MICHEL-ANGE
    2 RAPHAEL SANZIO
    2 TERTULLIEN
    3 ITALIE
    3 JUILLY
    3 MIDI
    3 PARIS
    3 PARIS, LA SORBONNE
  • A MONSIEUR EUGENE DE LA GOURNERIE (1).
  • LA_GOURNERIE Eugène
  • le 4 septembre 1832.]
  • 4 sep 1832
  • [Lavagnac,
  • Monsieur.
    Monsieur Eugène de la Gournerie,
    rue Fénelon, hôtel de La Gournerie.
    Nantes, Loire-Inférieure.
La lettre

Je suis heureux de penser, mon cher Eugène, que ma paresse et ma négligence ne me font pas oublier de mes amis et qu’ils savent aller au-devant de moi, quand je parais ne plus me rappeler une vieille et tendre liaison. Je vous remercie du fond de mon âme de votre excellente lettre, à laquelle j’aurais dû répondre beaucoup plus tôt: elle m’a fait un plaisir infini. Seulement j’ai été un peu contrarié par la pensée que, si vous retardez jusqu’à l’hiver votre voyage en Italie, je n’aurai pas le plaisir de jouir tout à mon aise de votre passage dans le Midi. Ma mère, qui est très sensible à votre souvenir, me charge de vous dire qu’elle sera trop heureuse de vous offrir l’hospitalité, si vous exécutez votre projet de voyage, même lorsque je ne serais pas auprès d’elle pour vous recevoir de mon mieux.

Il paraît que vous préludez à vos courses dans l’Italie par la peinture de ce que vous avez le projet d’y admirer. L’article que vous avez inséré dans la Revue européenne est excellent, et je ne sais ce que vous pourrez ajouter, quand vous nous direz ce que vos yeux auront vu. J’ai admiré surtout votre grande science sur bien des choses, dont je ne me doutais guère et dont mon nouveau genre d’études ne me permettra guère de me mêler. J’ai lu votre article avec un plaisir infini et je l’ai entendu louer par toutes les personnes qui l’ont lu. Les éloges que j’entends donner à mes amis me ravissent toujours, je me trouve tout naturellement intéressé à leurs succès; et pourtant je ne crois pas que ce soit l’amour-propre qui me porte à m’identifier avec eux, lorsque je vois qu’on leur paye un tribut mérité.

Continuez, mon cher Eugène. Conservez cette fraîcheur de pensées, de sentiments, qui donne tant de charme à vos productions, fraîcheur si rare aujourd’hui que tant d’âmes sont fanées par le doute et la dépravation. Conservez votre âme pure, afin de montrer ce qu’on connaît si peu maintenant. J’ai été frappé d’un trait qui, après tout, devrait paraître tout simple. C’est dans le procès des Saint-Simoniens, lorsque Duvergier a reproché au barreau de Paris de vivre dans l’adultère ou la corruption. Malgré ses interpellations réitérées, pas un avocat présent ne lui a contesté le fait. Quand les choses en sont là, je ne vois pas trop à quoi pourraient servir les lois sur les moeurs, mais je comprends à merveille le bien que peut faire dans le monde et en présence de faits si déplorables un jeune homme catholique et chaste. Oh! nous comprenons bien mal notre mission, si nous ne profitons pas de tous les moyens que Dieu nous offre de faire triompher sa cause. Je vois grand nombre de catholiques gémir et désespérer de tout, parce que, disent-ils, le monde, est gâté; il l’était bien davantage quand les apôtres entreprirent sa conquête, et pourtant ils en vinrent à bout.

Plus j’envisage la position que la Providence semble m’avoir assignée, plus, je vous l’avouerai, elle me paraît belle. Cette lutte que je dois livrer au monde, cette régénération au succès de laquelle je dois concourir, tout cela me paraît sublime; car, il faut bien le dire, je nourris au fond de mon âme une grande espérance, que de grands développements vont être accordés et que les lumières de la vérité croîtront en proportion des ténèbres que l’erreur répand tous les jours. Ce sera comme un grand combat du jour avec la nuit; et le jour est fait pour les hommes, et le monde se fatiguera d’être assis dans les ténèbres, à l’ombre de la mort. Tout cela ne s’opérera pas sans doute par enchantement. Il y aura collision, et du choc des doctrines opposées il résultera peut-être de grands maux pour quelques individus, mais aussi un grand bien pour la société.

