Vailhé, LETTRES, vol.1, p.355

22 oct 1832 [Montpellier, ESGRIGNY Luglien de Jouenne
Informations générales
  • V1-355
  • 0+114|CXIV
  • Vailhé, LETTRES, vol.1, p.355
Informations détaillées
  • 1 COLERE
    1 DETACHEMENT
    1 PARESSE
    1 SOUFFRANCE
    1 TENTATION
  • A MONSIEUR LUGLIEN DE JOUENNE D'ESGRIGNY (1).
  • ESGRIGNY Luglien de Jouenne
  • le 22 octobre 1832].
  • 22 oct 1832
  • [Montpellier,
  • Monsieur,
    Monsieur Luglien de Jouenne d'Esgrigny,
    rue Duphot, n° 11.
    Paris.
La lettre

Quelque grande que soit ma colère contre vous, je prends la plume, mais je vous préviens que c’est pour la dernière fois. Je me trouve moi-même ridicule de vous écrire comme à une statue de plâtre qui ne dit ni oui ni non, pas même: « Bête, que fais-tu là? » Quand vous voudrez de mes nouvelles, vous m’en demanderez et alors vous sortirez de votre paresseux silence. Car, vous avez beau dire, mon cher, il n’y a chez vous que de la paresse, et s’il y a quelque autre chose, la paresse l’étouffe. J’ai fort peu de temps pour vous écrire et, si je pense souvent à vous, c’est par contrebande. Au fait, j’ai grand profit, quand j’y songe, à m’occuper si souvent d’un quelqu’un qui me traite si joliment! Voyez-vous, mon cher, plus j’y réfléchis, plus je vous trouve inexcusable. Ainsi, ne venez pas m’alléguer des prétextes qui ne signifieraient rien. Depuis cinq mois, je n’ai ou qu’une lettre de vous. C’est trop fort.

Qu’on a raison de nous dire que nous sommes de grands fous de nous attacher à des gens, qui nous plantent là si poliment! Tenez, je ne veux plus y penser, car je crois que la tentation me prendrait de vous planter là, comme les autres! Quelles mauvaises raisons pourriez-vous avoir? Aucune. Vous souffrez? Eh bien! quand on souffre et qu’on a un ami, on lui écrit: « Je souffre », mais pas tous les six mois. On lui dit ce qui cause de la douleur, ce qui blesse le coeur. Croyez-vous autrement que j’aille deviner le mal que vous avez, ou que j’aie dans ma poche un spécifique pour tous les maux présents, passés, futurs, nouveaux de votre âme? Vous vous trompez. Si donc vous voulez que je vous écrive et que, dans mon ignorance, je vous fasse part de mes pensées sur votre état, il faut me parler avec détail.

Je n’irai pas plus loin, car je suis d’humeur à sermonner et je n’ai pour aujourd’hui que des reproches à vous adresser. Si vous avez quelque reste de sentiment, je vous en ai dit assez pour vous engager à apaiser ma colère.

Emmanuel.
Notes et post-scriptum
1. La date donnée est celle du cachet de la poste, à Montpellier.