Les hommes égarés ne reviendront pas à l’ordre sans quelque violence, et même, quand la vérité aura triomphé, tout, certes, ne sera pas parfait, mais un grand espace aura été parcouru. Il y aura un grand pas de fait, un grand développement opéré, qui permettra d’en prévoir de nouveaux. Telles sont les idées qui bercent mon espérance, idées que la marche du catholicisme, depuis son berceau jusqu’à nos jours, légitime parfaitement. Les obstacles qui paraissent s’opposer au succès sont à mes yeux un élément de triomphe. Que de fois Dieu n’a-t-il pas livré des armes entre les mains de ses ennemis afin de leur prouver leur impuissance à l’atteindre, et combien de fois, ressaisissant ces mêmes armes, ne les a-t-il pas tournées contre eux d’une manière victorieuse?

J’ose penser, mon cher Eugène, que vous n’êtes pas bien éloigné de cette manière de voir et qu’au milieu de tant d’événements si propres à brouiller les têtes, vous tenez toujours les yeux fixés sur la Providence et que vous êtes loin de l’accuser d’abandonner le monde.

Tandis que vous évoquez les ombres de Raphaël et de Michel-Ange, j’en évoque d’un autre genre. Je me suis mis à vivre dans le commerce le plus familier avec saint Augustin, saint Chrysostome, Tertullien et quelques autres Pères de l’Eglise. Il faut convenir que ces hommes étaient prodigieux. Souvent on voit percer chez eux les défauts de l’époque. Les antithèses chez saint Augustin, un néologisme de mauvais goût chez le dur Africain déparent leurs chefs-d’oeuvre; mais n’importe, ils méritent leur réputation, ils en méritent même une plus grande que celle dont ils jouissent aujourd’hui. Je trouve qu’on puiserait chez eux la réponse à bien des objections faites contre le christianisme et qui sont à la lettre renouvelées des Grecs. Sous ce rapport, l’enseignement ecclésiastique est susceptible de prendre et prendra, je l’espère, avant peu un grand développement. J’espère que, lorsque tous les souvenirs de Sorbonne seront éteints, l’on sacrifiera au bien de la vérité quelques arguments, quelques preuves scolastiques désormais hors de saison, pour présenter aux jeunes gens le parallèle merveilleux des dogmes catholiques, immuables comme la vérité dont ils sont l’expression, et des mille erreurs qui naissent et meurent chaque jour, insaisissables comme le principe sur lequel elles reposent. Considérée de ce point de vue, l’étude de la théologie est on ne peut plus attachante. Il faut sentir les avantages de la foi, comme on comprend les avantages d’un port sûr, quand de la plage on aperçoit un bâtiment luttant avec la tempête.

Remerciez, je vous prie, Bridieu de son bon souvenir. Je me rappelle toujours nos conversations, nos promenades, nos catéchismes avec bonheur. J’ai souvent des nouvelles de du Lac, qui n’est pas loin d’ici, mais que je ne puis voir à cause de ses parents, aux yeux de qui je suis une bête noire, depuis que j’ai pris la soutane.

Adieu, mon cher Eugène. Je me suis acquitté de la promesse de Juilly; mais j’avoue qu’il m’a fallu votre lettre pour me la rappeler. Ce qui n’est pas dire que j’ai besoin qu’on me rappelle de penser à mes amis devant Dieu. Je sens trop le prix de leur tendresse, pour ne pas chercher à la mériter par tous les moyens qui peuvent leur être utiles. Adieu. Adieu.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier p. 108, 217 sq. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.1. Voir *Notes et Documents*, t. Ier p. 108, 217 sq. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montagnac.